Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vertus du protectionnisme (2011)

C’est un sujet extrêmement délicat si l'on sort des dogmes des instances internationales. Tout est en sous-entendu, hypocrisie, partie de poker-menteur En période de crise, qu'on le souhaite ou qu'on le déplore, le protectionnisme va fatalement se développer dans chaque pays, même si les dirigeants, la main sur le cœur, proclament dans les réunions internationales qu'ils ne le pratiquent pas.

Dans un cadre de libre-échange mondialisé, il y a bien sûr des pays gagnants et des pays perdants. Ces derniers ont donc plus intérêt à pratiquer un certain protectionnisme. La problématique n'est pas un choix entre une absence totale de protectionnisme ou un protectionnisme total coupé de l'extérieur. Tout est dans le dosage, les secteurs que l'on protège ou non dans le but de garantir l'emploi, une industrie qui est la preuve d'un savoir-faire technologique, la nation étant encore une réalité économique et historique.

Le protectionnisme s'appelle aussi parfois patriotisme économique, tout étant une question de terminologie. Pour la gauche, le patriotisme n'est pas loin du nationalisme, donc suspect. « Protectionnisme = Hitler », pour résumer une certaine pensée imbécile. Pour la droite libérale, libre-échangiste, mondialiste, l'économie n'a pas de patrie, seuls comptent le profit et la finance.

Les hommes politiques successifs au pouvoir ont voté, appelé à voter tous les transferts de souveraineté et tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont signé les accords qui entérinaient la mondialisation et le libre-échange, ce qui, par le fait même, anéantissait l'idée de protectionnisme, qu'il soit français ou européen.

Tout cela n'a pas empêché le protectionnisme de continuer à exister. Tout secteur considéré comme stratégique pour les États-Unis doit rester américain. L'Allemagne est très sourcilleuse sur le maintien de son industrie. Quant aux Italiens, ils ont tout fait pour que leurs banques restent nationales. Il y a donc les accords internationaux que l'on signe et ce que l'on fait en pratique.

Nous disons de façon pragmatique que la France a raison de sauvegarder ses grosses entreprises. Pourquoi ? Parce que la France a malheureusement peu de PME et de PMI en comparaison des autres pays.

Si l'on tenait seulement compte des mécanismes financiers et de la loi du profit, il n'y aurait plus d'usines en Europe. Si Renault délocalisait toutes ses usines en Inde ou en Roumanie, il multiplierait par deux ou trois ses profits.

Le protectionnisme le plus efficace et le mieux accepté par les organismes internationaux est bien sûr la dévaluation de sa monnaie. Les Européens de la zone euro ne peuvent pas le faire, ce qui a été un énorme handicap pour eux. L'euro n'est pas adapté aux différentes compétitivités nationales. L'euro dans les faits est un mark qu'on a appelé euro.

Certains économistes comme Maurice Allais considèrent que le commerce international doit se faire dans des zones économiques de développement comparable comme l'Europe (non compris les pays de l'Est). Pour lui, et non sans raison, si l'on regarde le bilan actuel, les politiques gouvernementales n'ont fait que sinistrer la France depuis vingt ans et même plus (la première désindustrialisation a eu lieu dans les années 1978-85) Dans une période de crise où toutes les règles deviennent plus élastiques, il va de soi que les dirigeants qui veulent se faire réélire vont favoriser leurs concitoyens. D'autres économistes continuent à prôner le refus obstiné de tout protectionnisme. Il faut surtout y voir le refus des financiers de perdre des avantages acquis et la possible perte de rentabilité de leurs actifs financiers.

Dans la mondialisation, marxiste ou pas, il y a incontestablement une lutte des classes pour le partage des liquidités déversées sur la planète. Il fallait être culotté pour traiter de « pieds nickelés » les trois pontes de l'économie que sont Patrick Artus, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry comme l'a fait Emmanuel Todd. Il faut lui reconnaître de n'avoir pas été inhibé par l'argument d'autorité. Des économistes tout aussi éminents avaient, il est vrai, pris position pour un certain protectionnisme au niveau européen. On s'envoie donc à la figure des mots fleuris comme « pieds nickelés » ou « ligne Maginot », mots d'insultes qui ne font appel ni à la théorie économique, ni à ce qu'on observe et qui est pourtant inquiétant, la disparition de l'industrie en France et en Europe.

« Le pays qui dispose relativement de plus de capital (ou de travail) aura intérêt à produire et à exporter le bien qui utilise davantage de capital (ou de travail) ». Ce résultat semble bien obsolète, puisque le capital et le travail sont maintenant très mobiles. On voit donc toute la faiblesse de la théorie sur laquelle se fonde le libre-échange. Les économistes comme les scientifiques ont tendance à "objectiver" la théorie économique, c'est-à-dire à croire que la "réalité" découle de la théorie.

Pour les partisans du protectionnisme "raisonnable", il existe aussi des résultats théoriques comme le théorème de Stolper-Samuelson et celui du tarif optimal qui, globalement, énoncent que les pays ont intérêt à se regrouper en zones assez importantes pour peser sur le marché mondial et à conserver une certaine protection douanière que l'on pourrait qualifier d'optimale.

Voilà pour ceux qui veulent absolument des justifications théoriques à leurs idées ou opinions. De tout cela, on peut quand même dire que les partisans du libre-échange ont gagné la partie. Pour eux, le commerce profite non par ses exportations (ce qui revient à travailler pour les autres) mais par les importations. Pour les libre-échangistes, consommons donc à tout-va les importations. Cela sert l'intérêt général.

On savait déjà que les multinationales faisaient peu de cas des intérêts nationaux mais maintenant, c'est aussi vrai pour les PME qui ont de plus en plus souvent intérêt à délocaliser. Jusqu'à quel point un pays (ou l'Europe) peut-il laisser son industrie (et ses services) disparaître ?

Les « pieds nickelés » ont dit : « pas de protectionnisme pour l'Europe », mais il existe pour les autres. La politique de change que pratiquent les États-Unis et la Chine est sans doute la forme de protectionnisme la plus efficace avec un dollar et un yuan faibles. Pékin aide massivement ses entreprises, ce qui n'empêche nullement Bruxelles de commercer avec elles et Bruxelles ne distribue pas à la Chine les amendes qu'elle inflige aux pays européens. Avec l'euro fort qui profite surtout aux retraités, l'Europe s'est tiré une balle dans le pied.

En conclusion, nous dirons que la France, pour le maintien de son industrie et de ses emplois, a intérêt à pratiquer une forme de protectionnisme raisonné en attendant que les pays émergents se développent de façon autocentrée, comme notre pays pendant les « trente glorieuses ». Il faut réaliser un protectionnisme gradué, c'est-à-dire pratiquer le libre-échange avec les pays au développement économique comparable, ce qui évitera toute rétorsion, et procéder au coup par coup avec des pays comme la Chine. Il faut aussi profiter de la crise pour mettre de côté les directives mortifères de Bruxelles qui semble dépassée par les événements.

Ce mode d'emploi sera sans doute celui de la plupart des pays.

Patrice GROS-SUAUDEAU, Statisticien-économiste. Écrits de Paris N°738 Janvier 2011

Les commentaires sont fermés.