Albert Camus a écrit “Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde “. Dans son essai “L’homme révolté”, il dit de même “La logique du révolté est … de s’efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel”. Le mensonge universel est une cause, sinon la principale, du malheur, politique, de notre monde. Il faut mesurer la justesse de cette pensée. Parler vrai, être intellectuellement honnête, tenter d’être le plus objectif, et au moins d’être sincère sont effectivement les conditions d’une véritable démocratie libérale fondée sur des débats où des idées et des solutions différentes s’affrontent mais en évitant la mauvaise foi et le mensonge.
Le premier danger qui menace la confiance réciproque sans laquelle un tel système ne peut tenir est le cynisme : d’abord celui des dirigeants dont le but est, soit de conquérir et de conserver le pouvoir, soit de faire triompher l’idéologie qui sera la plus à même de réaliser le bien du peuple, en pensant que tous les moyens sont bons, si l’on écarte la violence physique, au moins la manipulation et le mensonge ; ensuite celui des dirigés qui ne sont pas dupes mais acceptent avec plus ou moins de dégoût ou d’intérêt de considérer la politique comme un spectacle et d’évaluer ses acteurs selon l’adresse de leur jeu, et leurs performances de faussaires. L’utilisation systématiquement conative du langage en politique facilite le passage de la sincérité à l’hypocrisie dans la mesure où le but n’est ni de décrire une réalité ni d’exprimer un sentiment ressenti mais d’influencer celui qui reçoit le message de manière à le faire penser et agir comme le souhaite son auteur.
On peut évidemment dresser un “spectre” du caractère mensonger du langage politique. Le maximum est atteint dans les systèmes totalitaires. Ils utilisent une langue qui leur est propre qui tord la réalité et la vérité, c’est-à-dire l’adéquation de la pensée et du réel, jusqu’à créer un monde artificiel qui est le produit d’un langage dominant. De manière symétrique, la “novlangue” d’Orwell dans 1984 qui visait le totalitarisme marxiste de l’URSS et “La Langue du Troisième Reich” de Viktor Klemperer se rejoignent. Chacun des deux systèmes a appauvri le lexique de manière à contrôler son usage et à en faire un instrument idéologique imposant une lecture du réel, non scientifique. L’excès simplificateur de la sociologie des classes dans le cas du totalitarisme marxiste a eu pour pendant le délire raciste du nazisme s’appuyant sur la primauté d’une biologie raciale. Le fascisme italien coexistant avec la monarchie et l’Eglise catholique n’a jamais atteint une telle cohérence, et on observera au passage que l’emploi du mot “fasciste” pour désigner tout ce qui ressemble à une dictature nationaliste est un mensonge idéologique précisément commis par le parti communiste puis par la gauche en général. Faut-il rappeler que les dictatures nationalistes polonaises et grecques ont été des victimes du nazisme ? En revanche, la phase terroriste de la Révolution française peut avoir constitué une anticipation des systèmes totalitaires modernes. Non seulement elle a éliminé un grand nombre d’hommes “superflus”, à la fois par leur classe sociale, la noblesse, mais aussi par leur naissance. Elle a imposé une manière de s’exprimer, de nommer les choses et les gens, et fixé un nouveau calendrier.
Plus un régime s’approchera de la démocratie plus il acceptera la diversité des discours, l’expression des orientations et des préférences personnelles tout en s’attachant à ce que ce pluralisme puisse être rectifié en fonction de son respect du réel. Le désastre objectif de l’URSS, la distorsion de plus en plus grande entre les “démocraties populaires” et l’oligarchie qui y régnait, ont éliminé le parti communiste dans la plupart des pays occidentaux. Le fait qu’il subsiste encore, même amoindri, en France est un signe inquiétant de l’influence que la pensée dont il avait procédé continue d’exercer dans notre pays notamment dans la formation et les médias. Bien sûr, en politique comme dans la publicité, le public est habitué à des exagérations ou des minimisations suscitées par les intérêts politiques des partis et de leurs représentants, mais les commentateurs, les journalistes en particulier sont là pour corriger, et l’accès à l’information de chacun doit lui permettre de repérer une désinformation. Notre pays jouit-il de cette situation ? La formation des journalistes, l’orientation idéologique de nombre de formations dites supérieures, l’importance d’un “service public” d’information, le contrôle d’un grand nombre de médias par un petit nombre de personnes éloignent notre pays d’une démocratie véritable. La trilogie du politiquement correct, de la pensée unique et du terrorisme intellectuel y règne suffisamment pour que la liberté donnée à un homme de s’exprimer sur une chaîne privée, en l’occurrence Eric Zemmour sur CNews, ait pu conduire certains à exiger la censure et la mise au ban du journaliste et du média. Que des extrémistes de gauche souhaitent interdire un discours sous prétexte qu’il serait d’extrême-droite en dit long sur le déséquilibre de notre pays.
Si l’on voulait prouver l’existence de relents totalitaires dans la politique française, il n’y aurait qu’à citer les mauvaises dénominations d’une pensée ou d’un homme, au point qu’elles deviennent les formulations les plus courantes. Ainsi Zemmour est-il réduit à n’être qu’un “polémiste d’extrême-droite” : on atteint ( le 1/11 dans C à vous sur France 5) le paroxysme de la mauvaise foi militante avec un chroniqueur comme Patrick Cohen, sélectionnant les propos, déformant leur sens, et faisant de Zemmour un maurrassien, pratiquement un royaliste adulé par la “faschosphère” et par “La Manif pour Tous” réunis. La récupération du soutien de Renaud Camus dans la démonstration est édifiante : on associe la notion de grand remplacement à un attentat en Nouvelle Zélande et non aux chiffres de l’immigration, et on oublie au passage que Renaud Camus n’a rien à voir ni avec la “faschosphère”, ni avec la “Manif pour Tous”. Eric Zemmour qu’on partage ou non ses idées est objectivement un conservateur, proche d’hommes comme Churchill ou De Gaulle dans ses idées sur la nation, la famille, la liberté, et apte à réunir de nombreux courants de droite. Seul le prisme déformant de notre pays peut le placer à l’extrême-droite.