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Justice en coronavirus, par Jacques Trémolet de Villers.

L’actualité judiciaire, évidemment, c'est le coronavirus, c'est-à-dire le néant : audiences supprimées, greffiers absents, délais de procédure repoussés. Seules demeurent les audiences pénales d'urgence sur les mises en liberté, par lesquelles les autorités aux abois envoient les prisonniers se faire confiner ailleurs.

Cette situation dite exceptionnelle nous change peu puisque voici plusieurs semaines que les avocats en grève faisaient renvoyer toutes les affaires. L’après, dit le président de la République, ne sera pas comme l’avant. On veut bien le croire. Quand tout ce retard va déferler, il va falloir mettre les bouchées doubles. Notre magistrature est-elle prête pour soutenir cet assaut ? On déplore aujourd’hui l’état de misère dans lequel ont été laissées les urgences hospitalières. On déplorera la vétusté, le manque de moyens, l’abandon de la Justice.

Pas besoin d’être devin pour imaginer cette sortie de crise sanitaire : dettes suspendues, liquidations judiciaires en hausse exponentielle, demandes de délais de paiement, sursis à expulsion, contentieux salarial, social, commercial, fiscal… Il va falloir régler les comptes. Le président, martial, mâchoires serrées et lèvres amincies, dit : « il n’y aura aucune faillite ».T’as qu’à croire ! comme on disait « avant » au comptoir des bistrots. Il y en aura. Terminée l’heure du civisme passif, nous verrons l’heure de l’individualisme actif et renaissant : et moi ? et moi ? et moi ? Cette heure-là est l’heure des tribunaux, pour mettre la paix là où menace la guerre. Car le confinement va accroître ou rendre explosive la fracture sociale. Il n’y a pas de commune mesure entre la gêne de ce confinement pour les personnes ou les familles qui ont de l’espace et un jardin en ville ou à la campagne et ceux qui, avant, sortaient parce qu’ils ne pouvaient pas rester chez eux et pour qui la rue, le jardin public, la terrasse de café étaient leurs lieux de respiration. Cette différence va devenir fossé.

L’appel au roi ?

Nos gouvernants prêchent la civilité, le vivre-ensemble, le sens de l’autre. Nous savons comment ces fadaises virent facilement à l’assassinat collectif quand un trop grand nombre souffre alors qu’un tout petit nombre jouit. La lecture n’apaise pas tout, et la musique non plus. Rousseau faisait pleurer les salons à la lecture de La Profession de foi du vicaire savoyard avant que ses disciples envoient les dames de ces salons à la guillotine. Seule une vraie justice sait dans ces circonstances réduire les conflits et confiner la haine. Il lui faudra des moyens à la hauteur des besoins.

Frontières rétablies, armée, justice et police à leur place – c’est à dire la première –, voici que l’État régalien peut réapparaître dans tout l’éclat de sa bienfaisante nécessité. Pour le reste, il sera contraint de laisser faire l’initiative privée, éducative, caritative, économique. L’Éducation nationale verra le triomphe de l’école privée si ce n’est celui de l’école à la maison. On comprendra que l’éducation des enfants est d’abord l’affaire des parents. L’État fera ainsi beaucoup d’économies. On peut rêver… peut-être est-il obligatoire de rêver ?

En tout cas les circonstances, qui sont le doigt de Dieu, n’ont pas fini de nous instruire. La France sentira le besoin d’un vrai père, pas d’un petit génie de la communication doublé d’un apprenti dictateur. Le vrai père, tout le monde sait qui c’est. Depuis deux siècles, dans tous les coups durs, nous avons connu l’appel au peuple, l’appel à l’homme providentiel, l’appel au soldat – les deux se confondant (Pétain, De Gaulle). Et si on en venait, à la fin, à l’appel au Roi ? On attend le retour du roi sous l’arbre de la justice.

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