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L'écologisme de marché, l'industrialisme à visage humain (2012)

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Au lendemain d'une élection présidentielle sous faux drapeaux - Nicolas Sarkozy pouvait aussi peu se réclamer du conservatisme que François Hollande du socialisme -, nos grands partis productivistes dépeignent les Verts en hippies bucoliques. Dans L'enfer vert. Un projet pavé de bonnes intentions. Ce que nous réservent les écolo-technocrates à partir du cas de Lille-Métropole, le groupe anti-industriel grenoblois Pièces et Main d'Œuvre démontre au contraire comment les écologistes dessinent les contours d'un néocapitalisme à teneur industrielle garantie. Voyage chez les Diafoirus d'Europe-Écologie-Les Verts.

« La France ne doit pas rater la nouvelle révolution industrielle écologique », annonce solennellement le programme officiel des Verts. Ceux-ci prônent « une économie plus robuste, plus riche en emplois, comportant de nouvelles activités industrielles [...], une urbanisation maîtrisée, une situation énergétique équilibrée ». De savoureuses formules incantatoires qui rappellent les avertissements catastrophistes rendus obligatoires au bas des paquets de cigarettes. Annoncer l'Armageddon tout en continuant de foncer tête baissée dans l'industrialisme, ainsi parle la Pythie verte lorsqu'elle nous assène doctement qu’ « il faut engager notre pays sur la voie d'un mix énergétique 100 % renouvelable ». Démanteler, fût-ce graduellement, notre parc vieillissant de centrales nucléaires, dont les déchets radioactifs polluent, pour des centaines d'années, nos sols et nappes phréatiques, non sans multiplier le nombre de cancers de la thyroïde, tombe bel et bien sous le sens.

Du développement durable...

Contre les méfaits du système industriel, nos pragmatiques écologistes préconisent de « créer un pôle d'excellence industrielle en matière de gestion des déchets et de démantèlement des centrales » pour « faire de la France un leader industriel des énergies renouvelables » à hauteur de « 40 % de notre énergie (hors carburant) ». Un changement dans la continuité du Grenelle de l'environnement, dont le volet « industries vertes » visait, de l'aveu même de Nicolas Sarkozy, à clore le débat sur le nucléaire moyennant le développement des sources d'électricité « renouvelables » - l'objectif officiel étant de passer de 14 % à 23 % de l'électricité produite en France d'ici à 2020. Pour diversifier les sources d'approvisionnement électriques, les Verts proposent en outre la création d'une « contribution climat-énergie » dont « 50 % (du) produit sera utilisé pour financer des investissements publics écologiques (transports collectifs, services publics locaux de la maîtrise de l'énergie) » à travers la prolifération des éoliennes, écrans photovoltaïques, barrages hydro-électriques et autres centrales thermiques. En contournant le nucléaire, les Verts promeuvent ainsi le recours à d'autres sources d'énergie qui, pour être humainement moins coûteuses, s'avèrent potentiellement tout aussi polluantes par leur besoin massif en métaux conducteurs et... en électricité(1) Toujours dans l'esprit du Grenelle, le marchandage des droits à émettre du dioxyde de carbone et l'instauration de mesures compensatoires renforcent le marché du droit à polluer, dont l'ancien vice-président américain Al Gore s'est fait le promoteur universel.

Au début des années 1970, le Club de Rome a popularisé la notion de « développement durable ». Dans ses deux rapports d'étude, ce groupe international d'industriels et d'experts climatique sonnait le tocsin en annonçant l'épuisement prochain des ressources énergétiques, remettant logiquement en cause le dogme d'une croissance infinie dans un monde fini. L'équation de l'écologisme de marché était alors posée : pour préserver la fin (la pérennité du turbocapitalisme), changeons de moyens. Gérer la rareté des ressources exige dès lors de développer de grands programmes industriels « verts » et « citoyens », comme Thales ou Areva les aiment tant. Nous en sentons les remugles quotidiens dans la polarisation médiatique sur le protocole de Kyoto, lequel se contente d'avaliser la transformation formelle d'un capitalisme mondialisé plus que. jamais soumis à la baisse tendancielle du taux de profit. Selon la vieille loi marxienne, faute de pouvoir s'élargir par la conquête de marchés supplémentaires, notre monde capitaliste est en effet condamné au renouvellement de ses bases économiques, matérielles, culturelles et « éthiques ».

… à l'écologisme de marché

Dans ce contexte d'épuisement des ressources, on comprend tout l'intérêt que présente l'édification d'un ordre social techno-sécuritaire dans lequel la surveillance généralisée se moule sur des masses d'individus devenus de simples données à enregistrer, gérer et tracer. À la « société de contrôle »(2) se superpose désormais l'« industrie de la contrainte »(3) véritable fabrique de l'« homme-machine » fiché et identifié par ses empreintes biométriques et génétiques. Le rapport de Pièces et Main d'Œuvre décrit d'ailleurs le développement d'une ingénierie sociale coercitive par des élus verts lillois, adeptes zélés des techniques de traçage humain, de nanotechnologies et de biométrie.

Lorsque le politique se fait le supplétif de l'industriel, la parole des élus verts se libère. Emmanuel Cau, vice-président du conseil régional du Nord-Pas de Calais, responsable de l'aménagement du territoire, vante ouvertement les « partenariats chercheurs/acteurs régionaux » et finance de nombreux projets technologiques voués à « opérer l'indispensable réconciliation de l'Homme avec la Nature ». Parmi ces jeux d'apprentis sorciers, on peut citer les recherches visant à identifier et pénaliser les contribuables qui ne respectent pas le sacro-saint tri sélectif, sans autre considération pour la pollution industrielle qui ronge nos côtes, sols et cours d'eau. Grâce au croisement des images vidéo, des enregistrements sonores et des puces RFID disséminées dans les différents modes de transports urbains, les élus verts lillois achèvent le maillage biométrique de l'agglomération « pour permettre l'adaptation de l'offre commerciale »(4) dans des transports publics dûment télésurveillés. À plus longue échéance, l'interconnexion croissante entre la science et le marketing pourrait servir de base à un scénario à l'américaine où, depuis les années 1970, la recherche biologique a massivement recours aux partenariats avec des entreprises privées. Certaines sociétés de placement basées aux États-Unis utilisent même les brevets scientifiques comme « capital-risque » pour revendre les start-up technoscientifiques au meilleur prix. Le nombre astronomique de séquences génétiques brevetées excédant celui des gènes, on peut raisonnablement prévoir l'éclatement de cette bulle spéculative construite sur le modèle des subprimes. Au cours du nouveau quinquennat, avec la nécessaire réforme des lois bioéthiques, la France pourrait légaliser ce type de montages techno-financiers dont on sait nos élites progressistes si friandes.

Mais le désastre se niche avant tout dans nos esprits prométhéens. À l'ère de Tchernobyl et de Fukushima, tant que la déesse raison régnera sur les nimbes de nos consciences, nos esprits bornés par l'écologisme de marché s'acharneront « à ne plus figurer que des accidents dont la gravité spectaculaire aura essentiellement été prétexte à glorifier une technique définitivement salvatrice »(5).

Pièces et Main d'Œuvre, L'enfer vert. Un projet pavé de bonnes intentions. Ce que nous réservent les écolo-technocrates à partir du cas de Lille-Métropole, Badaboum Éditions, 126 p., 5 €. Peut être consulté sur <www.piecesetmaindoeuvre.com>.

1). Sur l'imposture des industries vertes, cf. Arnaud Michon, Le sens du vent. Notes sur la nucléarisation de la France au temps des illusions renouvelables, EDN, Paris 2010.

2). Deleuze emprunta cette expression à l'écrivain William Burroughs pour caractériser le modèle social correspondant à l'économie des services et de l'actionnariat, orientée vers la vente du produit vers un marché. Cf. « Nous sommes tous en liberté surveillée », in Éléments n° 118.

3). Frédéric Gaillard, L'industrie de la contrainte, Pièces et Main d'œuvre, 2011

4). Annexes à la délibération de Lille-Métropole. Consultable sur : <hors-sol.herbesfolles.org>.

5). Annie Le Brun, Du trop de réalité. Écologie de l'imaginaire, Folio essais, Gallimard, Paris 2004.

Jean de Lavaur éléments N°144 juillet-septembre 2012

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