Ancien député européen, économiste et monétariste, membre du Front national jusqu’en 2018. puis de Debout la France. Bernard Monot a signalé dans les médias les dangers auxquels un éventuel recours au Mécanisme européen de stabilité financière (MES) exposerait la France. Monde&Vie l'a rencontré.
Propos recueillis par Hervé Bizien
Vous dénoncez le danger que fait planer le mécanisme européen de stabilité (MES) sur la souveraineté française. Qu'est-ce que cette institution ?
Pour l'Union européenne, qui n'existe qu'à travers les États membres, tous les moyens sont bons pour aller vers un modèle fédéraliste, conçu sur le modèle archaïque des États-Unis d'Amérique et de l'URSS. Ses promoteurs profitent de l'actuelle crise sanitaire pour avancer en ce sens, en utilisant des instruments inventés lors de la crise financière et économique de 2008-2012. Un Fonds européen de stabilité financière (FESF) avait été créé en catastrophe en 2010, à l'occasion du risque de faillite de la Société générale. Puis fut inventé un Mécanisme européen de stabilité financière (MESF). Et en 2012, un traité a institué le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui les a remplacés. Ce traité confère en quelque sorte à cette nouvelle institution, pour la politique budgétaire fédérale de la zone euro, un statut comparable à celui dont bénéficie la Banque centrale européenne en matière de politique monétaire.
Que contient ce Mécanisme européen de stabilité et quels en sont les dangers ?
Son contenu est très confus. Jusqu'à présent, ce MES n'avait été actionné qu'à travers quelques aides octroyées à la Grèce, à l'Espagne, au Portugal et à l'Irlande, qui ont bénéficié en moyenne de 250 milliards d'euros sur les 700 milliards constitués en 2012 et en ont depuis remboursé une bonne partie. Aujourd'hui, c'est au tour de l'Italie et probablement bientôt de la France d'être concernées. Le mardi 23 avril, un prochain conseil européen devrait entériner un accord conclu par l'Eurogroupe la semaine dernière, qui décide d'actionner ce qu'ils appellent le Plan Marshall européen, combinant le MES, les lignes de crédit de la Banque européenne d'investissement (BEI) et constituant aussi un fonds de solidarité et de soutien lié à la lutte contre le coronavirus. L'enveloppe totale, d'environ 500 milliards pour l'ensemble des États membres, est insignifiante au regard de l'ampleur de la crise économique à venir qui finira probablement en dépression économique à partir de 2021, et aussi de la crise financière et bancaire qui suivra. Mais le MES exerce un contrôle et une prise de pouvoir sur les finances publiques de l'Etat qui l'actionne. Il serait d'ailleurs paradoxal que Macron, Edouard Philippe et Bruno Lemaire décident le 23 avril de faire appel au MES, alors que la France en est l'un des grands contributeurs (comme d'ailleurs du budget de l'Union européenne) et a donné environ 20 % des 140 milliards d'euros nécessaires à sa création en 2012. On nous prêterait l'argent que nous avons donné ! Ça n'a aucun sens et montrerait que nos dirigeants politiques, sont de connivence avec la Commission européenne et la Banque centrale européenne (BCE), pour faire avancer l'agenda fédéral de l'Union européenne en livrant les finances publiques de notre pays à une institution supranationale.
Y a-t-il d'autres contreparties ?
La contrepartie du MES, ce sont des réformes structurelles, dictées par l'obsession permanente d'imposer l'orthodoxie budgétaire allemande aux 18 autres pays de la zone euro, en particulier à ceux que les promoteurs du fédéralisme européens accusent d'être des dépensiers et qui, comme la France, possèdent des systèmes de protection sociale relativement élevés. En réalité, ils voudraient siphonner nos budgets sociaux pour que l'on puisse rembourser les intérêts de la dette : d'abord, notre dette publique, officiellement de 2 300 milliards en 2019, en réalité de 1850 milliards. Ils nous rajoutent donc cette ligne de crédits qu'ils vont actionner à hauteur d'environ 45 milliards pour la France, à utiliser pour le rétablissement après la crise du coronavirus, mais la contrepartie sera beaucoup plus importante lorsqu'il s'agira de rembourser au MES le montant et les intérêts du prêt : ce sera le saccage de l'ensemble du système de protection sociale français. Le MES est un outil de torture budgétaire. Pourtant, il n'y a pratiquement pas de débat à ce sujet en France aujourd'hui, je pense être l'un des rares hommes politiques à tenter d'alerter l'opinion publique sur le danger de perdre notre souveraineté budgétaire. Notre classe politique, quelle que soit la couleur politique, applique la politique de la Commission européenne et des lobbies qui sont derrière elle, en privilégiant le système ultra-libéral et mondialiste qui est en train de nous tuer. Au contraire, les Italiens, très au fait des sujets politiques et économiques, réagissent fortement, énormément. La majorité d'entre eux s'y oppose farouchement.
Il n'y a pas que le MES, mais aussi le plan d'urgence pour le chômage partiel, le fonds de solidarité paneuropéen, la BEI... Tout cela va-t-il dans le même sens ?
Oui. Ce qu'il faut savoir c'est qui dirige ces prétendues institutions supranationales. Le MES a un conseil d'administration, mais ses manettes sont tenues par les Allemands. Son directeur général est l'ancien ministre des finances allemand Klaus Regling. Le président de la BEI, Werner Hoyer est un homme politique allemand. La présidente de la BCE, Mme Christine Lagarde, est française, mais ceux qui y détiennent le vrai pouvoir sont les 21 directeurs généraux, en majorité Allemands... Je vous rappelle que la BCE est une banque centrale, indépendante depuis le traité de Maastricht. Aucun politique ni Etat membre ne peut donc lui réclamer de comptes. Ce sera aussi le cas du MES, qui jouit d'une immunité judiciaire et administrative totale. Tous ces instruments sont faits pour prendre le contrôle des États; si le gouvernement décide d'actionner le MES, c'est un coup d'État de l'Union européenne contre la France qui se prépare. Nous le saurons le 23 avril. C'est gravissime, alors qu'il existe d'autres solutions.
Lesquelles ?
Il existe une alternative, en mettant en place le même type de plan que le président de la BCE, Mario Draghi, en 2015, quand la zone euro menaçait d'éclater : monétiser la dette publique en recourant à la fois à la BCE, à hauteur de 20 %, et aux banques nationales (la Banque de France, à hauteur de 80 % des 500 à 600 milliards dont la France avait bénéficié). Avec un grand plan massif et rapide de 200 milliards d'euros au minimum, on pourrait financer un plan de relance économique à partir de 2020 pour réindustrialiser la France, recréer des emplois, maîtriser notre filière énergétique, peut-être en nationalisant Alstom Energie, reprendre le contrôle et le pouvoir de décision dans notre pays. Nous préserverions ainsi notre indépendance vis-à-vis des institutions supranationales telles que le MES, la BEI et surtout la commission européenne. Car le MES, c'est en quelque sorte la troïka (c'est-à-dire la Commission européenne, le FMI et la BCE) déguisée, la fée Carabosse grimée en Cendrillon pour aller au bal des vampires ! Là où passe la troïka, le social disparaît La Grèce offre un exemple des dégâts sociaux et économiques qu'elle commet : le montant des engagements publics n'y est toujours pas réduit, la récession a atteint environ 35 à 40 % sur 7 8 ou 9 ans, les gens sont dans le dénuement le plus complet, le taux des suicides a augmenté, les patrimoines nationaux ont été vendus, y compris le port du Pirée et des sites archéologiques, des îles grecques sont passées sous contrôle allemand... C'est le pillage en col blanc, avec une suprématie allemande qui transparaît partout.
L’Allemagne joue son propre jeu et, depuis les années Mitterrand, la France aussi fait le jeu de l'Allemagne. Cette dernière est le seul des dix-neuf pays de la zone euro à être excédentaire en matière budgétaire, grâce à l'opportunité de l'euro, créé à la parité du deutschmark et qui a, lentement mais sûrement, siphonné les richesses des autres pays membres, notamment ceux que les Allemands appellent les pays du sud la France et l'Italie, mais aussi l'Espagne, le Portugal, la Grèce... Nous sommes à genoux devant l'Allemagne et l'amitié franco-allemande est un leurre. J'ai suffisamment côtoyé les Allemands au Parlement européen pour savoir qu'ils aspirent à une suprématie de leur pays, une revanche historique sur les deux guerres mondiales et le traité de Versailles de 1918. Il faut en prendre conscience et agir en conséquence : les Allemands défendent leurs intérêts; les Français doivent en faire autant. Cela n'empêche pas de nouer des alliances et des coopérations face à un risque externe, ni de constituer une Europe des patries, à laquelle je suis favorable. Mais sans tomber dans le piège d'une Union Européenne fédérale qui deviendrait les États-Unis d'Europe.
photo L'inquiétude des économistes sur la suite de la pandémie s'illustre de cette photo d'une rue déserte de Wuhan. ville chinoise de... 11 millions d'habitants, qui semble être tirée d'un film apocalyptique de série B.
Monde&Vie 1er mai 2020