Des massacres de septembre au génocide des Vendéens, de la Terreur des années 1793-94 au massacre de juin 1848, la Commune de 1871, l’Épuration en 1944-45, la répression contre l'Algérie française en 1958-1962, l'avortement de masse, l'euthanasie, l'eugénisme transhumaniste, l'homosexualisme, le « genderisme », la GPA...
Pourquoi la République, née dans le sang, s'est-elle toujours complue dans une anthropologie de la destruction-transformation de l'homme ?
La République, fille de la Révolution de 1789
Disons-le d'emblée, le goût propitiatoire de la République pour le sang, réside dans son caractère totalitaire. Le projet des révolutionnaires bourgeois était, dès l'origine, marqué par une ambition démesurée : renverser l'ordre ancien et lui en substituer un nouveau qui aurait acquis, dès l'instant où il serait posé, l'inébranlable, immédiate et similaire légitimité de son devancier. Assurément, le prix à payer, notamment en vies humaines, serait exorbitant, attendu que les révolutionnaires faisaient le pari fou et intenable de s'affranchir de la longue durée en prétendant faire jaillir du bon peuple une adhésion sans réserve à ce nouveau régime de « Liberté ».
À cette aune, il semble logiquement impossible de dissocier l'événement historique que l'on désigne coutumièrement sous le syntagme de « Révolution française », de l'entité dont elle accoucha officiellement le 21 septembre 1792, date de proclamation de la Ire République. Si la Révolution française eût pu se concevoir sans la République qu'elle finît par enfanter, l'inverse n'est pas vrai. Stéphane Courtois, grand spécialiste du totalitarisme, n'hésitait pas à rappeler que « le 29 janvier 1891, Clemenceau déclarait : "la Révolution est un bloc" contraignant ainsi tous les républicains y à se solidariser avec l'ensemble des épisodes de la Révolution française »(1). Lorsque Vincent Peillon estime que « la Révolution française n'est pas terminée », c'est précisément pour inscrire la République dans une continuité anthropologique et théologique dont celle-là prétendait être à l'origine : « on peut même considérer que la République s'engendre et se définit comme un travail rétrospectif sur la Révolution elle-même ». Difficile, encore (surtout) aujourd'hui de séparer comme entité autonome la République de sa matrice principielle. Cette généalogie immarcescible de la République explique pourquoi, aujourd'hui comme hier, tout antirépublicain, fût-il modéré, est considéré non pas comme un adversaire politique mais bien comme un hérétique ou un déviant (au mieux), voire (au pire), comme un ennemi à abattre (pour des néo-robespierristes conséquents tel Alexis Corbière). C'est ce qu'a très bien entrevu l'historien Patrice Gueniffey qui observait que « la Révolution française, en effet, n'oppose pas des adversaires mais des ennemis. (...) Le conflit révolutionnaire s'apparente ainsi aux conflits religieux dont l'enjeu - une conception du salut - est si absolu qu'il n'est pas négociable et que le combat ne peut finir qu'avec la destruction totale d'un des adversaires en présence »(2)
Le citoyen soldat de la République
La Révolution française comme la République - qui n'en est que la continuation idéologique par d'autres moyens, mêmes « légaux » - entendent « s'approprier l'homme », selon l'expression de l'historien Xavier Martin. On en fit un « citoyen », prototype de l'« être nouveau », sorti tout droit armé (au sens littéral, car celui-ci sera soldat puis terroriste) de l'esprit des Lumières, de Rousseau (parlant « d'altérer la constitution de l'homme pour la renforcer ») à Montesquieu (faisant l'éloge du tyrannicide sous la république romaine, édification dont Robespierre s'inspirera).
Dans son Histoire du citoyen, Jean de Viguerie explique cette dégradation de la transcendance l'homme vers sa transsubstantiation immanente et horizontale dans le corps social que l'on fondra uniment dans le creuset républicain : « sous le règne de l'empereur Auguste, Dieu s'était fait homme et avait enduré la mort pour le salut des hommes. Sous le règne de Louis XVI, l'homme accepte de passer, comme le veut Rousseau, de rentier absolu" à l’"unité fractionnaire" de se détrôner lui-même et de se dénaturer, afin de réaliser la société idéale du pacte social. Les deux événements sont comparables à cause du sacrifice que l'un et l'autre comportent, mais leurs effets sont opposés. L'incarnation élève l'homme et le renouvelle. La révolution de 1789 le réduit et le diminue ». Engendrer, ex nihilo, l'homme nouveau est au cœur du projet révolutionnaire. « Avec l'homme nouveau, on touche à un rêve central de la Révolution française », note pertinemment l'historienne Mona Ozouf(3). Il s'agit, rien de moins, que de « régénérer » la société. « Nous avons tout à revoir, tout à recréer », exhortait Danton dans un élan proprement démiurgique qui caractérise le mouvement révolutionnaire. La démarche, anthropologiquement matérialiste et mécaniciste (déjà visible chez Descartes), est typiquement totalitaire au sens où l'entendait Hannah Arendt, soit, en l'occurrence, « l'élimination des individus au profit du processus et du progrès triomphant de l'espèce »(4). Philippe Pichot-Bravard écrit très justement que « pour régénérer l'homme, les Jacobins se servirent de plusieurs instruments : la loi, l'éducation, le calendrier, la religion civile, les fêtes civiques, la guillotine et les colonnes infernales »(5). Ces deux derniers et d'autres (noyades, viols, embrochements, désarticulations, exécutions sommaires, etc.) furent impitoyablement utilisés lors de l'écrasement génocidaire, systématique et planifié (décret de la Convention nationale du 1er octobre 1793) de la Vendée. « La Terreur est la légalité » affirmait encore Hannah Arendt démontrant qu'elle était inhérente au totalitarisme. Sans rougir le moins du monde, Robespierre la justifiait en ces termes : « la Terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu. » C'est au nom de cette « vertu » glorifiée que la Révolution française a banalisé le mal, là où, précisément, ses sectateurs, deux siècles plus tard s'évertueront à le sublimer en allégorie diabolique consécutivement à la Shoah, lors même que le génocide juif n'avait absolument rien à envier à celui des Vendéens.
La République fanatique
Dans son essai précité, La Révolution française n'est pas terminée, l'ancien ministre de l'Eradication nationale, Vincent Peillon n'hésite pas à affirmer que « le temps de l'avènement ou de l'établissement de la République s'inscrit dans une époque où la divinité même de Jésus a été contestée ». Ce faisant, il fait écho au commentaire de l'historien Michelet qui notait que « la Révolution n'adopta aucune Église. Pourquoi ? C'est qu'elle était une Église elle-même ». Le culte de l'Être Suprême instauré par Robespierre prenait précisément acte de l'anticatholicisme concurrentiel de la jeune République terroriste. Prétendant substituer au Dieu chrétien - inscrit dans le cœur, les us et coutumes de la quasi-totalité des Français depuis le baptême de Clovis -, celui, laïque, du peuple - d'ailleurs plus idéologiquement fantasmé que concrètement pratiqué (suffrage censitaire, exclusion des femmes, souveraineté parlementaire) - la République n'eut d'autre choix que de verser le sang de celui-ci en immolant celui-là au nom de la Raison des Lumières. Au dogme de 95 % de la population, la République opposera son fanatisme sanglant (constitution civile du clergé, nationalisation des biens ecclésiastiques, proscription des congrégations) fracturant la France à jamais. Selon François Furet, « la rupture révolutionnaire [républicaine] la plus profonde est celle de l'unité catholique des Français, qui ne sera officiellement consommée qu'un siècle plus tard, avec la séparation de l'Église et de l'État ».(6) Aujourd'hui, la République, fidèle à son universalisme antichrétien (donc, par métonymie, antifrançais) originel, tient toujours le peuple sous sa férule d'intolérance en l'abandonnant au noachisme de ses prêtres consacrés, « les juifs, sentinelles de la République », selon le mot de Roger Cukierman, président du CRIF
Notes
1) Jean Tulard, Le Livre noir de la Révolution française (Cerf, 2008)
2) Stéphane Courtois, Les Logiques totalitaires en Europe (Le Rocher, 2006)
3) L'Homme régénéré (Gallimard, 1976)
4) La Crise de la culture (Folio, 1989)
5) Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française (Via Romana, 2014)
6) Le Point 16 janvier 1993
Aristide Leucate Réfléchir&Agir