Oui, où est-elle donc passée, cette gauche divine ? Dans les limbes, ont rétorqué quelques-uns des plus éminents représentants intellectuels de ladite « gauche ». Dans Le Monde, Jacques Julliard n'a pas caché son agacement devant de telles méthodes : « Comment le peuple se retrouverait-il dans cette frénésie qui tourne à vide et qui a gagné récemment jusqu'au Premier ministre ? Répétons-le, longtemps après Marcel Gauchet les droits de l'homme ne sont pas une politique. On dirait pourtant que la seule ambition de la gauche bobo est de surimposer un ordre moral antiraciste à l'ordre économique de la mondialisation capitaliste. » L'auteur des Gauches françaises a pointé avec désolation le « néant intellectuel et spirituel de la gauche tout entière gauche de gouvernement, gauche frondeuse, gauche de la gauche... Rien, rien, trois fois rien ! ». De son côté, Éric Aeschimann de L'Obs a tenté de demander son chemin au philosophe Jacques Rancière. Las, l'élève de Louis Althusser n'a pas été plus avenant : « "Où est la gauche?" demandent les socialistes. La réponse est simple elle est là où ils l'ont conduite, c'est-à-dire au néant. Le rôle historique du Parti socialiste a été de tuer la gauche. Mission accomplie. »
Les « petits gominés trentenaires »
L'instrumentalisation médiatique d'une poignée de grandes consciences - BHL et les autres - en butte à un peuple présenté comme obtus et fascisant a longtemps été une pratique en vogue tant à gauche qu'à droite, comme l'a cruellement rappelé Vincent Trémolet de Villers, le rédacteur en chef des pages débats du Figaro. « Cette approche enfantine, écrit-il, illustre la place qu'ont véritablement les intellectuels dans l'esprit du gouvernement (et disons-le de la plus grande part de la droite) des pions noirs ou blancs que des communicants, plus ou moins incultes, placent sur le damier. » Pour savoir qui doit parler et qui doit se taire, s'adresser aux « petits gominés trentenaires » qui s'agitent en fabriquant des stratégies de communication à l'hôtel Matignon. « Ceux qui nous gouvernent ou souhaiteraient le faire considèrent le livre comme un meuble », poursuit-il.
Mais pour l'heure, ils sont tombés sur un os - ou plutôt un chêne, pour reprendre le mot que Michel Onfray emploie à propos de son père l'auteur de Cosmos n'a ni rompu ni plié. Il a décidé de rendre coup pour coup sur leur propre terrain, celui des médias. Le chef de gouvernement avait fait son annonce sur une radio, le philosophe normand en a fait trois le lundi matin Europe 1, France Inter et RMC Info. Le lundi après-midi, c'est le tour des hebdomadaires. Histoire de n'oublier personne. Ou comment piéger le Système à son propre jeu. Dans cette contre-offensive médiatique, il a pu compter sur le soutien d'un poids lourd qui s'aventure de plus en plus fréquemment dans les bordures, Franz-Olivier Giesbert. Qui a dit que la voix des philosophes quand ils appellent un chat un chat n'était pas audible au grand public ? Le rappel à l'ordre a fait flop. La tentative de diabolisation a sombré sous les rires moqueurs, emportant les mots des politiques drogués aux éléments de langage. La gouaille de Michel Onfray a fait le bonheur des matinales de radio. Sur Manuel Valls, « c'est un crétin », a-t-il lancé sur Europe 1. « J'ai vérifié dans le dictionnaire, ça s'appelle un crétin. Ce n'est pas insultant, c'est familier. C'est un personnage qui vous fait tenir des propos que vous n'avez pas tenus et qui se contente de lire les fiches de petits gominés trentenaires. » Invité de Bourdin Direct sur RMC Info, le philosophe est allé encore plus loin : « Je n'ai pas dit ce que Manuel Valls dit. J'ai dit qu'il valait mieux une idée juste d'Alain de Benoist qu'une idée injuste de BHL. Cela ne veut pas dire que l'on préfère Alain de Benoist à BHL. Mais aurais-je même dit cela, je n'ai pas le droit de le dire ? Je n'ai pas le droit de le penser ? Parce que tous ces gens qui n'ont jamais lu une seule ligne d'Alain de Benoist, sont incapables de citer un seul de ses titres, m'expliquent qu'il est d'extrême droite, qu'il a soutenue l'OAS. Oui, il l'a soutenu et en même temps Cambadélis a soutenu Trotski, BHL a soutenu Mao et pratiquement tous les gens qui sont dans la presse de gauche aujourd'hui ont eu leur période Pol Pot, Mao, URSS, etc. [...] Je regrette, mais pour moi Alain de Benoist fait partie du paysage intellectuel français et on le criminalise en disant qu'il est fasciste. Or, il suffit de lire quelques-uns de ses livres pour savoir qu'il est intellectuel de droite. Même si ce n'est pas ma pensée, je me nourris de tous les intellectuels. » Michel Onfray n'a pas été seul dans son combat. Le chercheur Jean-Yves Camus a déploré la paresse des commentateurs : « Quand donc va-t-on à gauche lire les auteurs de la Nouvelle Droite et juger sur pièces ? Toujours la même paresse. » Le politologue Pierre-André Taguieff a estimé qu'Alain de Benoist avait été « victime du terrorisme intellectuel hérité du stalinisme ».
Un coup politique qui a fait pschitt
Outre sa pusillanimité, l'élément le plus frappant de cet épisode politique et médiatique restera l'immense solitude de Manuel Valls, sa fragilité intellectuelle, et plus largement celle du Parti socialiste dans un de leurs exercices favoris la chasse à l'homme. Manuel Valls vient d'éprouver in situ le constat qu'il avait lui-même fait lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, le 8 avril 2014 : « La parole publique est devenue une langue morte », avait-il expliqué l'air grave. Comment pourrait-il en être autrement quand le quotidien Libération, pas spécialement connu pour lui être hostile, a convenu qu'il était « difficile de ne pas comprendre l'énervement de Michel Onfray, tant ses propos ont été déformés par Manuel Valls et Jean-Marie Le Guen ». Que reste-t-il, alors ? Un coup politique qui a lamentablement fait pschitt. La certitude à présent que les représentants de l'idéologie dominante se retrouvent vraiment tout nus. Un coup de projecteur bienvenue sur l'œuvre d'Alain de Benoist et la revue Éléments. Bref, un grand merci à notre attaché de presse de luxe, Manuel Valls.
Pascal Eysseric éléments N°155 Avril-Juin 2015