On se souvient qu’à défaut de programme, Macron proposait une vision. La pratique du “en même temps” devenue celle du “tout et son contraire” a permis de mieux percevoir le strabisme dont elle était atteinte. Macron était dans les bagages socialistes à la manière d’une mine que des vaincus laissent sur le terrain qu’ils sont obligés d’abandonner. Elle a très bien fonctionné, tuant Fillon, et ralliant une partie des électeurs de centre-droit contre Marine Le Pen. Le problème de la mine est qu’elle ne peut exploser qu’une fois. C’est pourquoi la stratégie de l’occupant de l’Elysée en vue de s’y maintenir consiste à rallier à lui au-delà de l’oligarchie socialiste qu’il a sauvée de l’anéantissement, et de “l’élite” décadente et friquée qui se mire dans son “progressisme”, ce que Bernanos appelle la masse.
Pour lui, cette masse, c’était “la France de 1940 – formée d’une immense majorité de pétainistes et d’une poignée de gaullistes – et celle de 1944 – formée d’une immense majorité de gaullistes et d’une poignée de pétainistes – … une seule masse affreusement disponible, dont l’événement de Munich avait déjà permis de mesurer le volume et le poids.” La peur de l’aventure, du changement peuvent conduire une partie de l’électorat “centriste”, le “Marais” de la Révolution à soutenir le sortant ou à se rallier à lui pour éviter les risques.
Au delà des décors du village Potemkine repeint avec les chiffres illusoires de la croissance en rebond dont on nous rebat les oreilles, le bon sens doit se rendre à l’évidence qu’un pays qui additionne les déficits, accroît l’endettement et creuse le précipice de notre commerce extérieur, n’est évidemment pas bien géré. La vision, censée surplomber le court terme d’un programme et de ses mesures précises par une perspective propre à soulever la ferveur d’un peuple, comme le redressement de la France en 1958, ou la “nouvelle frontière” de Kennedy, n’a été que la succession de vues alternées d’un regard qui louche. Le “ni droite, ni gauche” est devenu un coup à droite, un coup à gauche : on dit méchamment des yeux atteints de strabisme qu’ils se croisent les bras : c’est un signe d’inactivité. La France a de nouveau piétiné pendant cinq ans.
Dans le très court terme de l’élection présidentielle, le sortant a lancé une corde de rappel arrimée à 2030, afin de susciter le désir de lui voir faire dans un second mandat virtuel ce qu’il n’avait pas fait dans le premier. Dans ce plan France 2030, la transition “écologique”, en fait énergétique, est au coeur des préoccupations. Au début de son mandat, le “Champion de la Terre” voulait faire de son pays le modèle de la décarbonation, le gardien des engagements pris lors de la COP 21 : les verts étaient courtisés. De One Planet Summit à la Convention Citoyenne, le spectacle a été permanent, mais M. Hulot a pris ses vacances, est parti sur sa grosse moto pour rejoindre son hors-bord, et les discours vibrants du président ont changé de sujet. Au début, il fermait Fessenheim et mettait fin au projet Astrid qui engageait la France dans la réalisation d’une quatrième génération de centrales nucléaires. Maintenant, un peu tard, c’est le sauve qui peut pour ce qui nous reste d’industries, et il s’est rendu compte que le nucléaire offrait trois atouts à notre pays, d’abord de limiter notre production de CO2, alors que les énergies intermittentes des panneaux solaires et des éoliennes vont devoir être compensées par des centrales thermiques, ensuite que cette énergie est moins coûteuse, et dépend moins de l’extérieur, enfin, que l’avance française en ce domaine constituait un avantage dans la compétition internationale. Alors il relance le nucléaire après avoir vendu une partie de la filière à une entreprise américaine !
Ce strabisme par alternance du regard présidentiel est la traduction du “en même temps” qui est devenu au fil du temps, “tout et son contraire”. Rappelons-nous le “Jupiter” des débuts. Il fallait restaurer la distance, rétablir la rareté de la parole, bref reconstruire la dignité de l’Etat abimée par les prédécesseurs. C’est aujourd’hui la logorrhée élyséenne, le déluge verbal, sur tous les sujets et sous tous les prétextes. A défaut de convaincre par l’action, il s’agit de noyer sous la pub, d’asphyxier dans le monologue, de ligoter l’opinion dans le réseau des sondages et des médias complaisants. Caporal infirmier un jour, général de la relance le lendemain et comique troupier avec Macfly et Carlito le troisième jour : il se passe toujours quelque chose à l’Elysée, et aucune clientèle, ou presque, n’est oubliée, de la personne âgée inquiète pour sa santé au jeune hyperconnecté.
Le “presque”, c’est bien sûr la “nauséabonde” extrême droite qui regrette une France “rance”, celle contre qui nos deux joyeux drilles avaient déjà milité en 2017 : il s’agit de l’affronter au second tour et de décourager le maximum de Français de lui apporter leurs suffrages : là encore, un coup à gauche en diabolisant et en décidant la dissolution de groupes identitaires dénués du moindre danger pour la paix sociale, et un coup à droite en faisant mine d’accélérer les expulsions de clandestins et de réduire les visas. La tactique est limpide : puisque des gens sans aveu posent de vrais problèmes, nous allons faire semblant de résoudre les problèmes mais sanctionner ceux qui les révèlent, punir davantage les patriotes trop fervents que les islamistes trop fanatiques. Pendant que le mot “identité” est banni dès lors qu’il s’applique à la France et à ses “pays” et non aux communautés qui la disloquent, l’extrême gauche continue impunément son travail de sape : une élue mélenchoniste a pu sans vergogne reprocher à Zemmour d’empêcher la “réconciliation” des parents des victimes du Bataclan avec les terroristes. Comme si un procès ne devait pas conduire les coupables à des peines exemplaires, mais à une paix entre tortionnaires et suppliciés !
Le 12 Décembre prochain, la Nouvelle-Calédonie va une nouvelle fois, on se demande pourquoi, voter sur son indépendance. En même temps, le pouvoir macronien proclamait son désir que la France joue un rôle dans le Pacifique alors que l’Australie la rejetait avec désinvolture et, cependant ne faisait rien pour empêcher qu’elle en soit chassée par une indépendance, qui se fera contre elle et au mépris de la démocratie, puisque le scrutin s’appuiera sur une discrimination entre les “Canaques” qui pourront tous y participer quand seuls les autres Français présents depuis 20 ans en 2014, et leurs descendants, le pourront. Il faut espérer que le bon sens et l’attachement à la France l’emporteront pour la troisième fois, et souhaiter de même que lors de l’élection présidentielle les Français se libèrent du régime qu’ils subissent. (fin)
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