« Dictature sanitaire ». L’expression fleurit sur les réseaux sociaux et Internet, au sujet des mesures prises par le gouvernement dans le cadre de l’épidémie de Sras-Cov-2 (dite « Covid-19 »). Partout les mêmes témoignages : un jeune homme verbalisé par des policiers en civil dans le métro pour avoir ôté son masque le temps de manger une friandise, contrôles de bars et restaurants accompagnés d’un homme en arme à l’entrée, etc. Et puis, bien sûr, il faut évoquer la pression mise par les Français eux-mêmes sur leurs compatriotes, devançant les attentes du gouvernement.
Sommes-nous donc en dictature ? Le terme, du latin dictator, a un sens précis. Au temps de la République, jusqu’à Jules César (mort en 44 avant Jésus-Christ), le dictateur est un magistrat, c’est-à-dire un fonctionnaire de l’Etat, doté de pouvoirs extraordinaires pour un temps limité – six mois en théorie, parfois plus dans la pratique. A l’origine, le dictateur est institué pour remettre la cité sur pieds après une grave défaite militaire, une crise du système politique ou une autre calamité mettant l’ordre et l’intégrité de Rome en péril.
Le dictateur traverse l’histoire puisqu’on le retrouve dans le second épisode de la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan (Dark Knight Rises, 2012). Harvey Dent, futur « Double Face », y défend Batman, que l’on accuse d’agir sans avoir été « élu » : « C’est nous qui l’avons élu en laissant la racaille prendre le contrôle de notre ville. Quand les ennemis étaient à leurs portes, les Romains suspendaient la démocratie et nommaient un homme pour protéger la cité. Ce n’était pas considéré comme un privilège mais comme un service public. »
En Grèce, le même système existait sous le nom des aisymnètes, élus par les citoyens ou plusieurs cités afin de faire face à de graves situations. Le dictateur agit donc pour le bien commun. Le tyran, dans le monde grec, est généralement le chef qui s’est emparé du pouvoir par la force. Il peut mener une politique bienfaisante ou injuste et certains ont laissé l’image de princes cultivés, habiles et sachant se rendre utiles, comme Polycrate de Samos au 6e siècle avant Jésus-Christ. Cependant, le terme est devenu négatif avec la dégradation de la tyrannie, devenue synonyme de pouvoir exercé au seul profit du tyran au 4e siècle.
Ce que l’on reproche au tyran n’est donc pas le pouvoir personnel mais ce qu’il en fait, contrairement au roi idéal présenté depuis Platon comme un souverain philosophe commandant à ses désirs et ainsi capable de gouverner par la vertu. De plus, est reproché au tyran de sortir de la masse et non d’une élite intellectuelle. Ce sont d’ailleurs souvent « les pauvres », c’est-à-dire la foule, qui le place au pouvoir. Le tyran s’impose donc aussi bien par le coup d’Etat que par la « démocratie ». Plus que la façon dont il a accédé au pouvoir, le mauvais tyran se distingue par son amour de la jouissance, son inconscience, son égoïsme, la peur entêtante à l’égard de ses propres sujets et la division qu’il suscite dans la société.
Clément Martin
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