Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Charles Gave : « C'est le moment de vérité pour la zone euro »

Charles Gave  C'est le moment de vérité pour la zone euro.jpeg

Propos recueillis par l'abbé Guillaume de Tanoüarn

Charles Gave, économiste libéral bien connu, considère que la présente crise sanitaire va déboucher sur une crise économique sans précédant dans la zone euro, une crise providentielle qui va rendre aux nations leur légitimité pour sortir de la grande récession annoncée.

Nous sommes en train de voir venir une crise sans proportion avec aucune autre, une crise économique qui ne ressemblera ni à la crise de 1929 ni à celle de 2008 et qui risque bien de prendre tout le monde de court ?

Effectivement les deux crises auxquelles vous faites allusion étaient des crises financières. Cette crise n'est pas une crise financière, c'est une crise sanitaire, qui a été mal gérée au départ et qui entraîne déjà l'effondrement du chiffre d'affaires des sociétés de service sur lesquelles depuis la désindustrialisation repose notre économie les sociétés d'événementiel, le tourisme, mais aussi, cher Père, à sa manière l'Église catholique, toutes ces entreprises connaissent une baisse de leur chiffre d'affaires qui pour l'instant est de 100 %. Ce à quoi on assiste, c'est à un effondrement de la rentabilité du secteur privé, ce qui immédiatement va créer du chômage et une vaste déstabilisation de notre économie.

Qu'entendez-vous par « déstabilisation de notre économie » ?

En France, la part du secteur public dans le PIB est de 57 %. C'est le plus élevé du monde. Même la Chine communiste n'en est pas encore là ! L'Etat va continuer à payer pour ces 57 %. Et il va devoir payer les chômeurs. Les 43 % du secteur privé vont s'effondrer Prenez le tourisme qui représente environ 10 % des activités privées, 20 % du total. Nous sommes immédiatement à un secteur public à 65 % du PIB. Un chiffre qui peut évoquer des pays comme le Venezuela ou le Zaïre. Plus personne ne croit aujourd'hui qu'une telle situation pourrait durer. Nous allons donc, nous Français, vers la faillite.

Nous Français, mais aussi l'ensemble de l'Europe ?

Pas de la même façon. Il y a les pays qui peuvent prendre un choc et d'autres qui ne le peuvent pas. L’Allemagne à un secteur public qui aujourd'hui fait 43 % de son PIB. Il va monter à 50. C'est viable. Alors qu'en France la matière fiscale n'est pas suffisante pour tenir, comme en Italie d'ailleurs, où le tourisme représente 12 % de l'économie. C'est le problème de toute l'Europe du sud, dont la force productive a été appauvrie par l'euro. Savez-vous que l'Italie, jusqu'aux années 2000 était plus forte que l'Allemagne à l'export ? Devant les perspectives financières qu'offre notre crise sanitaire, les économistes vous diront aujourd'hui que l'avenir est indéchiffrable face à un tel effondrement, plus aucun de nos modèles ne marche, affirment-ils. C'est bien qu'ils s'en rendent compte de toutes façons leurs modèles n'ont jamais marché. Eh bien ! Mon idée est simple, La nature a horreur du vide. Il faudra changer complètement et revenir à la logique de l'économie. À vouloir toujours augmenter les bénéfices, on oublie que l'économie est une branche de la logique, et qu'elle comporte un certain nombre de règles, que l'on ne peut pas violer indéfiniment.

Quelles sont ces règles par exemple ?

Nous avons tout réduit à la valeur financière des sociétés, mais il est clair que dans l'économie réelle, la rentabilité du capital est un critère supérieur à ce que l'on nomme le coût du capital. La financiarisation du monde trouve ici ses limites. Disons de façon plus générale que concrètement, la seule façon de redresser la situation, c'est le redépart de la croissance. Ce redépart est envisageable dans les États qui ont un secteur privé fort. Mais dans les États comme le nôtre, ce sera très difficile pour les raisons que je viens de vous donner.

Quels sont les scenarii pour la France ?

Les économistes comme nous le disions n'ont pas de solution. Soit on appelle le FMI et on met sous tutelle non seulement la France mais l'Italie et l'Espagne soit la deuxième, la troisième et la quatrième économie de la zone euro... Soit on procède, quoi qu'en pense l'Allemagne, à une dévaluation de l'euro. On nous parle beaucoup de plans européens de sauvegarde, mais on sait que ces plans de secours consistent toujours à payer les gens pour ne rien faire. Dans un contexte de shutdown universel, on va vite comprendre qu'on met les gens sous transfusion, mais qu'il faudra avouer, à un moment ou à un autre, qu'il n'y a pas assez de sang pour tout le monde.

On va rentrer de plein fouet dans la crise de la social-démocratie ou de l'État providence. Il y a déjà trop d’État, les Français d'après les chiffres sont les champions du monde de la pesanteur administrative. Une nouvelle augmentation - nécessaire - de la ponction fiscale va casser le système. En effet la crise que nous traversons va toucher avant tout les petits entrepreneurs, ceux qui représentent 90 % des emplois créés en France. Je pense à Avignon qui est une ville que je connais bien. Tous les commerçants font leur recette au moment du festival et le festival a été annulé... Cette couche des petits entrepreneurs, qui prennent des risques financiers, va être absolument décimée : elle se retrouvera dépendante de systèmes sociaux qui ne seront plus financés.

La cause principale de la fragilité de la France, c'est l'hypertrophie bien française du secteur public ?

Disons que le siège social « État Français » représente le double de ce qu'est le Siège social État suisse pour la Suisse (30 % du PIB). Si on utilise la métaphore des courses de chevaux, disons que le cheval France court avec sur le dos un jockey de 80 Kg. Je crois que cette comparaison parle d'elle-même. Pour la France, cette crise de la social-démocratie représente le moment de vérité d'une fuite en avant engagée sous Giscard d'Estaing, le président qui a commencé à considérer l'équilibre budgétaire comme une option possible et plus comme un objectif fondamental.

Comment voyez-vous ce moment de vérité ?

C'est le moment où tout le monde aura compris que la désindustrialisation en France n'est pas créée par la Chine mais par l'euro. L'euro va exploser. Il ne suffira pas de jouer sur les taux de change... Il faudra une vraie dévaluation pour relancer l'activité, celle de la France mais aussi celle de l'Italie, où le niveau de vie n'a pas monté depuis 20 ans. Quand il va commencer à baisser de façon sévère, il faudra bien enterrer l'utopie européenne, dont le destin se joue au sud. C'est au sud de l'Europe que sera l'épicentre de la crise, quoi dévoile la vérité du système. L'Italie du nord doit choisir entre la nation italienne et l'imbécillité européenne. Politiquement Salvini va revenir en force parce que cette vérité de l'économie italienne, plombée par l'euro, il est le seul à la dire. Le Parti Démocrate en Italie, c'est l'ancien PCI qui tente de survivre. Il a remplacé l'utopie communiste par l'utopie européenne. En réalité, ce qu'ont voulu faire les Lamy, les Delors, les Trichet, c'est une sorte d'union soviétique européenne au moment même où l'Union soviétique s'effondrait. On a laissé entendre que cet effondrement était dû aux fonctionnaires russes mais qu'avec des fonctionnaires français, allemands ou italiens il n'en serait pas de même. Cette crise nous fait bien voir que ce ne sont pas les fonctionnaires russes qui ont tué l'Union soviétique, c'est la technocratie elle-même qui ne marche pas. Cette crise pourra être surmontée en souplesse par la Chine, par les États-Unis qui ont l'étalon dollar, par tous les pays qui peuvent jouer sur leur monnaie, mais elle va faire un mal fou au système le plus rigide du monde, celui de la zone euro. La vérité, c'est qu'il peut et qu'il doit exister une coopération entre les nations européennes, mais que l'Europe ne sera jamais une nation. L'Europe est une civilisation, ce n'est pas pareil !

Quels sont les remèdes ?

Il faut absolument que nous ayons un État qui assure l'état de droit par ses fonctions régaliennes, la sécurité intérieure et extérieure, la justice et la santé. Malgré une ponction fiscale sans équivalent dans le monde, aucun de ces quatre secteurs ne marchent véritablement en France. La question : c'est évidemment mais où passe le pognon ? Quand vous savez qu'il y a trois millions de cartes vitales de plus que de citoyens en France... vous mesurez les ravages de la caste administrative qui trait la France. Le principal problème français est là, je l'ai démontré naguère dans un ouvrage qui a rencontré un vrai succès Des lions menés par des ânes. Cette hyper-règlementation touche tous les domaines, on l'a vu tout récemment encore dans l'épisode de la chloroquine par exemple.

Le domaine purement économique n'est pas épargné. Avant tout, en bridant toute liberté d'entreprendre, l’administration empêche que soit reconnu un véritable droit au travail, selon le principe formulé par saint Jean « Nul n’a le droit de vous priver du fruit de votre travail » ( II Jean 1 8). Pour l'instant on est très loin de ce principe de la liberté du travail. On vous donne moyennant finance une autorisation d'entreprendre, ce n'est pas la même chose.

Vous ne croyez pas au grand plan européen de 2 000 milliards pour faire face à la crise ?

Ce qu'on nous propose derrière ce plan, c'est un vieux slogan que l'on entendait déjà après la Guerre de 14 : « L’Allemagne paiera ! ». Le projet de mutualisation des dettes et de coronabounds dont nous entretient M. Macron, c'est cela qu'il veut dire. Or non seulement l'Allemagne n'a aucune intention de payer, mais l'idée d'une mutualisation des dettes est formellement interdite par la constitution allemande (il faut 75 % au Bundestag pour revenir sur un article de la constitution). Cette mutualisation est exclue aussi par le traité qui est à l'origine de l'euro. Emmanuel Macron n'est pas sans savoir tout cela, mais il commence une mise en scène contre le bouc émissaire allemand. La germanophobie a de beaux jours devant elle ! La vérité c'est qu'il n'y a pas de volonté de vivre ensemble chez les Européens. Vous savez l'économie, c'est la science de la gestion de la maison. Chaque maison est gérée différemment. C'est la merveilleuse diversité que vous donne la liberté, expérience et acceptation de l'échec.

Photo L'Allemagne refuse d'ores et déjà une mutualisation des dettes nées du Coronavirus. L'UE face au plus important défi de son histoire selon ses propres mots...

Monde&Vie 1er mai 2020

Les commentaires sont fermés.