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( Mai 68) Une pulsion totalitaire

Ils jouent, mais ce ne sont pas des marrants. Mai 68, nous en parlons comme d’une farce. Il fallait ajouter sue la farce répand des fantasmes que l’on est obligé de caractériser comme des fantasmes totalitaires… ou en tous cas sanglants…

Mai 68 est une chose sérieuse et morale. C'est Gérard Fromanger qui le dit, qui créa l'Atelier Populaire des Beaux-Arts. « Il n'y avait aucun laxisme, c'était en fait très ordonné ! très moral ! Il n’était pas question de désobéir au vote d'une assemblée générale » (Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1988). Cette discipline, ce respect de l'ordre, cette morale de l'action, cette mystique de l'homme nouveau en train d'être inventé en URSS, en Chine, à Cuba, constituent l'armature - et même l'armure - de Mai 68. Si brève qu'ait été l'insurrection, elle a forgé une génération libérée qui a pris le pouvoir en Mai 81.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de considérer que les étudiants de Mai 68 n'étaient fils que de leurs propres œuvres. Mais ils ont ajouté à la conquête classique du pouvoir une volonté radicale de déconstruction symbolique dont aucune loge ne rêvait, et appliqué la règle de la majorité qui a raison avec une brutalité qu'aucun parlementaire n'avait osée. Le tout avec une bonne conscience confondante qui explique le succès persistant de Mai 68 : la transformation essentielle de la société et des rapports d'autorité était possible puisqu'on l'avait touchée du doigt. Les soixante-huitards sont impénitents. L'architecte Roland Castro explique que « Mai 68 a laissé une trace de bonheur durable, qui suscite de la nostalgie même chez ceux qui ne l'ont pas vécu » (Le Parisien) cependant que le cinéaste Romain Goupil, sectateur de Macron, se souvient avec tendresse que son but « était alors de prendre la tête d'une police politique et d'aller chercher les gens chez eux. Une fois au pouvoir, on aurait éliminé ceux qui s'opposaient à nous ! » Mai 81 consacre l'épuration sociétale entamée par Mai 68, ou plutôt les structures vermoulues cessent de se défendre, privées de défenses immunitaires légale, politique, morale. Mai 81 dans son échec même, c'est-à-dire son adhésion à l'économie de marché, consacre Mai 68 : désormais, le combat ne sera plus que sociétal et le premier septennat de Mitterrand scelle l'alliance des libéralismes économiques et sociétaux. Plus aucun frein à la jouissance ! Plus d'entraves, et tout l'argent pour se satisfaire. Plus de bornes non plus. Nation, frontières, familles, bon sens, bon goût ne sont plus utiles dès lors qu'on passe d'un système de transmission à un système de consommation. Une consommation matérielle et mystique : la société se dévore elle-même dans l'assouvissement continuel d'appétits jamais rassasiés. Rien n est à conserver puisque tout conservatisme est un frein au marché, un potentiel profit qui ne peut se réaliser.

Abolir les limites protectrices

Mai 68 transformé en Mai 81 instaure l'ère du présent perpétuel, démesurément allongé, un carpe diem ininterrompu qui impose que tout obstacle soit nivelé, puisqu'aucun appui n'est plus nécessaire, que le socle devienne inconsistant, puisque plus rien n'est à bâtir.

Aucun avenir n'étant à envisager sinon la reproduction infinie du moment dionysiaque fondateur, nul besoin d'imaginer demain. Les utopies communistes et les lendemains qui chantent rejoignent la fosse aux vieilleries. « Il est interdit d'interdire » : toutes les interdictions sont remises en causes, et on assiste aux noces du no future et du no limit. Plus besoin de passé puisqu'il pue (« papa pue », slogan de Mai 68), plus besoin d'avenir puisqu'on peut libérer immédiatement toutes les conditions du bonheur : le seul réfèrent sera Aujourd'hui, la seule volonté politique, celle de maintenir ce statu quo et ses fétiches, quelle que soit la réalité : ceux qui souffrent sont ceux qui ne jouissent pas de la libération, ils n'ont donc pas droit à la société libérée.

Car Mai 81a une autre filiation avec Mai 68 : son goût pour la violence physique ou symbolique. L'adversaire ne doit pas simplement être défait, il doit disparaître. On ne discute plus, on condamne, comme on projetait d'éliminer. La disparition est médiatique, l'effacement est mémoriel, le vieux monde ne doit plus avoir de substance. Tous les assauts sont permis dès lors qu'une résistance au changement est décelée. Les révolutionnaires de Mai 68 vont trouver à partir de Mai 81 le cadre légal qui leur permet enfin de se transformer en procureurs et en rééducateurs. Toutes les limites protectrices sont d'abord légalement abolies (même si le chemin est long, la voie est droite qui mène de l'abrogation des lois anticasseurs à l'impunité des Black Blocs, de la régularisation des étrangers en situation irrégulière à l'accueil sans condition des migrants, de la normalisation de l'homosexualité à la GPA - et surtout le programme était écrit), puis on enseigne que ces limites, que ces frontières sont inutiles et même nocives et perverses : la législation sur les fake news prend racine dans la loi Gayssot.

On ne sort pas de Mai 68 car Mai 81 l'a inscrit dans la loi, dans les mœurs et dans les esprits. En tout cas un Mai 68, jouisseur et imprévoyant, élitiste et féroce, avide et inquiet, prêt à tout pour durer.

Hubert Champrun monde&vie 29 mars 2018 n°95

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