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Le numérique, outil rêvé du contrôle social (texte de 2015) 1/2

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Big Data is watching you

L'ubiquité est la faculté par. excellence des dieux être partout à tout instant. Cette faculté est le propre du numérique. Tout encoder Pour tout contrôler. En transformant les utilisateurs d'Internet en cobayes d'algorithmes savants, des supercalculateurs qui paramètrent le flux des données au profit des géants du Web. Dans La vie algorithmique. Critique de la raison numérique, Éric Sadin rattache cette révolution au grand mouvement de rationalisation. Il atteint aujourd'hui un seuil critique, celui des systèmes intelligents autonomes. Demain, de l'intelligence artificielle. Après quoi, la science-fiction (Blade Runner, Terminator, Matrix) menace de devenir notre quotidien.

« Datafication », « algorithme », « indexation », « protocole », « computation », « interopérabilité », « dispositif », etc., le champ lexical de la raison numérique dessine à lui seul les motifs du monde à venir désespérément plat, entièrement régulé et profondément inhumain. Les professionnels de l'économie se sont déjà rués sur ce phénomène pour vanter à qui mieux mieux les bienfaits de la numérisation intégrale. Précisément, cette révolution technologique majeure, dont on peine encore à prendre la mesure, se traduit par un flux continu de données (bigdata) récoltées et analysées par des instances de tous ordres en fonction de dispositifs et de protocoles convergents. Elle contribue à instaurer « un rapport au réel placé sous le sceau de la puissance objectivante et non ambiguë des mathématiques et des nombres », remarque l'écrivain et philosophe Éric Sadin dans La vie algorithmique. Critique de la raison numérique, excellent ouvrage, particulièrement instructif et suffisamment abordable pour que tout le monde puisse s'interroger sur cette révolution silencieuse, déjà largement amorcée.

La promesse du numérique consiste donc à enfermer toutes les strates de l'existence dans des codes binaires (algorithmes) gérés par des machines surpuissantes, seules à même d'assurer le bonheur compartimenté et sécurisé dont semble rêver le nouvel homme connecté. Concrètement, le processus est déjà bien engagé avec la constitution de gigantesques banques de données (datacenter), l'incorporation massive de capteurs au sein de surfaces toujours plus étendues du réel et la dissémination de puces dans une multitude de produits quotidiens (robots, emballages, médicaments, etc.). Demain, les nanocapteurs pourront recouvrir quasiment toutes les surfaces sous forme de peintures ou de pellicules apposées sur des machines, des automobiles, des immeubles, des ponts. À cela s'ajouteront les micropuces, dont sont déjà pourvus les animaux de batteries industrielles, qui s'incrusteront dans nos prothèses, nos organes et nos cerveaux. Cette « technicisation achevée de la nature » n'est pas un scénario de science-fiction, mais bien le programme établi par l'évolution « naturelle » des technologies numériques.

Ceci n'est pas un scénario de SF

Cette évolution commence d'ailleurs à produire ses effets sur des segments entiers des activités humaines. Ainsi, les usines globales multi-localisées (connected factories) soumettent leurs personnels et leurs machines à des équations algorithmiques qui visent à la plus haute optimisation et à la plus grande flexibilité du travail. À chaque fois, il s'agit de traiter une myriade de sources informationnelles (flux, stocks, horaires, commandes, etc.) le plus rapidement possible et de façon synchronisée grâce à des techniques computationnelles très élaborées (supercalculateurs). Le processus a également fortement impacté le monde de la médecine avec la mise en place d'un véritable « biohygiénisme algorithmique ».

Éric Sadin nous apprend, par exemple, que le logiciel Health Map (analyse des données en provenance de l'OMS) a permis de détecter une épidémie de choléra en Haïti avec près de deux semaines d'avance sur les observations menées par les autorités qualifiées sur place. On l'aura compris, cette nouvelle médecine se fonde sur une évaluation continuelle des données dans le but d'aboutir à des traitements prédictifs individualisés en lien, notamment, avec le développement de la génétique. On sait que l'actrice Angelina Jolie a subi une double mastectomie (ablation des deux seins), puis s'est fait retirer les ovaires et les trompes de Fallope au seul titre de la prévention. Suite à des tests génétiques, les médecins avaient effectivement diagnostiqué un risque de cancer au vu de ses antécédents familiaux.

Les dispositifs numériques envahissent également de nombreux autres espaces de la vie quotidienne qui n'a vu, en se promenant sur les grandes artères des centres urbains, une multitude de boîtiers, d'antennes, de caméras ? L'avenir est aux smart cities, ces villes intelligentes qui capturent vos traits, identifient vos trajets et mesurent la qualité de l'air afin de sécuriser l'environnement et de fluidifier le trafic. La même intrusion est encore davantage à l'œuvre pour tout ce qui concerne la navigation sur Internet. Partout, l'utilisateur laisse des traces numériques qui, traitées par des algorithmes, sont redirigées vers des entreprises privées quand elles ne sont pas enregistrées dans des régimes de surveillance généralisée. Là encore, il ne s'agit pas de science-fiction Edward Snowden est actuellement « exilé » en Russie pour avoir dénoncé plusieurs programmes gouvernementaux de surveillance qui travaillaient en bonne entente avec les grands opérateurs privés d'Internet ! Ce fichage quantitatif et intégral de la réalité (les choses, les espaces, les hommes) produit évidemment des conséquences sur les représentations du monde.

Super-ordinateurs et mégabases de données

Au plan épistémologique, le processus de numérisation débouche sur un nouveau mode de connaissance, le « savoir corrélatif computationnel », qui remet en cause tous les principes de la science occidentale tels qu'ils ont été posés par Aristote. Davantage encore, c'est tout simplement l'homme qui est expulsé d'un processus de connaissance (dévoilement du réel) dont il est pourtant l'origine et la fin. Ainsi, l'observation des faits s'efface devant la masse des données comme la validation par l'expérience laisse la place à un « régime d'interopérabilité universel », autrement dit à la mise en relation quasiment inépuisable d'une infinité de sources. Il importe moins, au final, de découvrir les lois générales des phénomènes que d'établir des liaisons entre des variables sans explication causale.

À suivre

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