Entretien mené par Ronan Planchon
Pour le conseiller d’État honoraire et ancien secrétaire général du ministère de l’Immigration Patrick Stefanini, le parcours de l’assaillant de Rambouillet est symptomatique des défaillances de l’État et de l’Union européenne dans la lutte contre le terrorisme islamiste.
Le Figaro. - Entré illégalement en France depuis la Tunisie en 2009, le chauffeur-livreur coupable de l’attentat de Rambouillet avait bénéficié en 2019 d’une autorisation exceptionnelle de séjour salarié. Il a donc vécu dix ans en situation irrégulière sur le sol français...
Patrick Stefanini. - Autrefois, les séjours irréguliers en France étaient un délit, ce n’est plus le cas. Aussi, le fait pour un étranger d’être entré irrégulièrement en France faisait à lui seul obstacle à la régularisation de sa situation administrative. Nous avons abandonné cette règle, qui était pourtant une règle de bon sens, et c’est une erreur. Pour le reste, on sait que dans certains secteurs de l’économie française, des métiers sont insuffisamment rémunérés et les conditions de travail sont jugées trop difficiles par nos concitoyens. À la fin, ce sont des personnes de nationali té étrangère qui finissent par pour- voir le poste. Si on veut éviter d’avoir à recruter systématiquement des étrangers pour ce type de métier, il faut revaloriser les conditions de travail. Les besoins économiques ne sauraient être un alibi pour ne pas lutter contre l’immigration clandestine.
Le profil du terroriste de Rambouillet rappelle celui de l’assaillant de Samuel Paty. D’ailleurs, selon les premiers éléments de l’enquête, il aurait lui aussi prémédité son acte...
Nous avons affaire à des gens qui n’adhèrent pas aux valeurs de la République française et qui peuvent être tentés à tout moment de s’en prendre aux personnes incarnant l’État français. D’après ce qu’a dit le procureur antiterroriste, des actes de repérage ont été commis par l’assaillant. Comment le sait- on ? Par des caméras de vidéoprotection ? Si c’est le cas, y a-t-il quelqu’un derrière un écran 24 heures sur 24 pour visionner les images, repérer les comportements suspects et donner l’alerte ? Dans l’immense majorité des communes, il n’y a pas de visionnage en temps réel des images, on se contente de s’en servir a posteriori. Un effort très important doit être fait, sinon on se prive de l’essentiel de l’intérêt de la vidéoprotection.
Le ministère de l’Intérieur a aussitôt annoncé que la sécurité allait être renforcée devant les commissariats. Est-ce suffisant pour endiguer les actes de terrorisme ?
La fonctionnaire de police qui a été assassinée est sortie du commissariat pour recharger son horodateur. Comment se fait-il que ces fonctionnaires ne bénéficient pas, soit d’emplacements de parking à l’intérieur des commissariats, soit de la gratuité du stationnement ? Il faudrait déjà améliorer les conditions de travail. Rappelons-nous aussi que lors de l’attaque du commissariat de Champigny-sur-Marne en octobre 2020, les policiers n’avaient été protégés que par un sas de protection financé par la région Île-de-France. Là aussi, on peut s’étonner que l’État ne prenne pas toutes les dispositions nécessaires en termes de budget pour financer la sécurisation complète des commissariats.
Quid de la maîtrise des flux migratoires ?
L’État est dans l’incapacité de mettre un policier derrière chaque personne qui pourrait être susceptible de radicalisation islamiste. Il faut traiter le problème en amont et poser en principe que l’Union européenne n’est pas un espace ouvert à tous les vents. Comme tous les grands ensembles continentaux qui se respectent, elle a des frontières extérieures qui doivent être consi- dérablement renforcées. Aujour- d’hui, ce contrôle extérieur n’est pas crédible. Dans un rapport publié en 2019, l’agence européenne de gardes-frontières et de gardes- côtes Frontex rappelle qu’environ 600 millions de personnes pénètrent chaque année à l’intérieur de l’UE, et environ 20 % d’entre eux ne font pas l’objet d’un passage fichier qui permettrait de détecter des antécédents judiciaires ou des facteurs de dangerosité. En matière de circulation des personnes, la France a mis la charrue avant les bœufs en supprimant ses contrôles aux frontières intérieures sans se doter en amont de tous les instruments nécessaires à un contrôle ef- ficace de ses frontières extérieures. Si l’on ne change pas cela, l’Union européenne continuera à être une passoire et nous nous exposerons en permanence à la répétition du type de drame qui s’est produit vendredi.
Y a-t-il des obstacles juridiques qui affaiblissent, voire paralysent, la lutte contre l’islamisme ?
Non seulement la France n’est pas capable de contrôler correctement ses frontières, mais lorsqu’elle est en présence de clandestins, elle ne parvient pas à les éloigner. On connaît la réticence des pays d’origine à délivrer des laissez-passer consulaires, mais ce n’est pas la seule difficulté. Le premier problème, c’est l’extrême complexité du contentieux des étrangers et on peut regretter que le gouvernement ne se soit pas emparé des propositions faites par le Conseil d’État pour le simplifier. Le deuxième point, c’est la « directive retour ». Elle fait obstacle à ce qu’un État membre de l’UE, constatant la situation irrégulière d’un étranger, puisse le renvoyer d’office dans son pays d’origine, et l’oblige à inviter l’étranger à quitter de lui-même de cet État membre. C’est une vision « bisounours » de la maîtrise de l’immigration, et cela participe à l’échec à la lutte contre l’immigration clandestine.
Source : Le Figaro 26/04/2021