Le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a mandaté le CNRS pour mener une « étude scientifique » sur l’« islamo-gauchisme » dans les universités.
Pour Boulevard Voltaire, Christophe Bourseiller revient sur ce phénomène de l’islamo-gauchisme mais aussi sur le courant décolonial, venu des États-Unis.
La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal a déclaré vouloir ouvrir une enquête pour faire un point sur l’islamo-gauchisme qui gangrénerait l’université française.
Cette déclaration de la ministre est-elle fondée ?
C’est une question que l’on peut se poser. Je ne connais pas suffisamment l’université française dans son détail pour déterminer si l’université est gangrenée ou non par l’islamo-gauchisme. En tout état de cause, j’ai l’impression que la ministre utilise le terme islamo-gauchisme de façon erronée, dans la mesure où c’est un trait de l’époque. On confond tout et son contraire. Je pense qu’il ne faut pas confondre le phénomène de l’islamo-gauchisme et le phénomène des gauches décoloniales.
Qu’est-ce que la gauche décoloniale ? Vous qui êtes un spécialiste de l’ultra gauche, peut-on parler intersectionnalité des luttes ?
L’islamo-gauchisme sont des groupes d’extrême gauche, principalement trotskistes, qui pour des raisons stratégiques ont décidé de s’allier ponctuellement dans les quartiers et dans les luttes avec des groupes islamistes. On l’a notamment vu avec des groupes liés au théologien, Tariq Ramadan. L’islamo-gauchisme concerne l’extrême gauche. Le phénomène des gauches décoloniales est lié au fait que l’on voit venir des États-Unis depuis quelques années, un certain nombre de courants de pensée qu’on appelle décoloniaux. Le courant décolonial n’a rien à voir avec l’islamo gauchisme. C’est un courant américain qui prône l’idée de poursuivre la décolonisation jusque dans les têtes. On peut dire qu’il y a eu un combat anti colonialiste que l’on pouvait discuter, mais qui a eu ses heures de gloire. Ensuite, il y a eu un combat contre le néo-colonialisme qui était la présence dans les anciennes colonies d’intérêts liés aux nations anciennement colonisatrices. Ensuite, il y a eu un mouvement dans l’université que l’on a appelé les études post coloniales, qui consistait à étudier la rémanence dans les sociétés africaines d’un esprit colonial. Et maintenant, il y a la tendance décoloniale qui en vient à une forme d’essentialisme, et qui explique que tout Occidental devrait expier pour les crimes de la colonie. Là où on est très éloigné de l’islamo-gauchisme, cette théorie décoloniale inclut notamment l’esclavage et le fait que toute personne de race blanche doit se sentir coupable et doit expier l’esclavage parce qu’elle serait, par la couleur de sa peau, complice de ces faits qui ont été perpétrés il y a plusieurs centaines d’années. L’islamo-gauchisme est au fond un phénomène minoritaire, alors que le phénomène des gauches décoloniales est un phénomène important, dans la mesure où cela touche non seulement l’université, mais aussi l’ensemble de la gauche qui est aujourd’hui dans un débat. Elle est divisée entre une gauche laïque et une gauche tiers-mondiste. Ces pensées décoloniales présentes à l’université traduisent, à mon avis, une perversion du tiers-mondisme.
D’où vient ce terme d’islamo gauchisme ?
Le terme islamo-gauchisme est apparu dans la bouche des détracteurs de ces alliances. Il est apparu chez les journalistes au début des années 2000 pour dénoncer les liens avérés entre une partie de l’extrême gauche et les réseaux islamistes. Contrairement à ce que disent beaucoup de militants d’extrême gauche, si on définit l’islamo gauchisme comme étant les liens entre des groupes d’extrême gauche et des groupes islamistes, cet islamo-gauchisme-là existe.