Brigitte Bardot, questionnée par André Bercoff – j’étais présent dans le studio – s’est déchaînée, au téléphone, sur l’insécurité de la France, les « lâches » qui nous gouvernent et les affaires graves qui, depuis quelques jours, assombrissent et indignent la France (Sud Radio).
Pour ne parler que de Thomas, poignardé par un homme sorti de prison par anticipation à la suite du Covid-19. De la gendarme de 26 ans tuée par un chauffard, sous l’empire de la drogue et de l’alcool, au casier judiciaire bien pourvu dans le domaine de cette délinquance automobile. Du chauffeur d’autobus à Bayonne dans un coma profond parce qu’il avait accompli son travail à l’égard d’une personne sans masque et avec un chien. Agressé violemment par un groupe dont quatre ont été interpellés.
J’entends bien que réunir ainsi trois tragédies, au fil de l’actualité, pourrait donner l’impression d’une focalisation abusive au regard de l’état quotidien de la France.
Pourtant, qui peut nier qu’avant même d’autres griefs qui pourraient être formulés à l’encontre de la présidence d’Emmanuel Macron, la tare indubitable relève de l’autorité de l’État et de son délitement, des infractions qui se multiplient avec ce sentiment d’une impuissance qui constate et regarde plus que d’une force qui combat ?
Certes, il n’est pas un pouvoir qui n’ait, à un moment ou à un autre, été attaqué sur ce plan : on a toujours eu tendance à le trouver trop faible, trop laxiste sous toutes les latitudes politiques avec, paradoxalement, moins d’indulgence pour la droite présumée rigoureuse et efficace que pour la gauche par nature compassionnelle.
J’ai peur pour Brigitte Bardot.
Parce qu’elle n’est pas si éloignée de la vérité, de la réalité quand elle pousse son « coup de gueule » avec une audace à laquelle elle nous a habitués dans un monde frileux et au regard d’une communauté artistique qui est aux antipodes d’elle. Mais cela ne la gêne pas. L’avantage d’être une icône est de pouvoir tout dire et de se moquer de la réception qui est faite de ses propos.
Si tous les régimes sont peu ou prou taxés de mansuétude à un moment ou à un autre, celui présidé par Emmanuel Macron, sur ce plan, est hors catégorie car je ne me remets toujours pas, en particulier, de l’incitation adressée à Nicole Belloubet pour qu’elle reçoive la famille Traoré alors que l’instruction était en cours.
La nomination de Gérald Darmanin comme ministre de l’Intérieur – je le félicite d’avoir désorganisé, pour obtenir ce poste, un organigramme déjà programmé – est une excellente nouvelle et j’espère ne pas me tromper en le percevant dans la lignée de Nicolas Sarkozy Beauvau 1. Il y aura enfin quelque chose de cohérent et de solidaire grâce à ce ministre.
Il y aura également une configuration rare. En général, dans notre histoire politique, il y avait seulement un ministre fort sur deux : plus souvent Beauvau que la Chancellerie (le garde des Sceaux). Dans ce gouvernement, avec des profils et des parcours différents, aussi bien Éric Dupond-Moretti que Gérald Darmanin ne sont pas falots et cette part régalienne n’est pas médiocrement servie. Enfin.
Le Premier ministre lui-même a manifesté d’entrée son attachement à l’exigence de sécurité et aux forces de l’ordre.
Il ne restera plus, au président de la République, qu’à apprendre cette langue qui, jusqu’à aujourd’hui, lui est demeurée étrangère : dans son « en même temps », il y avait de la gauche compréhensive mais pas de droite ferme (mon billet du 15 juin).
Cela ne l’empêche pas, comme apparemment il a fait l’impasse sur son électorat de gauche et vraiment écologiste, de continuer à occuper le champ de droite en ouvrant cette fois, tactiquement, la page de l’autorité et de la rigueur. Il faut dire que cette droite qui se gargarise de « républicaine » y met du sien pour nous persuader de son inexistence, dans ce domaine comme dans d’autres. À l’exception de Bruno Retailleau et de Xavier Bertrand.
J’ai encore peur pour Brigitte Bardot. Elle a déjà été poursuivie ailleurs et la tentation pourrait reprendre un parquet n’ayant rien de mieux à accomplir. Quand elle a affirmé que des populations ne devraient pas être chez nous, j’ai sursauté. Elle dépassait le parler vrai pour aborder la parole brutale, voire interdite.
Si une voix comme la sienne, aujourd’hui, choque moins qu’elle ne réveille et ébranle, cela tient probablement au fait que dans la démesure, l’outrance, elle exprime ce que chacun ressent : les limites du tolérable sont dépassées.
Philippe Bilger