Eric Zemmour nous avait offert avec Mélancolie française une leçon d'histoire de France, qui en fait, sans amphigouri, le Bainville moderne. Il vient de publier Le suicide français, une analyse méthodique des quarante années qui ont détruit la France. Et cette fois irrésistiblement, on pense à Maurras, à son empirisme organisateur, à la froide analyse qu'il opposa à son temps et à ces années folles où la culture de droite était dominante...
Le suicide français, que vous devez Vous procurer d'urgence si vous ne le possédez pas encore, n'est pas seulement un livre : c'est le symbole de la reprise du pouvoir culturel par la droite de conviction, Nicolas Domenach parle de zemmourisme. Jean-Christophe Cambadélis agite l'épouvantail de la zemmourisation des esprits. L'un et l'autre, le journaliste démo-chrétien de gauche et l'actuel secrétaire du Parti socialiste disent la même chose avec ces néologismes embarrassés : les idées de Zemmour sont devenues les idées de tout le monde. Ils n'osent d'ailleurs pas se poser la vraie question : savoir si ce n'est pas l'inverse, si ce ne sont pas les idées du peuple que Zemmour a su ramasser sur le sol et catalyser dans ce livre somptueux sur nos Quarante piteuses, 1970-2010. Le populisme, dont Zemmour se réclame désormais explicitement, c'est pourtant bien cela : donner une voix au peuple…
Ceux qui s'affolent de la prise de parole d'Eric Zemmour, ce sont ceux que le peuple affole : ils ont été tellement attentifs pendant des années aux évolutions sociétales, qu'ils en ont oublié le peuple. Existait-il encore ce Français béret-baguette dont les humoristes coluchiens se sont tant moqués ? Les Français conservaient-ils une conscience commune ?
Le pays légat, Eric Zemmour l'appelle la Société
L'une des clefs d'interprétation du livre d'Eric Zemmour est la distinction qu'il fait sans cesse entre l’État, le peuple et la société. L’État est une grosse machinerie dont il faut pouvoir gérer les manettes. Qui le fera ? Non pas le peuple, parce qu'il n'est pas organisé. Non pas le peuple parce qu'il est passif et trop confiant. Non pas le pays réel aurait dit Charles Maurras, mais le pays légal. Le Pays légal aujourd'hui ce ne sont pas les dignitaires républicains qui autrefois demeuraient souvent représentatifs de leurs régions et de leurs électeurs, qu'ils tutoyaient et avec lesquels il leur arrivait de lever le coude. Le pays légal, Eric Zemmour l'appelle la Société. C'est l'ensemble des associations reconnues, des sociétés commerciales et des médias, qui entendent bien justement « parler au nom du peuple ». Dans sa toute récente Histoire du citoyen aux éditions Via romana, l'historien Jean de Viguerie, s'appuyant sur Augustin Cochin, montre bien que la République a créé un espace citoyen dont le peuple est méthodiquement chassé. Ce qui fait peur à tous ceux qui ont pris un rôle dans « la Société » ou dans le sociétal, c'est la résurrection du peuple que l'on n'attendait plus. Emmanuel Macron, chouchou des médias et de la Société a promis au peuple de « changer les choses » c'est-à-dire, a-t-il précisé au JDD, d'« entrer dans la Vallée de la mort », « sans savoir quand on va en sortir ». Zemmour, c'est le peuple qui dit non à la Vallée de la mort.
Eric Zemmour, le suicide français éd. Albin Michel, 528 pp
Joël prieur monde&vie 22 octobre 2014 n°898