L’actualité vous donne envie de vous pendre ? Attendez un peu. Il suffit d’un rien, parfois, pour vous redonner foi en l’humanité.
On le sait, la chaîne M6 s’est fait une spécialité du « divertissement populaire ». Et de populaire à populiste, il n’y a qu’un suffixe.
Difficile, il faut dire, d’attirer des foules enthousiastes sur les débats goûtés avec gourmandise par la petite élite de France Culture (« Si Babar faisait l’éloge de la colonisation ? »), du HuffPost (« Avoir ses règles quand on n’est pas une femme ») ou de Slate (définir les femmes comme « trous de devant » ou « propriétaires de vulves » n’est-il pas une façon « d’invisibiliser les femmes au nom de l’inclusion des personnes trans » ?). Amis du glamour et du romantisme, bonjour !
Las, la France profonde reste, elle, désespérément glamour et romantique. Toujours à la traîne, quand les fameux premiers de cordée qui nous gouvernent tentent de la hisser vers les avancées… sociétales, ce registre étant le seul, finalement, où ceux-ci peuvent se targuer d’avoir « progressé ». Il faut y voir sans doute là ce fameux « sens commun » théorisé par Michéa à la suite de George Orwell.
Nous sommes d’accord, tout, dans ces divertissements télévisés, n’est pas d’un goût exquis. Et dans des numéros de cirque gouailleurs où l’on surjoue l’émotion, on croise souvent des génuflexions obliques de dévot pressé, comme dirait Flaubert, devant le politiquement correct.
Mais on y exploite aussi le filon « jeanpierrepernautien », ancré dans le réel. Dans « L’amour est dans le pré », il est question des paysans qui ne parviennent pas à se marier. Une prochaine émission de dating fera rencontrer dans un château des célibataires en quête du grand amour. Disney qui veut déconstruire ses clichés peut se brosser : le rêve de trouver le prince charmant dans un cadre de conte de fées demeure.
Dans les divers jeux et télé-crochets, il est question d’effort, de mérite, d’émulation. Alors qu’à l’école, toute idée de concurrence, de classement est évacuée par peur de « l’exclusion », pour ces compétitions, franchir la marche suivante n’est pas aisé. Et cela plaît.
On y cultive même – horresco referens – l’identité : les spectateurs sont encouragés à soutenir leur famille, leurs amis, voisins, les concurrents de leur quartier, de leur ville, leur région…
Et, soudain, libérée, il arrive que la vox populi plébiscite des spécimens d’une France oubliée que l’on croyait disparue. Ainsi, avant Noël, la famille Lefèvre a-t-elle remporté « La France a un incroyable talent ».
Avec « La Meilleure Boulangerie de France », c’est un jeune ménage de 25 ans qui, dans le Calvados, a été sélectionné. Corentin et Clémentine sont beaux et simples, n’ont pas les cheveux bleus ni même de piercing dans le nez. Ils ont racheté la boulangerie où Corentin avait fait son stage de 3e… dans son village natal. Pour Clémentine, « c’est une fierté de faire vivre » celui-ci. Rien de trivial, rien de vulgaire. Aucune marque d’excentricité affectée ou de négligé cultivé à dessein. Ils aiment le service soigné, le pain qui sent bon, les gâteaux bien alignés, les vitrines proprettes et les clients satisfaits.
Leur commerce, sis à Cambremer, fleure bon Marcel Proust, mais le temps perdu n’est pas trop le style, visiblement, de la maison… on est au boulot très tôt, et « il n’y a pas de confusion des genres dans l’organisation », Madame règne sur la boutique, Monsieur sur le fournil : c’est la jeunesse du petit matin qui construit, et elle change agréablement de celle du Grand Soir – antifas-fils-à-papa – qui détruit.
Qu’ont-ils d’extraordinaire ? D’être délicieusement ordinaires. Mais en un temps où consommer de la viande, souhaiter joyeux Noël, écrire de façon intelligible, avoir des enfants, être propriétaires, aimer son patelin… et autres petits bonheurs innocents deviennent suspects, leur normalité tranquille est rafraîchissante, et le succès qu’elle rencontre est rassurant quant à l’état d’esprit des Français.