Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Dette publique: comment les États sont devenus prisonniers des banques 1/4

La crise des dettes souveraines trouve son origine en 2008, quand les Etats ont dû intervenir massivement pour sauver les banques privées, suite à l'éclatement de la bulle spéculative des subprimes. L'heure de la grande explication a sonné II n'est plus temps de s'indigner mais d'agir.

À l'automne 2008, se déclenchait une crise financière mondiale dont l'épicentre se trouvait aux États-Unis. Un an plus tard, de bons esprits déclaraient que le pire était passé et que la crise était virtuellement finie. Elle ne l'était pas. Elle se poursuit encore et n'est pas près de se terminer.

Le plus dur n'est pas derrière nous, mais devant nous; les conséquences seront pires qu'en 1929. La première phase était née d'un excès de surendement des ménages américains. L'économie réelle fut mise en faillite sous l'effet de l'explosion de la dette privée, les entreprises étant frappées de plein fouet par l'effondrement de la demande, ce qui a entraîné une vaste récession planétaire. Aujourd'hui, ce sont les Etats qui sont surendettés. Au problème de la dette privée a succédé le problème de la dette publique, qui affecte aujourd'hui tous les pays occidentaux. Comment en est-on arrivé là ?

Mesurons d'abord l'ampleur du problème. Globalement, la dette publique dans la zone euro a augmenté de 26,7 % depuis 2007 Elle représente aujourd'hui 80 % du produit intérieur brut (PIB) global de la zone, les déficits publics ayant eux-mêmes atteint plus de 7 % de ce PIB. Mais il ne s'agit là que d'une moyenne. Début 2011, huit pays affichaient un ratio de dette supérieur à 80 % de leur PIB la Hongrie et l'Angleterre (80,1 %) l'Allemagne (83 %), la France (85 %), le Portugal (92 %), la Belgique (97 %), l'Italie (120 %) et la Grèce (160 %).

En France, où le déficit de l'État prévu pour 2011 devrait s'établir à 98,5 milliards d'euros (3 200 euros à la seconde !), la dette publique s'est accrue de près de 30 % depuis 2007 Alors qu'elle n'était en 1979 que de 239 milliards d'euros, soit 21 % du PIB, elle est passée en 2008 à 1327 milliards d'euros, en 2009 à 1489 milliards, en 2010 à 1591 milliards. Au 1er semestre de 2011, elle a atteint le chiffre vertigineux de 1681,2 milliards d'euros, soit 84,5 % du PIB, avec un déficit annuel de 7 %.

À la dette nationale s'ajoute la dette locale. Depuis quelques années, les banques se sont en effet ruées sur les collectivités locales pour les endetter par toute une série d'emprunts toxiques. Le 13 juillet 2011, un rapport de la Cour des comptes avouait qu'il n'existe tout simplement pas de statistiques publiques concernant la structure de la dette locale en France. Ce rapport, qui compte plus de 200 pages, estime néanmoins que l'endettement des collectivités locales (hors établissements de santé) est passé de 116,1 milliards d'euros à 163,3 milliards en 2010, soit une hausse moyenne de 41 % (30 % pour les communes, 63 % pour les départements, 80 % pour les régions).

Mais la dette publique n'est qu'un aspect de la dette totale, celle-ci comprenant aussi la dette des entreprises et celle des ménages. Si l'on prend en compte l'ensemble de ces éléments, on parvient pour 2010 à un endettement global de 199,5 % pour la France, de 202,7 % pour l'Allemagne, de 221,1 % pour l'Italie, de 255 % pour le Royaume-Uni, de 269 % pour l'Espagne et de 240 % pour les États-Unis !

Les États pris en otage

L'idée couramment répandue est que la crise de la dette publique résulte d'un excès de dépenses lié à la légèreté des États. Que les États n'aient pas toujours agi dans le bon sens est une évidence, mais les causes profondes sont ailleurs.

La cause immédiate de l'aggravation des dettes publiques tient aux plans de sauvetage des banques privées décidées par les États en 2008 et 2009. Les banques ont forcé les pouvoirs publics à les secourir en faisant valoir la place névralgique qu'elles occupent dans la structure générale du système capitaliste. Pour renflouer les banques et les compagnies d'assurances menacées, les États, pris en otages, ont dû emprunter à leur tour sur les marchés, ce qui a accru leur dette dans des proportions insupportables. Des sommes astronomiques (800 milliards de dollars aux États-Unis, 117 millions de livres en Grande-Bretagne) ont été dépensées pour empêcher les banques de sombrer, ce qui a grevé d'autant les finances publiques. Au total, les quatre principales banques centrales mondiales (Réserve fédérale, Banque centrale européenne, Banque du Japon et Banque d'Angleterre) ont injecté 5 000 milliards de dollars dans l'économie mondiale entre 2008 et 2010. C'est le plus grand transfert de richesse de l'histoire du secteur public vers le secteur privé ! En s'endettant massivement pour sauver les banques, les États ont permis aux banques de se relancer immédiatement dans les mêmes activités qui avaient abouti précédemment à les mettre en péril. Mais ils se sont d'eux-mêmes placés sous la menace des marchés et des agences de notations.

Une autre cause est évidemment la récession économique induite par la crise, qui a diminué les recettes des États et les a obligés à multiplier encore les recours à l'emprunt. Mais la cause la plus lointaine réside dans les politiques de dérégulation et les réformes fiscales (réduction des impôts sur les bénéfices payés par les sociétés privées, en particulier les plus grosses entreprises, cadeaux fiscaux faits aux plus riches) adoptées bien avant 2008, depuis l'époque de Reagan et Thatcher.

Collusion entre marchés financiers et industrie du crime

L'augmentation de l'influence des lobbies financier sur le personnel politique a entraîné la dérégulation progressive des marchés financiers, qui a elle-même provoqué l'explosion des gains spéculatifs drainant le capital hors de la sphère productive. Le libre-échangisme de son côté a favorisé la concurrence déloyale des pays associant salaires minimaux et productivité élevée. La dérégulation, obéissant à la logique du marché mondialisé comme aux exigences de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a abouti dès 1999 à la suppression de toute barrière douanière significative et à l'abolition de fait de la préférence communautaire en Europe. La vitesse à laquelle le capital financier et les capitaux spéculatifs peuvent désormais rentrer ou sortir des économies particulières a encore accru la volatilité des prix des actifs et la gravité des conséquences de la crise.

Les conséquences sont connues multiplication des délocalisations, désindustrialisation, baisse des salaires, précarité de l'emploi, hausse du chômage. S'y ajoute la fuite des capitaux : en France, entre 2000 et 2008, 388 milliards d'euros, soit une moyenne de 48,5 milliards d'euros par an (ce qui correspondait en 2008 à 2,5 % du PIB), ont pris le chemin de l'étranger. Le seul effet de la vague de dérégulation qui s'est instaurée à partir du début des années 1980 a en fait été d'enrichir encore plus les plus riches, tandis que les classes moyennes et populaires voyaient chaque année leurs revenus stagner ou décliner. Les inégalités de revenus s'accroissent partout, le chômage s'étend, les gains de productivité et les salaires moyens divergent. Le chômage atteint aujourd'hui 12 % au Portugal, 14 % en Irlande, 16 % en Grèce, 21 % en Espagne. Globalement, la part des profits financiers dans l'accumulation de la valeur ajoutée est passée de 10 % dans les années 1950 à plus de 40 % aujourd'hui. La mainmise de la nouvelle oligarchie financière sur l'économie mondiale n'a donc cessé de se renforcer malgré la crise. En témoignent les profits de ces mêmes banques qui, en 2008, avaient fait le siège des États pour demander qu'on les aide à échapper à la faillite. En 2009, soit après le choc financier de l'année précédente, la totalité des actifs des six principales banques américaines (Bank of America, JP Morgan, Citygroup, Wells Fargo, Goldman Sachs et Morgan Stanley) a représenté plus de 60 % du PNB national, alors qu'ils n'en représentaient encore que 20 % en 19951 ! Toujours aux États-Unis, un récent rapport de la Northeastern University montre qu'en 2010,88 % de la croissance du revenu national réel ont servi à augmenter les profits des entreprises, tandis que les salaires n'en ont bénéficié qu'à hauteur (si l'on peut dire) d'un peu plus de 1 %. Jamais dans l'histoire américaine, les travailleurs n'avaient reçu une part aussi minuscule de l'augmentation de la valeur ajoutée. On pourrait parler ici de reprolétarisation du capital productif par le capital financier.

Les effets de la concentration du capital entre les mains d'un petit nombre de financiers ont été étudiés par Paul Jorion. Celui-ci montre bien comment la multiplication des produits spéculatifs a favorisé l'installation d'une économie de casino, qui a systématiquement favorisé les revenus des spéculateurs au détriment des consommateurs et parfois même des producteurs2 Parallèlement, la collusion entre les marchés financiers et l'industrie du crime s'accentue tous les jours. « Le monde de la finance est rongé par de puissantes et discrètes forces criminelles, mais il le nie fortement et même dépense des fortunes pour empêcher que cela ne se voie », écrit le criminologue Xavier Raufér, qui ajoute « Du fait de la dérégulation mondiale, puis de la crise, l'économie illicite (grise ou noire) qui, vers 1980, constituait quelque 7 % du produit brut mondial, en représentait en 2009 sans doute 15 % (soit l'équivalent du PNB de l'Australie) »3

Autre conséquence particulièrement inquiétante la désindustrialisation provoquée par la déconnection de l'économie réelle et de l'économie financière, et l'explosion des gains spéculatifs qui en résulte. Dans l'ensemble des pays membres de l'OCDE, quelque 17 millions d'emplois industriels ont été détruits en l'espace de seulement deux ans, dont 10 millions dans les secteurs manufacturiers. Si l'on y ajoute les 13 ou 14 millions d'emplois supprimés dans les entreprises de service auxquels le secteur industriel avait recours, on mesure la gravité du phénomène. La récession industrielle, parfois rebaptisée pudiquement « tertiarisation », touche aussi les États-Unis, qui ne comptent plus aujourd'hui que 11,6 millions d'emplois industriels contre 19,5 millions en 1979, soit une baisse de 40 %, alors même que la population n'a cessé d'augmenter. Seuls résistent quelques pays industrialisés, au premier rang desquels figure l'Allemagne, et certains secteurs comme les industries de défense.

À suivre

Les commentaires sont fermés.