Il est vain de vouloir opposer, à la manière macronienne, le prix de la vie humaine et l’économie. Les confinements et l’arrêt de secteurs d’activité entiers hypothèquent l’avenir sans soulager les hommes.
Le 26 janvier dernier, Emmanuel Macron, s’adressant à la nation, affirmait que la crise liée à l’épidémie de Covid 19 nous avait enseigné, en premier lieu, « qu’on ne peut pas penser l’économie sans l’humain […] Nous avons fait, dans tous nos pays, quelque chose qui était considéré comme impensable, c’est-à-dire qu’on a arrêté toutes les activités économiques pour protéger des vies. »
En avril 2020, le président de la République avait déjà développé le même thème, dans les mêmes termes, en affirmant, au cours d’un entretien donné aux journalistes du Financial Times, que le choix de donner la priorité à l’humain sur l’économie allait « changer la nature de la mondialisation ». Noël ! Noël ! La nature de Macron avait elle aussi changé. Exit le président des riches : l’ancien ministre de l’économie de François Hollande avait muté en président de l’humanité !
Ce coup de com’ est contre-battu par une évidence : l’économie est le produit de l’activité que les hommes développent pour assurer leur subsistance. L’arrêt de l’activité a donc des conséquences dramatiques pour eux. La proposition de Macron « On ne peut pas penser l’économie sans l’humain » a son pendant : on ne peut pas penser l’humain sans l’économie ; qui, par exemple, permet de trouver les moyens de financer la santé et de construire des hôpitaux.
Une augmentation colossale de la dette publique
Dès le mois de mars 2020, de vastes secteurs d’activité (la restauration, l’événementiel, l’hôtellerie, la culture, le spectacle et les loisirs, le tourisme, les transports, de nombreux commerces, les services à la personne…) avaient été arrêtés, avec des conséquences en chaîne sur leurs fournisseurs, clients ou partenaires. Le rapport économique social et financier annexé aux projet de loi de finances pour 2021 énumère les effets de ce premier confinement : effondrement de la demande intérieure provoqué par la chute de la consommation des ménages et de l’investissement des entreprises ; bouleversement des processus de production, désorganisation des chaînes de production et d’approvisionnement ; recul des exportations ; faillites d’entreprises et mise au chômage, partiel ou complet, d’une partie de la population active. Selon l’Insee, près de 715 000 emplois salariés avaient été détruits au premier semestre 2020.
La croissance s’en est trouvée considérablement freinée. En 2020 le produit intérieur brut (PIB), qui mesure la création de richesse nationale pendant l’année, a dégringolé de 8,3 %. Encore ce chiffre est-il contesté. Dans un article publié le 18 février par Valeurs actuelles, Rémy Prud’homme, professeur d’économie émérite à Paris XII, estime que le PIB de la France aurait diminué bien davantage si l’État ne l’avait pas soutenu « au prix d’une augmentation massive de l’endettement public, de 300 milliards d’euros entre janvier et septembre (le chiffre de l’endettement fin décembre n’est pas encore publié). »
En effet, la dette publique a bondi. Fin 2019, elle frôlait le cap des 100 % du PIB. À la fin du troisième trimestre 2020, elle a atteint 116 % du PIB (soit 2 674 milliards d’euros), pour avoisiner 120 % fin décembre. Une augmentation colossale, qui pourrait étrangler l’économie française si les taux d’intérêt, pour l’instant très bas, venaient à remonter.
Voilà des décennies que l’État, dont le budget est systématiquement déficitaire, recourt à l’emprunt, notamment pour payer ses fonctionnaires et les pensions de retraite. En 2020, il s’est endetté encore plus massivement pour secourir une économie qu’il avait lui-même entravée, permettre aux professionnels concernés de ne pas mettre immédiatement la clé sous la porte et empêcher ainsi une révolte sociale.
Les aides octroyées par l’État – chômage partiel, exonérations de charges, prêts garantis par l’État, fonds de solidarité – ont considérablement creusé la dette, mais contribué à éviter des défaillances d’entreprises. Le nombre de celles-ci a même diminué en 2020, par rapport à 2019 ; mais les difficultés ne sont que différées et pourraient déboucher sur une augmentation sensible des faillites et du chômage en 2021 – ou 2022, si le gouvernement parvient à retarder les effets de la crise jusqu’à la prochaine présidentielle. Combien de restaurants, de théâtres, de musées, de lieux de culture, rouvriront-ils leurs portes après cette année blanche, qui est surtout une année noire ? Combien d’entreprises françaises, fragilisées et endettées, seront-elles contraintes de licencier, ou rachetées par des fonds étrangers ?
Stress, dépressions et pensées suicidaires
La situation n’est guère plus favorable du côté des retraites qui constituent le premier poste de la dépense publique. La réforme annoncée par Emmanuel Macron et amorcée par le gouvernement, mal conçue et mal engagée, a été mise sous l’éteignoir sitôt votée en première lecture, au mois de mars 2020 – comme l’écrit l’association Sauvegarde Retraites, « le coronavirus est arrivé à point nommé pour permettre au pouvoir de suspendre son mauvais projet de loi sans avoir l’air de trop perdre la face. » Mais, par l’effet du ralentissement de l’économie et de l’arrêt de pans entiers de l’activité, la masse salariale s’est contractée de 8,4 % dans le secteur privé. Les cotisations prélevées sur les actifs, qui, en répartition, servent à payer les pensions des retraités, sont moins rentrées, ce qui a mis en difficulté les régimes du secteur privé. Quant aux pensions des retraités du secteur public, dont les régimes sont structurellement déficitaires, elles sont payées par l’État, ce qui creuse encore et toujours la dette.
Le recours à l’endettement pour payer les retraites est une bombe à retardement dont hériteront, une fois de plus, les générations montantes, dans un contexte démographique difficile et que l’ambiance actuelle n’améliore pas : l’Insee a constaté au mois de janvier 2021 une baisse spectaculaire des naissances (-13 % par rapport à janvier 2020) qui « laisse peu de doute sur le rôle joué par le contexte de la pandémie sur cette évolution », souligne l’institut national de la statistique.
Endettement abyssal, chômage et faillites en perspective : n’en déplaise à Emmanuel Macron, comment le coût économique de l’arrêt de l’activité n’entraînerait-il pas un coût humain – qui, tout étant lié, aggrave à son tour le coût économique ? Rapports et études font état de signaux inquiétants : confinements et couvre-feu engendrent le stress, l’anxiété, les dépressions, les pensées suicidaires, les violences au sein de familles fragilisées, le sentiment de solitude. Ils ont favorisé le syndrome du « glissement » chez les pensionnaires des Ehpad, qui, condamnés à la solitude pendant le premier confinement, se sont parfois laissé mourir… Les jeunes n’y échappent pas non plus, particulièrement les étudiants, isolés par l’arrêt des cours en « présentiel » et privés des petits boulots qui leur permettaient de subsister, à tel point que les pouvoirs publics ont créé, au mois de février, un « chèque psy », qui leur ouvre droit à trois consultations gratuites chez un psychologue ou un psychiatre. Une guerre des générations se dessine, jeunes contre boomers, nouveau facteur d’éclatement de la société, tandis que le rappel incessant des « gestes barrières » conduit à considérer autrui comme un danger.
L’échec de l’État-Providence et de la technocratie
Dans son allocution du 28 octobre 2020, Emmanuel Macron, annonçant le deuxième confinement, avait utilisé onze fois le verbe « protéger », affirmant notamment : « ma responsabilité est de protéger tous les Français […] je l’assume pleinement devant vous ce soir. » Un mois plus tard, annonçant un allègement des mesures, il répétait : « je ferai tout ce que je peux pour me battre à vos côtés, pour vous protéger… » Au lieu de quoi, la crise, sanitaire et économique, a montré les limites et signé l’échec de l’État-Providence, que le président de la République prétendait, en juillet 2018, « réinventer » pour construire celui du XXIe siècle !
Mais elle manifeste aussi un autre échec, celui de la technocratie au pouvoir, incarnée par un président lui-même produit de la haute administration, sous l’autorité duquel s’est mise en place une démocrature sanitaire, organisée par une technocratie médicale sur les ruines de la politique. Sous la houlette des experts, le gouvernement se contredit, se dédit, ment aux Français, les infantilise et les soumet à une surveillance et un contrôle croissants.
La crise de la Covid 19 met aussi en évidence des travers de l’État français, qui ont des conséquences humainement et économiquement dommageables. L’excès de centralisation : les oukases gouvernementaux ont bridé plusieurs libertés fondamentales, celles de travailler, de commercer, de circuler, de se réunir, de pratiquer un culte… le plus souvent sans que les pouvoirs locaux aient été consultés. Et il a fallu attendre le troisième confinement pour s’apercevoir que toutes les régions ne devaient pas être traitées de la même manière.
Excès aussi d’administration, par exemple au sein de l’hôpital public, où 35,2 % des emplois hospitaliers ne sont ni médicaux, ni paramédicaux, contre 24,3 % en Allemagne. La paperasserie retombe sur le personnel soignant. Au CHRU de Nancy, les tâches administratives absorbent ainsi près du tiers de la journée de travail des médecins.
Les Français ont constaté aussi que leur pays s’était désindustrialisé au point d’être incapable de produire des masques et des tests en quantité suffisante et en temps voulu, et plus tard de se procurer des vaccins. La France, qui se targue volontiers d’avoir le meilleur système de santé du monde, comme elle se vantait en 1939 d’avoir l’armée la plus puissante, dispose aussi de moins de lits et de réanimateurs que l’Allemagne voisine (il est vrai qu’au moment même où il déclarait la mobilisation générale contre l’épidémie, le gouvernement négligeait de faire appel aux cliniques privées). La promesse, faite au mois de juillet 2020 par le ministre de la Santé, Olivier Véran, d’augmenter à 12 000 le nombre de lits en réanimation est restée à l’état de vœux pieux : alors que les confinements sont principalement justifiés par la crainte d’une saturation des hôpitaux, 300 milliards de dettes n’ont pas permis d’en créer un seul. Ç’aurait pourtant été une bonne manière de mettre l’économie au service de l’humain !
Illustration : 2021, la police contrôle une pizzeria. Une équipe du commissariat du onzième arrondissement de Paris est partie en patrouille durant plusieurs heures afin de contrôler le bon respect des règles sanitaires. Efficacité et sens des priorités sont les mamelles du redressement français.
Source : https://www.politiquemagazine.fr/