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René Girard, l’apocalypse et notre sinistre vendredi 13 (texte de 2015) 2/2

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Une violence absolument moderne

C'est avec les meilleures intentions du monde, en toute innocence que nous avons proscrits tous les sacrifices. Mais du coup, nous en sommes revenus, dans nos sociétés policées, à une violence non sacrificielle, une violence pure, une violence gratuite, qui est l'expression la plus immédiate de l'homme, animal mimétique. « Nous sommes au moment où la montée aux extrêmes s'affirme comme l'unique loi de l'histoire » explique René Girard dans Achever Clausewitz.

« Nous avons à combattre une violence que plus rien ne combat ni ne maîtrise ». « La violence qui produisait du sacré, ne produit plus rien qu'elle-même ». Exemples en Occident de cette violence pure : Anders Breivik, le tueur fou norvégien, et tous ceux qui sur les campus américains, tuent pour tuer avant de retourner leur arme contre eux. Il y a un usage absolument moderne de la violence et c'est chez nous, lorsque la société est totalement déchristianisée (ce qui n'est pas le cas partout. Dieu soit loué) que cet usage se manifeste à découvert de la manière la plus sensationnelle.

Le cas de l'islam, dans cette histoire de la violence et des sacrifices, est plus difficile à traiter. À ma connaissance, René Girard n'a guère parlé de l'islam, sinon pour analyser le bloc musulman en termes de rivalité mimétique avec l'Occident. Mais il n'a pas cherché à comprendre l'islam par le dedans. Il m'a lui même déclaré qu'il hésitait à s'avancer sur ce terrain, ne connaissant pas forcément le monde islamique d'assez près. Il n'empêche que la voix méconnue du réel se fait entendre de plus en plus fort, au fil des événements, et que l'on peut tenter d'interpréter les attentats du vendredi 13 novembre à Paris, à travers les structures interprétatives que Girard a mises en place.

Je crois que ce qui gênait René Girard dans son interprétation de l'islam, c'est que la religion de Mahomet est post-chrétienne. On ne peut donc pas l'interpréter comme une religion archaïque avec ses sacrifices. Certes la fête de l'Aïd, ce sacrifice du mouton qui se substitue au sacrifice d'isaac, a bien une tonalité archaïque : c'est Dieu qui ordonne le sacrifice et le sacrifice du mouton a une valeur substitutive, puisque Abraham aurait dû tuer son propre fils. Mais la présence de cette fête dans le calendrier et - dans les banlieues une fois par an - les baignoires dégoulinantes du sang de l'agneau sacrifié, tout cela n'a sans doute pas une importance suffisante pour que l'on puisse considérer que tout est sacrificiel dans l'islam et que l'islam est une religion sacrificielle comme les autres, qui limiterait ainsi les dégâts, qui canaliserait la violence primitive une Ibis par an.

La modernité de l'islam c'est l'apocalypse

En réalité, l'islam est aussi et peut-être d'abord une religion apocalyptique, le Père Gallez a récemment démontré l'importance concrète de cette perspective novatrice. Nous vivons à l'heure de Daech et nous nous habituons à considérer que Daech n'est pas vraiment islamique; nous utilisons ce sigle pour mieux nous en convaincre, alors même que cet acronyme signifie État islamique en Irak et au Levant. Notre Président François Hollande n'est pas parvenu à utiliser le mot "islamiste" ou le mot "islam" lors du récent Congrès de Versailles. Nous oublions que la politique de Daech repose sur cette apocalyptique islamique, que le Calife Ibrahim a remise en marche le jour où lui. membre de la tribu des Quraichites comme le fut Mahomet, s'est autoproclamé « Calife bien guidée » et donc premier « vrai » Calife depuis les quatre (ou les huit ou les dix) « historiques »...

De quels événements cette apocalypse sera-t-elle faite ? Il est impossible de le savoir à l'avance avec certitude. Contrairement à l'apocalyptique chrétienne, où, nous a expliqué René Girard, c'est l'homme qui fait son propre malheur, l'apocalyptique islamique, exposée par des fondamentalistes, parle exclusivement du châtiment divin réservés aux « croisés » c'est-à-dire aux ennemis de l'islam. Dieu fait ce qu'il veut. Ses fidèles n'ont qu'une seule certitude sur ces choses qui vont commencer : le châtiment des Croisés aura lieu à Jobbik. une petite bourgade syrienne dont les troupe de l'EI se sont emparées, sans aucune nécessité stratégique. Déjà peut commencer, sous l'impulsion du Calife bien guidé, la grande purification du inonde. De toutes façons « la Religion se maintiendra jusqu'à l'arrivée de l'Heure ou jusqu'à ce que Douze Califes, issus tous de Quraych. vous eussent dirigés » (Sahih Muslim 2, 19).

Dans ces opérations purificatoires, les chrétiens sont souvent plus épargnés que les Yézidis par exemple, parcequ'ils paient le tribut conformément à ce que prévoit pour eux la sourate 9. Mais les mauvais musulmans (qui n'observent pas la charia, peut-être simplement parce qu'ils se coupent la barbe) sont sommairement exécutés en tant que takfiri.

Voici, par exemple, un des « nachîd » (chant émis d'une voix métallique) que l'État islamique envoie en français sur le net en ce moment, pour caractériser leurs opérations internationales actuelles : « Tue les apostats que le diable a égarés, Avec les gens du faux, la guerre est déclarée, Plus de polémique ni de philosophie, Soit tu les tues, soit ils te tuent, que du profit. » Nous ne sommes pas là dans une culture sacrificielle traditionnelle, qui canalise et limite l'usage de la violence. C'est une proclamation apocalyptique sur la sainteté de la mort, dans une « montée aux extrêmes » que René Girard jugerait absolument exemplaire, parce qu'on y gagne à tous les coups : « Soit tu les tues, soit ils te tuent, que du profit » dit leur chanson. La violence de ces gens est gratuite, parce qu'elle est sainte, représentant la volonté d'Allah : tous les jours, en Syrie ou en Irak, dans les territoires occupés par Daech, ont lieu des exécutions et des massacres de « takfirs » de mauvais musulmans. Et l'on filme des vidéos de massacres, parce que cette violence est sainte.

Les morts du 13 novembre, pour y venir enfin, il n'y avait aucun raison de les viser particulièrement eux. Ils sont morts parce que la violence des fils d'Allah est sainte et voulue par Dieu, comme l'apocalypse qu'ils annoncent. Ils auraient dû être beaucoup plus nombreux, les morts, puisque trois des huit terroristes - maladresse ? - se sont fait exploser tout seuls. Leur mort ne sert à rien stratégiquement. Et de ce point de vue, elle n'est pas un acte de guerre comme nos hautes autorités le répètent trop volontiers. Cette mort manifeste les prémisses de la purification théologique du monde, qu'a initié le Calife Ibrahim le bien guidé.

Mais surtout il faut dire que ce kakangile de la mort au nom d'Allah aurait dû susciter un concert unanime de refus et de protestation. Au lieu de cela, l'étalage de cette violence gratuite, purement punitive et qui a lieu là parce que Paris est paraît-il « la capitale des abominations et de la perversion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe » (communiqué de l'EI), cette annonce froide d'un règne de « Dieu » par la mort provoque une sorte de fascination, dans une large partie de la population. Qu'est-ce qui est fascinant ? La mort donnée pour rien. Mais aussi ces terroristes qui donnent leur vie sans hésiter et qui, eux, sont prêts à mourir.

Face à cette culture de la mort, l'Évangile de la vie est plus que jamais d'actualité. Alors que nous risquons d'assister à un débordement de violence sans précédent sur la Planète, il n'y a pas d'autre programme de paix que l'Évangile. René Girard a construit son œuvre sur cette idée. À nous de pendre conscience de la responsabilité qui incombe aux chrétiens.

Abbé Guillaume de Tanoüarn monde&vie 23 novembre 2015 n°916

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