Un vieux texte aryen, la Bhagavad Gîtâ, dit que celui qui voit l'inaction dans l'action et l'action dans l'inaction possède vraiment la sagesse qui rédime les faiblesses du monde et élève à ce degré de supériorité où se dissolvent tous les déséquilibres de la vaine agitation humaine, où se composent les oppositions inhérentes à l'existence. Il sera donc opportun de proposer à l'attention des lecteurs qui veulent bien nous suivre, le mode sous lequel il faut comprendre l'action au sens purement traditionnel, en détruisant les préjugés et les conventions, dans le domaine des idées comme dans celui du dentale et plus précisément encore européenne.
Action et agitation
Sur ce point, toutes les traditions sont unanimes, et si nous nous référons à la Bhagavad Gîtâ, c'est seulement parce qu'on a répété avec une insistance excessive que ce Chant est le poème de l'ascèse guerrière, chose qui le rapproche sensiblement de ce qui est contenu, sur ce thème particulier, dans la doctrine du Fascisme, dès lors qu'on envisage les plus hautes possibilités de celle-ci.
Chacun comprend facilement que si la contemplation, tout en s'accomplissant dans le monde, isole en quelque sorte du monde et se réfugie dans une sphère où les dissensions s'abolissent, où cessent les limitations humaines ─, l'action, elle, a dans le monde son domaine propre, s'y immerge pour ainsi dire, s'y insère ; elle en suit le rythme qui, dans le cas spécifique de la guerre, est particulièrement dur et violent. Ceci est l'opinion commune qui, pour être l'apanage de la majorité, ne cesse pas pour autant d'être complètement erronée. Si l'on parle d'action tout court, indépendamment d'un schéma traditionnel, l'option est juste et telle est en effet l'action pour les modernes : une agitation stérile, vain tumulte considéré comme but en soi, sans aucune référence à une vérité supérieure et à un besoin spirituel qui le justifie. Entendons-nous bien : lorsque cette action, ce tumulte stérile reçoivent une justification posthume, leur caractère ne change pas, non plus que leur destination, si attirante que puisse être l'étiquette qu'on appose sur un quelconque ensemble d'activités.
Nous voulons dire que l'agitation moderne, qu'on appelle à tort action, procède toujours d'un besoin purement individualiste d'agitation, qui cherche ensuite à se justifier sous un prétexte plus ou moins éthique et noble, patriotique ou civique. Tout le monde sait que le mot “action” vient du latin agere et qu'agitation dérive du verbe fréquentatif et intensif agitare : ce deuxième verbe, dans l'une de ses acceptions, correspond sur le plan sémantique à un autre verbe, miscere, pour désigner une activité qui n'est pas toujours de contrôle et faculté technique, précise, discriminative.
L'intensité est presque toujours un déséquilibre, un excès ; par rapport à l'action, l'agitation est donc ce qu'est l'effort par rapport à la force : une secousse, une convulsion, un engorgement. En d'autres termes, il y a une activité homogène qui peut être représentée par la ligne droite, axe égalisateur des points ; et il y a une activité hétérogène qui peut être comparée à la ligne brisée, où l'homogénéité est en fonction limitée, partielle et non totale comme dans le premier cas. Quand on réfléchit attentivement à cela, on parvient à comprendre ce que signifie le passage déjà cité de la Gîtâ. Celui qui voit l'inaction dans l'action est celui qui égalise le déroulement de l'activité de façon à le rendre égal à zéro, donc à le considérer comme nul. Mais nul face à qui ? Non face à l'homme, évidemment, mais face à Dieu : celui-ci est l'axe de la vérité, le point neutre où toutes les oppositions s'annulent, où se résolvent toutes les parties saillantes dans une égalisation qui est équilibre et paix.
Action et détachement
Mais à l'échelle de l'homme, l'égalisation advient avec le détachement, le renoncement aux fruits de l'action, ce qui ne peut s'accomplir si l'action n'est pas vraiment une offrande, donnée à Dieu, puisqu'aux hommes, comme à soi-même, on ne peut, au sens absolu, rien offrir qui ne soit un échange, une permutation. Avec cette offrande, l'action est privée de son caractère individualiste et devient simplement un moyen, un instrument pour abolir ce qui s'oppose le plus au retour à Dieu : la caverne individuelle, l'erreur individuelle, la conscience de la séparation plurielle, l'affirmation de sa propre humanité, le lien limitatif et déprimant. Dans la situation la plus saturée de contrastes, en plein cœur du monde, dans le spasme irrésistible, doit advenir la catharsis guerrière, l'évasion des fers de l'individualité, l'indifférence face à la vie et à la mort, puisque vie et mort disparaissent avec l'abolition de l'individualité. Seule reste la vraie Vie, la vie en Dieu.
C'est en ce sens qu'il a été dit que les guerriers qui ont mené la bonne guerre, la vraie guerre, qui en s'offrant ont offert l'illusion humaine et cosmique, vont à Dieu et jouissent de la vérité éternelle. Alors demeure, comme phase ultérieure, la contemplation, qui seule assure la béatitude éternelle. La Bhagavad Gîtâ devient ainsi l'Atma Gîtâ, le chant de l'Esprit de Dieu. Même le sens commun sait que la guerre mène à la la guerre, elle, est une forme d'hédonisme littéraire anti-traditionnel et spécialement anti-romain.
La Gîtâ nous donne la formule absolue, traditionnellement parfaite et capable de résoudre la dualité la plus âpre, celle de la contemplation et de l'action. Mais il est intéressant de se référer aussi à la tradition romaine, en cherchant à approfondir certaines expressions, qui pour les modernes ne sont que des thèmes littéraires, puisqu'on les a privées de leur sens le plus évident. Nous pensons à la très célèbre phrase de Tite-Live « et agere et pati fortia Romanum est », qui sert généralement de prélude obligatoire aux exaltations du courage, de l'endurance, en somme de la vertu des Romains sous sa forme la plus apparente. Bien entendu, nous ne nions pas que cette phrase écrite en ayant exactement cela en tête. Mais, comme nous l'avons déjà dit dans un autre article paru ici même, la Vérité se voile et se dévoile par une force spéciale qui procède de l'autonomie absolue dont elle jouit, surtout à l'égard de celui qui la formule. Nous voulons dire qu'écrivains, poètes, hommes politiques et hommes communs énoncent souvent de grandes et profondes vérités dont ils ignorent le sens ou, du moins, dont ils ne connaissent que le sens le plus superficiel et le moins intéressant.
À suivre