Zemmour veut supprimer le ministère de la culture. Il tire cette conclusion du désastre de la cérémonie des Cesar où la plus plate vulgarité a piétiné un rite célébrant une exception culturelle française réduite à être le tremplin d’un gauchisme obsessionnel. Faut-il donc jeter le bébé avec l’eau du bain ? Faut-il en revenir à un secrétariat aux Beaux-arts chargé d’entretenir et de transmettre le patrimoine ? Cette proposition est pour le moins décevante de la part de celui dont Mme Le Pen voulait faire son ministre de la culture. C’était d’ailleurs une fort mauvaise idée car si Eric Zemmour ferait un excellent porte-parole pendant quelques semaines, avant que son sens aigu de la critique ne se rebelle contre un rôle de brosse à reluire, il a une vision beaucoup trop réductrice de la culture.
La culture est l’un des vecteurs du rayonnement de notre pays. Ce devrait être une source d’identité et de fierté nationales, et on comprend mal qu’un patriote, partisan de les “cultiver” l’une et l’autre en ait une conception quelque peu rabougrie dans le territoire étroit du patrimoine. Les deux explications qui viennent à l’esprit sont d’abord un pessimisme foncier, celui du “Suicide français”. Celui-ci est en grande partie fondé mais s’il convient à un éditorialiste, il devient un énorme défaut chez un responsable politique dont les idées doivent soulever l’espoir et non caresser la désespérance. En second lieu, de manière beaucoup plus juste, ce qu’il vise n’est pas tant l’institution, que le microcosme auquel elle correspond. Et on touche là le vrai “mal français”, non pas celui que Peyrefitte avait ciblé, ce dirigisme étatique, cette administration envahissante, cette peur de la liberté appuyée sur l’esprit de méfiance qui entrave chez nous le vrai libéralisme, mais le rôle calamiteux de nos prétendues élites. Il y a longtemps qu’elles sont sclérosées et aussi pontifiantes qu’inefficaces. Ce sont elles qui expliquent “L’Etrange défaite” de 1940 dont parle Marc Bloc. Mais, d’une certaine manière, on pouvait penser que la guerre avait permis le renouvellement, remplacé les hommes, changé les esprits, rétabli le sens de la rigueur et de l’exemplarité chez ceux qui doivent diriger les autres. Le gaullisme était le courant politique qui correspondait à ce renouveau. Il eut mieux valu qu’il s’imposât dès 1944 pour une longue période. Tel n’a pas été le cas. On retiendra toutefois que des créations comme l’ENA, en 1945, ou le ministère de la Culture, en 1959, participaient de cette volonté politique. Il y eut des générations de hauts fonctionnaires qui faisaient du service du pays leur religion. Nos derniers dirigeants témoignent de sa décadence. La France a connu un grand ministre de la culture avec Malraux qui possédait les trois qualités propres à sa mission, d’abord une vaste culture, ensuite être un acteur de celle-ci et enfin nourrir une idée claire de ses objectifs.
“Rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent”, tels étaient ces objectifs que Malraux avait définis lui-même. Tout y est : en premier lieu, la culture est un patrimoine mais hiérarchisé, avec des oeuvres “capitales” et d’autres qui le sont moins ; il doit y avoir une “préférence nationale” qui fait de l’héritage français celui qu’il faut “d’abord” mettre en valeur ; le public doit être populaire car la transmission de la culture c’est de l’élitisme pour tous, c’est faire accéder les plus pauvres à la connaissance des oeuvres ; enfin la culture n’est ni un musée uniquement, ni surtout un cimetière, il faut qu’elle soit vivante et créatrice. On mesure en relisant ce texte la descente aux enfers de notre pays, symbolisé par l'”autre” ministre, Jack Lang, qui fut en tous points à l’opposé de Malraux, confondant la culture et le divertissement, avec les fêtes de ceci ou de cela, associant à la fois la démagogie de l’égalité des expressions “culturelles”, et le snobisme de la création réduite à la provocation. Une prétendue élite snobe assez méprisante envers le peuple pour le reléguer au plaisir du divertissement vulgaire et assez indigne de son rôle pour favoriser tout ce qui mine et détruit le patrimoine spirituel sans lequel la culture n’a plus d’âme : voilà où cette dérive nous a conduits. Le grand paradoxe réside dans le fait que la gauche a monopolisé la culture dès avant 1968, et qu’elle y règne sans partage depuis 1981, alors que l’idéologie qui l’anime est aux antipodes du but que Malraux assignait à une véritable politique culturelle. C’est de cette caste et de son idéologie qu’il faut libérer notre pays et notre culture !
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