Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vite instaurer un droit au silence pour les artistes !

6a00d8341c86dd53ef0263e8614c38200d-800wi

Le covid-19, l'angoisse qu'il secrète pour le présent, les imaginations qu'il libère pour le futur, ont fait naître une multitude de paroles et d'écrits, de pétitions et de tribunes, d'analyses et d'injonctions, de recommandations et de dénonciations. J'ai tenté, à peu près, de prendre connaissance de la plupart, le confinement m'ayant rendu encore plus "accro" à l'information pluraliste.

Dans le lot on a eu beaucoup d'interrogations fondamentales mais lassantes à force d'être ressassées : comment sera le monde d'après ? Changera-t-il ou non ?

Face à ce questionnement simpliste, comme je l'ai écrit, la lettre profonde de Michel Houellebecq fut comme un soulagement. Il ne nous annonçait aucune rupture mais au contraire nous décrivait lucidement aujourd'hui comme la continuation d'hier.

Dans cette surabondance, j'ai eu modestement ma part avec la multiplication de mes billets mais on admettra qu'ils existaient avant l'épidémie et que l'immobilité les a seulement augmentés.

En revanche j'avoue que certaines interventions ne m'ont pas surpris, que d'autres m'ont intéressé et que telle ou telle m'ont indigné.

Qu'un Vincent Lindon, dont le talent est grand comme acteur et il le sera encore plus quand on l'invitera à articuler, ait lu sur Mediapart sa réflexion sur la situation actuelle en soulignant le tragique écart entre les privilégiés et les démunis à cause du coronavirus, en critiquant vigoureusement le pouvoir et la pratique du président Macron et en proposant des pistes généreuses avec une étonnante inflexion punitive, ne m'a pas étonné. Cet acteur, par ailleurs passionnément citoyen, a le mérite de la rareté dans le débat public mais il ne s'implique que sur le mode du "coup de gueule". Il peut agacer mais il est sincère. Impossible de le traiter avec condescendance ou dérision. Ou avec indignation.

Ce sentiment extrême doit être réservé à Juliette Binoche qui à titre personnel s'est autorisée à relayer un complotisme délirant - des groupes financiers internationaux auraient pour projet d'installer une puce sous-cutanée pour tous ! - et a signé, par ailleurs, avec 200 artistes et scientifiques, une lettre adressée aux dirigeants et aux citoyens du monde entier pour les inciter à refuser "un retour à la normale".

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/06/non-a-un-retour-a-la-normale-de-robert-de-niro-a-juliette-binoche-de-joaquin-phoenix-a-angele-l-appel-de-200-artistes-et-scientifiques_6038775_3232.html

Il n'y aurait pas de quoi, fût-ce en le pourfendant, faire un sort particulier à ce texte s'il n'émanait pas de personnalités prenant prétexte de leur statut visible, lumineux, pour s'abandonner à un paradoxe au mieux incongru, au pire indécent.

Les incitations qu'elles formulent avec toutes les apparences de certitudes scientifiques et de convictions dogmatiques, comme si les unes et les autres étaient irrécusables, reflètent tristement le vice de ces pétitions progressistes, en rupture avec la normalité de tous ces gens qui n'ont pas le loisir de penser de manière provocatrice l'avenir. Ils n'ont que leur existence à assumer en souhaitant, tout bêtement, tout naïvement, que demain soit moins angoissant qu'aujourd'hui et qu'ils puissent retrouver une tranquillité de vie à peu près assurée, sans les tragédies et les morts qui endeuillent et sans la détresse d'un quotidien de plus en plus incertain.

L'aspiration à désirer plus que tout le retour à la normale est d'abord faite de cela : sortir du pire professionnel et familial, ne plus avoir à s'inquiéter pour soi et pour ses proches, restaurer le bonheur d'avant, la société antérieure, la civilisation effacée, aussi imparfaites qu'elles puissent apparaître à des sensibilités artistiques qui s'octroient le luxe de cracher sur elles.

En refusant le retour "à la normale".

Rien ne m'exaspère plus que ce snobisme chic et dédaigneux, ces paradoxes de privilégiés, ces considérations faussement audacieuses mais vraiment ineptes, ce mépris subtil projeté sur le commun qui n'a pas compris que le pire ne devait pas être rejeté mais encouragé.

On ne devrait pas jouer ainsi avec les préoccupations dominantes en se lovant confortablement dans une utopie qui vous pose un artiste !

Je ne vois qu'une solution pour interdire à l'avenir ces foucades singulières ou collectives : que nos spécialistes des libertés et des droits de l'homme exigent pour les artistes un droit au silence !

Nous n'aurions plus Juliette Binoche que comme actrice. Le meilleur d'elle.

https://www.philippebilger.com/blog/

Les commentaires sont fermés.