Pour commencer, pouvez-vous nous donner une brève introduction sur votre domaine d’expertise, votre travail et vos activités en cours ?
J’ai 50 ans. Formé aux sciences politiques, à l’histoire et à la géographie, j’ai aussi suivi des cours de droit constitutionnel.
J’écris mes premiers articles dès 1993. J’ai publié une dizaine de livres et collaboré à une dizaine d’autres. En 2005, je fonde avec quelques amis le site identitaire français Europe Maxima dont j’assume la rédaction en chef.
Je collabore aux Cahiers d’histoire du nationalisme, à la revue Synthèse nationale et au Magazine des Amis de Jean Mabire. Je tiens enfin chaque semaine sur le site officiel de TVLibertés un podcast intitulé « Chronique hebdomadaire du Village planétaire ».
Dans le passé, vous étiez également membre du grand groupe de réflexion français de la « Nouvelle Droite », le GRECE. Parlez-nous un peu de votre travail au sein de ce groupe de réflexion et de la « Nouvelle Droite » elle-même ?
Il faut d’abord rappeler aux lecteurs que le terme de « Nouvelle Droite » provient de journalistes de gauche hostiles qui alimentent une violente campagne de presse de l’été 1979. Fondé à la fin des années 1960, le GRECE est un groupe de réflexions pluridisciplinaires et contre-encyclopédiques qui n’a jamais pris de positions politiques, sauf à deux occasions :
– en 1974, quand son secrétaire général, Jean-Claude Valla (1944 – 2010), appelle les lecteurs d’Éléments à voter pour Valéry Giscard d’Estaing au second tour de l’élection présidentielle contre le candidat de l’union de la gauche socialiste – communiste François Mitterrand;
– en 1992, quand le rédacteur en chef d’Éléments, Charles Champetier, défend le « non » au référendum sur le traité européen de Maastricht. Sa prise de position suscite de vifs débats. Si Alain de Benoist s’abstient, les « Nouvelles Droites » flamande et italienne soutiennent le « oui ».
Le GRECE m’a intellectuellement formé. J’y ai rencontré de grandes figures pionnières aujourd’hui décédées comme Roger Lemoine (1928 – 1999), Maurice Rollet (1933 – 2014) ou Jacques Marlaud (1944 – 2014). J’ai d’abord publié des articles dans ses publications régionales avant d’écrire dans Éléments. Parrainé par Jacques Marlaud et Charles Champetier, je me suis occupé du Lien, son bulletin interne. Je suis aussi intervenu à ses nombreuses universités d’été dans les années 1990 – 2000.
Aujourd’hui, le GRECE n’existe plus dans les faits. Il a été remplacé par l’Institut Iliade dont l’ambition plus politique s’inscrit dans la perspective d’un retour en politique après 2022 de Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen. Je me suis détaché pour diverses raisons de la « Nouvelle Droite » parisienne qu’il ne faut pas confondre avec les « Nouvelles Droites » présentes dans les différentes régions françaises, ni avec les autres manifestations ailleurs sur le continent indépendantes, en particulier les initiatives autour de Synergies européennes de l’excellent Robert Steuckers. Je continue à ma modeste mesure l’immense entreprise de démolition des mystifications de la Modernité, du Progrès et de l’Égalité.
Une partie de votre travail porte sur la géopolitique. Que pouvez-vous nous dire sur l’actuelle situation géopolitique ? Pensez-vous que les objectifs géopolitiques de grands « acteurs » tels que la Chine, la Russie, les États-Unis d’Amérique ou de l’Union européenne évolueront dans un proche avenir ?
Balayer l’actuelle situation géopolitique en quelques lignes ne serait pas sérieux. Je ne lis pas l’avenir. Mais je ne me dérobe pas.
L’Union dite européenne prouve chaque jour son inutilité géopolitique. Ce vide existentiel atteint aussi les nations, les États et les peuples, ce qui invalide le souverainisme national et les propositions de « Frexit » ou d’« Italexit ». Le risque de sécession de la Catalogne montre aussi que l’indépendantisme et le gauchisme travaillent en réalité pour le mondialisme. Sauver notre civilisation passe par un saut historique vers une véritable unité européenne.
La Russie reste une puissance d’ordre continental, mais l’immensité de son territoire, son faible nombre d’habitants, sa natalité toujours déficiente et sa porosité démographique avec les populations du Caucase méridionale et d’Asie Centrale fragilisent ses ambitions. N’oublions pas que Vladimir Poutine n’est pas immortel.
Avec Joe Biden élu grâce aux fraudes massives de l’« État profond », les États-Unis redeviennent le sheriff du monde entier. Mais ont-ils encore les moyens de dominer les cinq continents ? La société yankee est plus que jamais divisée. Les États-Unis se rapprochent du Tiers-Monde et la drogue ravage leurs campagnes. Verra-t-on leur éclatement ? Je le souhaite, mais je ne parierai pas.
Quant à la Chine, grâce à sa dynastie septuagénaire, le Parti communiste, elle retrouve la place qu’elle a perdue à la fin du XVIIIe siècle : la première. Face à la montée en puissance de Pékin, il faut prendre en compte l’émergence de l’Inde sous le gouvernement national-conservateur de Narendra Modi. On oublie que la Chine vieillit et qu’en 2050, l’Inde sera l’État le plus peuplé du monde. Et si le XXIe siècle était son siècle ?
Vous avez également écrit sur la troisième voie et le mouvement solidariste. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les solidaristes et sur les grands principes des mouvements de troisième voie ?
Au risque de me défausser, ma réponse développée dépasserait le cadre de cet entretien. Après une publication récente en espagnol, Pour la troisième voie solidariste pourrait être traduit en anglais ou en slovène. Dans cet ouvrage, je me concentre sur la France sans pour autant ignorer les voisins européens et les expériences en Amérique du Sud et en Russie.
Le solidarisme est d’abord une formulation de l’homme politique français, le républicain Léon Bourgeois (1851 – 1925), premier président du Conseil de la Société des Nations. Il veut donner au radicalisme – le mouvement républicain franc-maçon qui constitue le cœur nucléaire de la IIIe République française (1870 – 1940) – une idéologie. L’ingénieur allemand Rudolf Diesel (1858 – 1913) écrit en 1903 un essai intitulé Solidarismus. Le Flamand Joris van Severen (1894 – 1940) fonde en 1931 en Belgique le Verdinaso (Ligue des solidaristes nationaux thiois). Dans la même décennie, avant de rejoindre la Phalange espagnole, Ramiro Ledesma Ramos (1905 – 1936) anime le national-syndicalisme et influence les mouvements d’Amérique latine tels le péronisme argentin ou le sinarquisme mexicain.
Après la Guerre d’Algérie en 1962, les jeunes militants de l’Algérie française reprennent à leur compte le solidarisme et travaillent avec la NTS (la résistance solidariste russe en exil). En 1975, un militant solidariste français, Francis Bergeron qui dirige maintenant le quotidien national-catholique Présent, distribue des tracts anti-soviétiques sur la Place Rouge à Moscou ! À la même époque, d’autres solidaristes français partent au Liban combattre aux côtés des phalangistes chrétiens contre les musulmans progressistes.
La troisième voie (« Ni trusts ni soviets » et « Ni Washington ni Moscou ») prend des formes variées. En France, elle se manifeste avec le bonapartisme de l’empereur Napoléon III, le catholicisme social des royalistes contre-révolutionnaires, le distributisme cher à l’écrivain britannique G.K. Chesterton ou le gaullisme de Charles De Gaulle. Ce dernier prônait l’indépendance nationale, une Europe libérée des blocs issus de Yalta et la justice sociale (l’association du capital et du travail, l’intéressement aux bénéfices et la participation des producteurs à l’avenir de leur entreprise).
Quels autres auteurs, philosophes et écrivains ont-il eu le plus d’influence sur vous et vos travaux ? Quels auteurs recommanderiez-vous à nos lecteurs ?
Je ne mentionne que des défunts : l’Italien Julius Evola, les Allemands Carl Schmitt et Arthur Moeller van der Bruck, le Suisse Denis de Rougemont, l’Étatsunien Francis Parker Yockey, le Belge Jean Thiriart, les Français Joseph de Maistre, René Guénon, Charles Maurras, Maurice Barrès, Robert Aron, Arnaud Dandieu, Julien Freund, Guillaume Faye, Robert Dun, Dominique Venner ou Guy Debord. J’en oublie bien sûr…
J’invite vos lecteurs à les lire dans le texte ou dans une traduction disponible en anglais ou en allemand.
Quelle est votre avis sur les mouvements identitaires et nationalistes contemporains ?
Vaste question ! Chaque mouvement est différent, y compris au sein d’un même pays. Je porte un regard assez positif sur les mouvements nationalistes et identitaires, surtout s’ils s’opposent au monde financier et au multiculturalisme, à l’immigration extra-européenne et à la corruption politique.
Je déplore en revanche que certains mouvements cherchent encore à régler des désaccords frontaliers et les contentieux historiques. Les nationalistes doivent renoncer aux vieilles et vaines querelles pour défendre l’intérêt général européen. Je n’apprécie pas que le FPÖ s’attaque à la minorité slovène en Carinthie. Je n’aime pas que les nationalistes norvégiens ou suédois s’indignent de la présence des Samis, ces indigènes d’Europe septentrionale.
Disciple de Julius Evola, fils d’un des cofondateurs du MSI, le penseur italien Adriano Romualdi (1940 – 1973) affirmait avec raison que « seuls les nationalistes peuvent faire l’Europe ». Les « bons Européens » doivent soutenir les avant-postes de notre civilisation européenne : protéger les enclaves espagnoles au Maroc, libérer Chypre de l’occupation turque et l’unir à la Grèce, reprendre à la Turquie la Thrace orientale et Constantinople, soutenir l’Arménie et l’Artsakh – Nagorny Karabakh. Ils doivent enfin exiger le départ de toutes les troupes US d’Europe et la dissolution de l’OTAN.
Que pouvez-vous nous dire sur la situation politique actuelle en France ? Comment voyez-vous les développements au sein de l’Union européenne, y compris les migrations massives, la crise du covid-19 et le fossé entre les États-membres du V4 et le reste des pays occidentaux « libéraux » de l’UE ?
Votre question comporte plusieurs sous-questions. La France arrive lentement à son nadir historique. Sa classe politique, intellectuelle, artistique, culturelle, économique, technicienne et sanitaire est d’une affligeante nullité. Les Français sont responsables de ce drame historique. Les nationalistes les ont prévenus depuis cinquante ans. Ils ne les ont pas écoutés ! En 1973, le gouvernement français interdit le mouvement Ordre nouveau, créateur du Front national, qui avait tenu une réunion électorale contre l’immigration, principal vecteur de la tiers-mondisation de l’Europe.
L’actuelle crise sanitaire favorise l’expansion du capitalisme de surveillance. Le covid-19 permet une expérience incroyable d’ingénierie sociale et de guerre psychologique 3.0 afin de domestiquer les peuples européens récalcitrants. Ce dressage social réussira-t-il ou bien connaîtrons-nous des insurrections salvatrices ? L’avenir nous le dira.
Le pessimiste lucide que je suis ne croit pas à l’influence déterminante du V4 (ou Groupe de Visegrad). Sous le même emballage « illibéral », la Hongrie et la Pologne divergent par rapport à la Russie. Varsovie et Budapest se plient aux conditions sur l’« état de droit » du plan de relance européen. Le V4, même avec l’apport de la Slovénie, voire de la Croatie, ne fera jamais le poids face à l’axe franco-allemand. Par ailleurs, Viktor Orban et Jaroslaw Kaczynski sont des « faux héros réactionnaires (ou conservateurs) ». On doit cette notion à Thomas Molnar (1921 – 2010) dans son essai La Contre-Révolution (1969). Catholique hongrois polyglotte exilé aux États-Unis, Thomas Molnar participait au courant paléo-conservateur. Ce collaborateur des « Nouvelles Droites » française, allemande, autrichienne et italienne conseilla le jeune Orban entre 1998 et 2002.
Les régimes hongrois et polonais ne sont pas révolutionnaires–conservateurs, mais plutôt nationaux-conservateurs. Ils prennent une bonne direction, mais ils manquent de radicalité.
Quelle conséquences géopolitiques pensez-vous qu’auront les élections américaines de l’année dernière ?
Avec Joe Biden, l’humanitarisme armé et interventionniste retrouve la Maison Blanche. Les États-Unis reprennent leur volonté d’exporter partout leur conception frelatée et aliénée du bonheur bourgeois, mais ils sont très divisés : la guerre culturelle fait rage sur les campus et dans les mass media. Le sang des Étatsuniens coulera encore et encore au nom du Progrès et des droits de l’homme (pardon ! de l’humain fluide non genré trans-post-méta-sexuel…). Il importe au contraire de valoriser toutes les affirmations identitaires qui s’y développent. Ce modèle d’ultra-modernité doit éclater sous ses contradictions internes.
Selon vous, quel est l’avenir de l’Europe et de l’Occident ?
Je tiens à distinguer l’Occident de l’Europe. En 2021, l’Occident relève de l’atlantisme et du cosmopolitisme. L’Occident ne coïncide donc plus avec l’Europe dont l’antique civilisation brille de ses derniers feux. Cessons d’être des Occidentaux et redevenons des Européens d’origine boréenne. Comment ? En bâtissant un État central continental qui délivrerait la nationalité européenne aux seuls Européens. Ainsi serais-je un citoyen français de nationalité européenne et les lecteurs, des citoyens slovènes, autrichiens ou allemands de nationalité européenne. Je ne verrai pas de problème qu’un Danois ou un Italien soit maire de Strasbourg ou qu’un Hongrois devienne président de la République européenne de France.
Trêve de rêverie ! L’Europe court avec l’affreuse Union européenne vers sa perte finale. Amor fati !
Avez-vous un dernier conseil ou un dernier message pour les lecteurs slovènes ?
Je les salue. Ils appartiennent à un vieux peuple et à un jeune État. Pendant des siècles, ils ont connu diverses dominations étrangères plus ou moins consenties. Au XXe siècle, la Slovénie a subi l’oppression de la première Yougoslavie royale serbe, puis de la seconde Yougoslavie titiste. Le peuple slovènes a quand même conservé leur identité, base indispensable pour fonder la souveraineté. Il est un bel exemple de persévérance historique.
Outre de magnifiques paysages karstiques, la Slovénie est la patrie du célèbre groupe musical Leibach et du remarquable courant artistique NSK à l’esprit néo-futuriste, ironique et « situationniste ». Leur apparition a correspondu aux premiers signaux de la fin de la Guerre froide.
Amis Slovènes, vous êtes le Midi de la Mitteleuropa danubienne !
• Propos recueillis par Andrej Sekulovic pour le site slovène tradicijaprotitiraniji.org mis en ligne en anglais et en slovène les 19 et 22 mars 2021, versions allemande et néerlandaise consultables sur Synergon Infos, le 4 avril 2021.