Le nationalisme français traditionnel, tel qu'il fut notamment théorisé par Charles Maurras, a tout au long du XXe siècle rejeté vigoureusement le racisme. Parce que celui-ci est perçu, dans ce courant ce pensée, comme totalement étranger à ce qui a fait la France.
« Si le racialisme de Gobineau n’a pas fait école en France », écrit Pierre-André Taguieff, c'est notamment du fait « de l'incompatibilité du nationalisme français, incarné par l'Action française (fondée en juin 1899), avec toute forme de matérialisme biologique. »(1) Charles Maurras (ci-contre), en effet, traitait volontiers le comte de Gobineau, excellent littérateur mais également l'un des pères du racialisme, de « Rousseau gentillâtre » ou de « stupide et indigne Français », selon l'humeur mais avec une réelle constance. Selon le théoricien du « nationalisme intégral », la pensée de Gobineau était en ce domaine pénétrée de germanisme et d'esprit allemand. Comme Maurras l'écrira le 10 octobre 1926 dans son quotidien L’Action française : « Nous sommes des nationalistes. Nous ne sommes pas des nationalistes allemands. Nous n’avons aucune doctrine qui nous soit commune avec eux. Toutes les falsifications, tous les abus de textes peuvent êtres tentés : on ne fera pas de nous des racistes ou des gobinistes. »(2)
« Le racisme répugne a l'esprit français » (J.-P. Maxence)
En 1937, se félicitant de l'encyclique du pape Pie XI Mit brennender Sorge (« Avec une vive inquiétude ») condamnant le national-socialisme, Maurras parlera du racisme comme de son « vieil ennemi », rappelant que « dès 1900, ses maîtres français et anglais, Gobineau, Vacher de Lapouge, Houston Chamberlain, avaient été fortement signalés par nous à la défiance des esprits sérieux et des nationalistes sincères ».
Effectivement, quand, en juin 1900, Jacques Bainville (âgé de vingt-et-un ans) avait recensé avec un peu trop de complaisance dans la Revue grise d'Action française le livre de Vacher de Lapouge, L’Aryen, son rôle social, Maurras avait tancé son jeune compagnon, le mettant en garde contre les « rêveries de race pure ».
Cette condamnation radicale du racisme par le chef du néo-royalisme français fera des émules chez les nationalistes français, notamment dans la génération des non-conformistes des années 1930. En mai 1933, au lendemain de la victoire électorale de Hitler en Allemagne, Thierry Maulnier écrit dans L’Action française : « Le racisme et l'étatisme ne peuvent correspondre qu à des sociétés imparfaites. Une société dans laquelle la civilisation a atteint ses sommets les plus rares ne peut se contenter de telles significations, l’édifice des valeurs les plus aristocratiques ne saurait abriter ces religions grossières, dont la pauvreté spirituelle n’a d'égale que la malfaisance et la stérilité. »(3) Dans le même temps, son ami Jean-Pierre Maxence pousse un cri du cœur : « Le racisme, écrit-il dans La Revue du siècle, répugne à l'esprit français. Il y a dans le nationalisme français des valeurs universelles et assurées qui se refusent à toute attitude agressive ou impérialiste. »(4) On ne peut pas être plus explicite.
« Vacher de Lapouge ne me semble devoir intéresser que les éleveurs »
Exilé volontaire au Brésil, l'ancien camelot du roi Georges Bernanos écrit en décembre 1940, dans un article repris dans son recueil Le Chemin de la Croix-des-Ames : « Je ne méprise nullement l'idée de race, je me garderais plus encore de la nier. Le tort du racisme n'est pas d'affirmer l'inégalité des races, aussi évidente que celle des individus, c'est de donner à cette inégalité un caractère absolu, de lui subordonner la morale elle-même, au point de prétendre opposer celle des maîtres à celle des esclaves. »(5) Et le romancier catholique d'opposer la richesse des nations à l'archaïsme des races. Charles Maurras allait encore plus loin : ne disait-il pas volontiers qu'« aucune origine n'est belle » ? Il ajoutait, en conclusion : « La beauté véritable est au terme des choses. »(6)
L'un des principaux héritiers intellectuels de Maurras, le métaphysicien Pierre Boutang, n'est pas en reste quand il affirme en 1949 dans son pamphlet La République de Joinovici : « Je ne suis pas raciste. Le comte de Gobineau m'ennuie quand il n’est pas romancier. Vacher de Lapouge ne me semble devoir intéresser que les éleveurs; j'ai une autre idée que Rosenberg de l'homme, cet être étonnant entre tous, qui vit dans les cités, mais dans sa solitude, modèle son rapport à Dieu. »
Au racialisme pessimiste d'un Georges Gobineau, à l'eugénisme d'un Georges Vacher de Lapouge, le nationalisme français a opposé une conception de la nation forgée par l'histoire, affirmant que la lutte des races ne valait pas mieux que la lutte des classes. N'en déplaise aux antiracistes falsificateurs qui voudraient inscrire Maurras dans la généalogie intellectuelle du racisme, ou à quelques adeptes du racisme qui voudraient annexer la pensée du martégal, alors qu'il n'a jamais cultivé d'ambiguïté dans ce domaine.
1). Pierre-André Taguieff, La Couleur et le Sang, Mille et Une Nuits, 2002.
2). Charles Maurras, Dictionnaire politique et critique,Tome III.
3). Thierry Maulnier in L'Action française du 30 mai 1933.
4). Jean-Pierre Maxence, In La Revue du siècle, mai 1933.
5). Georges Bernanos, « Race contre nation », in Essais et écrits de combats II, Gallimard, 1995.
6). Charles Maurras, Anthinéa d'Athènes à Florence, 1901
Jacques Cognerais monde&vie 29 septembre 2012 n°865