Par Pierre Boisguilbert, journaliste spécialiste des médias et chroniqueur de politique étrangère ♦ C’est un titre de la presse populaire anglaise du week-end : « Brexit 1 – UE 0 ». L’humour britannique résiste au confinement. Mais, derrière cette ironie mordante, il y a une réalité. La Grande-Bretagne du Brexit, seule contre tous et donc vouée à l’effondrement dans tous les domaines, a son vaccin et sa population en bénéficie en priorité. Nationalisme vaccinal peut-être, mais efficacité nationale sûrement. Et cela sans un excès d’égoïsme puisque la firme britannique va faire mieux et plus à la demande ou sous la pression des Européens. On notera au passage que ce sont les usines européennes du groupe qui ont des soucis de production, et pas celles installées outre-Manche.
500 000 Britanniques vaccinés chaque jour !
L’Union européenne demande à recevoir les doses commandées venant des usines de Keele et Oxford, car celles qui fournissent les Européens, aux Pays-Bas et en Belgique, connaissent des problèmes techniques. L’Union européenne accuse le laboratoire britannico-suédois AstraZeneca de favoriser le Royaume-Uni où sont vaccinées 500 000 personnes chaque jour contre le Covid-19. Résultat : depuis le début des campagnes, près de dix millions de vaccinés outre-Manche, à peine plus de 1,5 million en France.
La présidente de la Commission européenne a annoncé le 31 janvier qu’AstraZeneca allait livrer à l’Union européenne neuf millions de doses de plus que prévu de son vaccin contre le Covid, soit 40 millions de doses au total, un chiffre en hausse de 30 %.
AstraZeneca « commencera les livraisons une semaine plus tôt que prévu », a précisé aussi Ursula von der Leyen, car la société britannique « étendra également sa capacité de fabrication en Europe ».
AstraZeneca devait fournir 80 millions de doses à l’UE d’ici à la fin du mois de mars, dont 17,5 millions à la France. De quoi vacciner 8,7 millions de Français avant le début du printemps. On reste loin du compte. La France devrait pouvoir récupérer aux alentours de six millions de doses de ce vaccin développé par l’université d’Oxford, pour lequel deux injections sont nécessaires. De quoi vacciner trois millions de personnes supplémentaires d’ici à la fin du mois de mars. AstraZeneca, dont le vaccin a été autorisé le 29 janvier sur le marché européen, avait évoqué une réduction de trois quarts des livraisons promises à l’UE au premier trimestre en excipant d’une « baisse de rendement » sur un site de fabrication européen pour expliquer ses retards de livraisons à l’UE.
Une explication jugée « insatisfaisante » par la Commission, qui a réclamé une inspection du site industriel belge concerné, géré par un sous-traitant du groupe.
Préférence nationale vaccinale ?
On voit bien que le soupçon porte sur une « préférence nationale vaccinale » assumée par le gouvernement, l’opinion publique et une partie de la presse britanniques. Dans un entretien à certains médias, le PDG d’AstraZeneca, le Français Pascal Soriot, avait d’ailleurs assuré devoir réserver aux Britanniques la production des usines au Royaume-Uni.
Ce sont les Anglais qui ont trouvé ce vaccin et la France, où l’Institut Pasteur et le géant Sanofi ont déclaré forfait après des essais infructueux, peut dire ce qu’elle veut : les Britanniques ont rang de grande puissance vaccinale aux côtés des USA et de l’Allemagne, de la Russie de la Chine. Comme quoi, hors de l’Europe, on peut faire mieux que l’Union. C’est l’Union qui court après la GB et pas la GB qui implore l’Union. Les menaces juridiques ne changent rien. Le recours aux usines britanniques pour approvisionner l’UE « n’est pas une option, c’est une obligation contractuelle », avait insisté un responsable européen.
Berlin a menacé d’actions en justice les laboratoires ne « respectant pas leurs obligations » de livraison de vaccins à l’UE. Mais Londres a aussi des griefs vis-à-vis de Bruxelles. La ministre britannique du Commerce Liz Truss a déclaré dimanche avoir reçu de la part de l’Union européenne la garantie que les doses de vaccins commandées par le Royaume-Uni, notamment en provenance des laboratoires Pfizer et BioNTech, lui seraient livrées, après que Bruxelles a reconnu avoir commis une « gaffe » en invoquant des contrôles à l’export en particulier entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. L’UE continue en fait à ne pas accepter le Brexit et tente par tous les moyens de punir Londres.
Mais peut-on punir un pays incontournable à notre vaccination, une nation fière à juste titre de ses scientifiques et de son vaccin made in GB. « Rule, Britannia » avec le vaccin, un certain patriotisme national anglais est de retour tandis que revient le spectre de la « perfide Albion ».
Mais, quoi qu’on en pense, il y eut les bourgeois de Calais, il y a maintenant les bourgeois de Bruxelles.
Pierre Boisguilbert 05/02/2021