« Jadis l’idée de patrie, fortement sentie, était très peu souvent définie », a écrit l’historienne Marie-Madeleine Martinaujourd’hui, les notions de nation et d’identité, devenues folles, doivent être précisée. Mais France républicaine est-elle simplement amnésique ou schizophrène ?
En janvier 2010, à La Courneuve, s’exprimant devant un auditoire principalement issu de l'immigration, Eric Besson, ministre de l'immigration et de l'identité nationale de Nicolas Sarkozy avait défini la France comme « un conglomérat de peuples qui ont décidé de travailler ensemble, de vivre ensemble, et qui se sont donné des valeurs, une nation qui s'est donné un État - c'est pour ça qu'on a un État plus fort que dans la plupart des pays du monde et plus centralisateur(…) Il n'y a pas de Français de souche, il n'y a qu'une France de métissage. » Cette déclaration s'inspirait à la fois d'une célèbre citation d'Ernest Renan, souvent tronquée, et d'un argument jadis utilisé par Mirabeau pour critiquer la société d'Ancien Régime.
Dans Qu’est-ce qu'une nation ? Renan écrivait en 1882 : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu'une, constituent cette âme ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu’on a reçu indivis. » Ceux qui citent ces lignes n’en retiennent souvent, comme Besson, que le présent et oublient le passé (l'héritage). En conditionnant son existence aux seuls « consentement actuel » et « désir de vivre ensemble », ils amputent la nation de sa dimension transcendante (une communauté d'histoire et de destin) pour la réduire à l'immédiateté démocratique : il s'ensuit que si ce consentement et ce désir n’avaient plus cours, la France cesserait d'exister… Renan lui-même, en répudiant le « droit divin » et le « droit prétendu historique » à l'origine de la nation, écrivait d'ailleurs, non sans danger, que l’existence de la nation est « un plébiscite de tous les jours ». L'argument emprunté à Mirabeau est faux d'une autre manière : le tribun révolutionnaire décrivait les Français de l’ancien Régime comme une « agrégation inconstituée de peuples désunis », qui seraient « véritablement devenus une nation » par la grâce de l'assemblée nationale, nouvellement créée. Mais l’ancienne France apparaît plutôt comme un agrégat de peuples réunis, au fil de l'histoire, par la volonté politique des rois de France, et qui conservaient leurs identités respectives. C'est ce qui conduisait Jacques Bainville à écrire que « Le peuple français est un composé. C'est mieux qu'une race. C'est une nation. » Ces identités locales souvent fortes et qui n’ont toujours pas disparu, n’empêchaient pas l'unité nationale, qui s'incarnait dans la personne du roi. Après la décapitation de Louis XVI, l'État devenu républicain, naguère outil de la monarchie, occupa la place vacante du souverain. Cette usurpation sauva sans doute l'unité nationale, mais laissa libre cours aux tendances centralisatrices de l'Administration. Cependant, comme l’écrit saint Jean-Paul II dans Mémoire et identité, « on ne peut remplacer la nation par l’État, bien que la nation, de par sa nature, tende à se constituer en État. »
La nation, grande éducatrice des hommes
Pour revenir à la question de Renan, qu'est-ce donc finalement qu'une nation ? Charles Maurras la définit comme « le plus vaste des cercles communautaires qui soient (au temporel) solides et complets Brisez-le et vous dénudez l'individu. » Et Jean-Paul II, comme « une communauté qui réside dans un territoire déterminé et qui se distingue des autres nations par une culture propre. La doctrine sociale catholique considère que tant la famille que la nation sont des sociétés naturelles et ne sont donc pas le fruit d'une simple convention. C'est pourquoi, dans l'histoire de l'humanité, elles ne peuvent être remplacées par rien d'autre. »
Les deux définitions se complètent, celle du pape polonais appuyant davantage sur l'aspect culturel. Pour lui, en effet, « La Nation existe "par" la culture et "pour" la culture, et elle est donc la grande éducatrice des hommes pour qu'ils puissent "être davantage" dans la communauté Elle est cette communauté qui possède une histoire dépassant l'histoire de l'individu et de la famille » Il rappelle comment la Pologne, maintes fois « condamnée à mort » par ses voisins, « a conservé son identité, et (…) malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s'appuyant sur les ressources de la force physique mais en s'appuyant sur sa culture. » L'identité nationale polonaise est donc bâtie sur la culture commune.
Mais en France, la Révolution a profondément divisé la culture nationale et tenté de détruire les bases de la civilisation de notre pays, notamment en répudiant ses racines chrétiennes au nom du laïcisme. Alors que l'identité polonaise a résisté à des assauts portés de l'extérieur, l'identité française est sapée de l'intérieur. Aujourd'hui, les Français n'osent plus dire, ni se rappeler qui ils sont - le voudraient-ils que les procureurs de la Pensée unique le leur interdiraient. Au même moment sont conviés à s'installer sur le sol de la patrie - la terre des pères - des millions d'immigrés déracinés bien incapables lorsqu'ils ne refusent pas le « vivre ensemble » qui leur est proposé par les tenants de la prétendue « France de métissage », de s'assimiler à cette nation schizophrène en quête d'identité. Revient alors à la mémoire l'avertissement de l'historien Fustel de Coulanges, qui constatait naguère que cette hostilité à l'égard de l'ancienne France et de son héritage, « n’est, au fond, que la haine de tout ce qui est français ».
Eric Letty monde&vie 2 février 2017 n°935