Confrontée à la présence d'une immigration massive, en grande partie de religion musulmane, la France semble avoir oublié les cent trente années pendant lesquelles musulmans et Européens ont cohabité sur une terre française. Une expérience perdue ?
« Oui, souriez, souriez beaux esprits cultivés, souriez faux intellectuels; faux chrétiens, faux patriotes, devant un homme qui, au service de la France depuis toujours, n’a pas honte d'être un patriote au sens de Barrès ou même de Déroulède si ça peut vous faire sourire davantage. »(1) Celui qui lance ce défi, en septembre 1962, est un grand patriote, dont le propre fils et dix-sept proches parents sont morts pour la France. Ancien vice-président de l'Assemblée nationale, Commandeur de la Légion d'honneur, officier français et chef des tribus des beni-boudouane de l’Ouarsenis, le bachaga Saïd Boualam se définit aussi comme un « Musulman français fidèle entre des millions de Musulmans français, mes frères ».
Sous le drapeau français
Leur religion n'empêcha pas plus de deux cent vingt mille musulmans, comme les hommes du bachaga Boualam, de s'engager sous le drapeau français pendant la guerre d'Algérie, alors que les fellaghas ne furent jamais plus de chiquante mille. Pourtant, l'islam représenta un obstacle à l'assimilation des populations.
L'un des premiers à en avoir clairement pris conscience fut le père Charles de Foucauld (photo), qui dans une lettre à l'écrivain René Bazin en 1916, avertissait : « Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens. » Le saint missionnaire écrivait. « Une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l'esprit ni le cœur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l'étiquette pour pouvoir par eUe influencer les masses (…). Le sentiment national ou barbaresque s'exaltera dans l'élite instruite quand elle en trouvera l'occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l'islam comme d'un levier pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant. »(2) L'idée du califat, que tente aujourd'hui de promouvoir l’État islamique, mais qui circule aussi dans les banlieues françaises, n'en est pas très éloignée…
Victoire finale
« Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? », se demandait encore le père de Foucauld « Exceptionnellement, oui. D'une manière générale, non », répondait-il en s'appuyant sur le « dogme fondamental » musulman du medhi : « tout musulman, (…), croit qu'à l'approche du jugement dernier le medhi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l'islam par toute la terre, après avoir exterminé ou subjugué tous les non musulmans. (…) s'il est soumis à une nation non musulmane, c'est une épreuve passagère sa foi l'assure qu'il en sortira et triomphera, à son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti (…) De là vient que nos Algériens musulmans sont si peu empressés à demander la nationalité française : comment demander à faire partie d'un peuple étranger qu'on sait devoir être infailliblement vaincu et subjugué par le peuple auquel on appartient soi-même ? »
Le bikini et le jilbab
C'est l'islam qui, en Algérie, fit obstacle au rapprochement des populations, selon le commandant Hélie de Saint Marc. Pendant la guerre, l'un de ses amis, pied-noir, lui disait aussi : « Il y a l'islam, Hélie. Si vous imposez la vision démocratique, laïque et nationale de la France, vous vous opposez à vingt siècles de confusion entre la politique et la fol On intègre des hommes, pas des âmes. »(3)
Dans leur livre La République et l'islam(4) Jeanne-Hélène Kaltenbach et Michèle Tribalat ajoutent à celle évoquée par le père de Foncauld, une autre raison qui dissuada les musulmans de demander la nationalité française : il leur aurait fallu renoncer au statut personnel qui leur permettait d'être régis, au civil, par le droit musulman. Un tel choix était assimilé à une apostasie. Cette position est-elle très éloignée de celle d'Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille-Sud et président de la Ligue islamique du nord, qui, en octobre 1997 rejetait l’idée de l'assimilation parce qu'elle « suppose que les populations islamiques se fondent à terme dans la population. Ceci est exclu car cela signifie l’abandon de la loi islamique. »
On comprend mieux, alors, la portée symbolique du geste accompli par les femmes musulmanes, qui brûlèrent symboliquement leurs voiles sur le forum d'Alger, lors des journées de fraternisation entre Européens et musulmans en mai 1958 elles choisissaient la France. Comment ne pas rapprocher cette attitude de celle des musulmanes, qui, sur le sol français, se sont remises à exhiber des tenues comme le niqab encore plus sévères que celles que portaient leurs mères ?
À l'inverse l'un des personnages d'un roman de l'écrivain « pied-noir » Jean Brune explique, parlant d'une jeune musulmane « convertie » au rouge à lèvres et au maillot de bain, symboles de liberté : « Le turban et la barbe des Oulémas font peur à leurs filles… Ce qui décidera de la guerre ce ne sont pas les hommes de Kim ben Kim… c’est le bâton de rouge à lèvres et le bikini ! »(5) Aujourd'hui, sur les plages françaises, on aperçoit des femmes musulmanes se baigner sans quitter leur jilbab.
1). Bachaga Boualam, Mon pays, la France, Ed. France-Empire, 1962.
2). Hervé Bazin, Charles de Foucauld, Librairie Plon, 1921.
3). Hélie de Saint Marc, Les champs de Braise, perrin, 1995
4). Jeanne-Hélène Kaltenbach et Michèle Tribalat, La République et l'islam Gallimard, 2002.
5). Jean Brune, cette haine qui ressemble à l’amour, La Table ronde, 1961
Eric Letty monde&vie 22 octobre 2014 n°898