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Fiorina : « Pour avoir l’attention des médias et de l’IGPN, faut-il être immigré ? »

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Entretien avec Fiorina Lignier, Gilet Jaune et auteur de Tir à vue ♦ Dans quelques jours, le 8 décembre, cela fera 2 ans que Fiorina Lignier a perdu un œil durant la révolte populaire des Gilets Jaunes. Elle a perdu un œil et bien plus. Deux ans après les faits, elle se sent plus seule que jamais, alors que l’État et les instances judiciaires sont aux abonnés absents. L’IGPN est rapidement saisie par Gérald Darmanin lorsqu’un clandestin afghan est victime d’un croche-pied ou lorsque un extra-européen subit des violences lors d’une intervention policière. Mieux, elle rend des rapports en moins de 48 heures. Fiorina attend toujours, deux ans après les faits, alors que les responsables du tir qui l’a éborgnée sont parfaitement identifiés.
Voici un entretien avec Fiorina qui revient sur l’épreuve qu’elle traverse.
Fiorina a perdu un œil mais pas l’essentiel : son courage et son honneur. Des biens précieux dont sont départis beaucoup de ceux qui ont encore leurs deux yeux.
Polémia

« La République n’a jamais essayé de se préoccuper de mon cas »

Polémia : Bonjour Fiorina, rappelez-nous ce qui s’est passé et il y a deux ans.

Fiorina : Il y a deux ans, je perdais mon œil gauche à cause d’un tir policier lors d’une manifestation de Gilets Jaunes.

Polémia : Comment vous sentez-vous ?

Fiorina : En plus des douleurs physiques, psychologiquement ça devient de plus en plus dur avec le temps, car je vois que je me retrouve seule. La République n’a jamais essayé de se préoccuper de mon cas par le biais de l’un de ses organismes. Les Français sont passés à autre chose. Certains membres de ma famille m’ont tourné le dos. J’ai l’impression d’avoir perdu une part de mon identité.

Polémia : Combien d’opérations avez-vous subi jusqu’à présent ?

Fiorina : On m’a opéré une première fois pour suturer mon œil, une deuxième pour me mettre 7 plaques métalliques dans le visage, une troisième pour retirer mon œil et le remplacer par une prothèse, une quatrième pour sauver ma prothèse que je rejetais, une cinquième fois pour la même raison, une sixième fois pour retirer ma prothèse et la remplacer par un autre implant. J’attends maintenant une septième opération qui vise à retirer les plaques que j’ai dans le visage et qui me causent de vives douleurs. À chaque fois les médecins me disent que c’est la dernière opération, espérons que cette fois ce soit vraiment la dernière…

Polémia : Où en est la justice ?

Fiorina : Au point mort. Depuis deux ans, l’IGPN, qui a la charge d’enquêter sur mon affaire, a les noms et vidéos des hommes de la BRI qui me tirent dessus, mais pas de nouvelle depuis. En ce qui concerne les juges, j’ai reçu il y a plus d’un an une lettre m’informant que je pouvais me constituer partie civile, et depuis je n’ai rien reçu de nouveau.

« Les Gilets Jaunes n’avaient pas les médias ni les politiques avec eux »

Polémia : Que pensez-vous du retour des violences policières sur la scène médiatique ?

Fiorina : En effet deux affaires ont fait la une de la presse la semaine dernière. Il y a eu un croche pied sur un clandestin et le tabassage d’un producteur de musique noir par des policiers.
Ces scènes ont occupé les médias pendant plusieurs jours. Les policiers en cause ont été identifiés et suspendus immédiatement. L’IGPN a rendu son rapport en 48h. Le parquet a ouvert une enquête. Le Ministre de l’Intérieur s’est exprimé sur la question, trouvant ses actes « inqualifiables » et a rajouté qu’il allait demander « la révocation » des policiers en cause car ils ont « sali l’uniforme de la République ». Le Président Macron s’est déclaré lui : « très choqué ».

Je me rappelle que lorsqu’il s’agissait des Gilets Jaunes, alors que les bavures policières étaient autrement plus graves et nombreuses, avec des mains et des yeux arrachés, des blessés par centaines chaque samedi, la presse n’en a pas fait état pendant deux mois.
Deux ans après le mouvement, aucun policier n’a été suspendu, et nous attendons toujours la fin des enquêtes de l’IGPN. Le Ministre de l’Intérieur de l’époque n’était pas choqué de voir ces scènes, et le Président Macron disait lui qu’on ne pouvait pas « parler de répression ou de violences policières » car « ces mots sont inacceptables dans un État de droit ».

 

Il y avait aussi eu l’affaire du jeune immigré Adnane, éborgné lors d’émeutes début 2020. Là aussi l’IGPN avait bouclé son enquête et identifié le policier responsable en quelques jours seulement. C’est à se demander si, pour avoir l’attention des médias, de la justice, des politiques, de l’IGPN… il ne faudrait pas être un immigré. J’aurais aimé que les affaires concernant les Gilets Jaunes aillent aussi vite. J’ai au moins compris une chose : retrouver les auteurs de violences policières est possible, ce n’est qu’une question de volonté politique et de pression médiatique. Et les Gilets Jaunes, contrairement aux immigrés, n’avaient ni les médias, ni les politiques avec eux.

« L’allocation adulte handicapé m’a été refusée deux fois »

Polémia : Un procès aura-t-il lieu un jour ?

Fiorina : Un premier procès devrait avoir lieu d’ici quelques semaines. Malheureusement, ce ne sera ni contre l’État responsable de la perte de mon œil, ni contre le policier qui m’a tiré dessus. Ce procès sera contre la Maison départementale des handicapés qui refuse de me reconnaitre handicapée. Je n’ai plus de sources de revenus depuis ma blessure, j’ai dû arrêter la fac et je ne peux pas travailler. J’ai donc demandé l’allocation adulte handicapé (AAH), qui m’a été refusée deux fois. Ceci malgré l’avis de trois médecins différents qui concluent tous au fait que je ne peux pas travailler pour le moment. J’en profite pour remercier tous les ceux qui m’ont soutenu financièrement, je vis grâce à vous.

Le plus dur dans cette histoire est que l’État me rend handicapée et en plus je dois me battre pour qu’il me reconnaisse comme tel.

Polémia : Quel est votre ressenti face à la police ?

Fiorina : C’est un sentiment difficile. Je me sens partagée. D’un côté, évidement, j’en veux au policier qui m’a pris mon œil. J’ai cru pendant un temps pouvoir lui pardonner un jour, mais au bout de deux ans et tant de souffrances, je crois que je ne pourrais jamais. Surtout, il ne s’est pas dénoncé, et cette lâcheté m’insupporte. En ce qui concerne l’institution policière, j’ai perdu confiance. L’IGPN n’a rien fait (ou a été empêchée de faire). Et maintenant je me dis qu’au sein de la police il y a des criminels…

J’ai perdu confiance à vrai dire dans tous les services de l’État, dans la justice en premier lieu, mais pas seulement. Par exemple, le médecin légiste qui m’a ausculté pour me prescrire mes ITT, afin d’évaluer la gravité de ma blessure, ne m’en a donné que 30. Alors que j’avais déjà passé 16 jours à l’hôpital, et qu’au bout d’un mois je ne tenais pas debout. Le jeune Adnane, dont je vous ai parlé plus haut, en a eu 120 lui, alors qu’il est sorti en quelques jours de l’hôpital. Je ne comprends pas cette différence.

« Mon quotidien peut se résumer en un seul mot : la souffrance »

Polémia : À quoi ressemble votre vie aujourd’hui ?

Fiorina : Je suis loin d’avoir retrouvé une vie normale, elle est toujours à l’arrêt depuis le 8 décembre 2018. J’ai encore peur de sortir seule. Lors de mes journées j’alterne entre crises de douleur et crises de larmes. Mon quotidien peut se résumer en un seul mot : la souffrance. J’avoue en ce moment c’est difficile, surtout que nous sommes à la date anniversaire de la perte de mon œil. Je sais que l’enquête n’aboutira pas, j’ai mal tous les jours, mes opérations ne sont pas encore finies… de plus je ne vois pas d’amélioration prochainement.

Polémia : Avez-vous malgré tout des projets ?

Fiorina : Ils sont restreints. J’attends avec hâte ma prochaine opération, en espérant qu’elle me soulage. Aussi, je vais bientôt emménager dans un nouvel appartement. J’espère que ce sera un nouveau départ pour que je puisse me reconstruire psychologiquement. Parfois, quitter la France me vient à l’esprit. Je ne sais pas si j’ai encore ma place ici et je ne me sens plus en sécurité dans ce pays. Peut-être pourrais-je demander l’asile politique ailleurs ? En France, il aurait été accordé à une opposante politique éborgnée par le régime de son pays…

Polémia :Après Tir à vue, envisagez-vous un autre livre ?

Fiorina : Non, je ne pense pas. Mon livre se voulait comme une trace de ce qu’il s’était passé au moment des Gilets Jaunes et je le crois toujours d’actualité. Je ne pense pas avoir à en rajouter. Je vais plutôt essayer de passer mon permis conduire en 2021.

Entretien avec Fiorina Lignier

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