L’Ukraine a été le premier berceau de la Russie. Son nom vient d’un mot slave qui signifie frontière ou marche. Et la Rus’ de Kiev, qui s’épanouit entre le milieu du IXe siècle et celui de XIIIe, se présente avant tout comme un vaste territoire aux limites mouvantes, composé de principautés qui s’étendront de la Baltique à la Mer Noire, parcouru par des influences diverses. Ce sont des Scandinaves qui fonderont l’Etat. Ses relations avec Byzance seront essentielles, notamment pour sa conversion au christianisme orthodoxe. Les Mongols la soumettront. Les relations commerciales, les échanges et les guerres alterneront avec les Suédois, les Polonais, les Lituaniens, les Byzantins.
Le réveil de la Russie se fera à partir de Moscou au XIVe siècle, et l’Ukraine méritera plus que jamais son nom, puisque polonaise à l’Ouest, ottomane au sud, elle sera conquise ou libérée (?) à l’Est par les Tsars de Russie. Son histoire et sa géographie expliquent la complexité de la situation actuelle. Certaines régions comme l’Oblast de Kharkov n’ont été intégrées à l’Ukraine qu’au XXe siècle et sont manifestement russes. La Crimée récupérée par la Russie en raison du port stratégique de Sébastopol n’a jamais été ukrainienne sauf par un caprice de Khrouchtchev en 1954. En revanche, à l’Ouest, la Galicie en particulier n’a été soumise à Moscou qu’à partir de la seconde guerre mondiale. Elle a été auparavant austro-hongroise ou polonaise. Ceci explique les oppositions linguistiques, religieuses et politiques. L’ouest parle ukrainien comprend de nombreux grecs-catholiques, vote nationaliste et pro-occidental. A l’est, on est pro-russe, orthodoxe et on parle russe. L’histoire du XXe siècle a accentué les divisions et les rancoeurs : les nationalistes, lors de la guerre civile, puis lors de l’occupation allemande de la seconde guerre mondiale, ont été les alliés des Allemands et ont souvent fait preuve d’un antisémitisme virulent ; les communistes ont exercé une répression féroce. Staline pour en finir avec les “koulaks”, les petits propriétaires terriens du grenier à blé ukrainien, a organisé une famine qu’on peut qualifier de génocide : c’est l’Holodomor.
Un pays culturellement étroitement lié dès l’origine à la Russie, majoritairement intégré à l’Empire russe depuis le XVIIIe siècle, ne peut facilement être considéré à Moscou comme un ennemi, d’autant plus dangereux qu’il est proche. Il est compréhensible que les Russes n’acceptent pas que des armes de l’Otan soient pointées à sa frontière sur un territoire qui était encore le leur en 1990. La Russie n’est plus communiste. Elle n’a nullement l’intention d’imposer une idéologie quelconque ni au monde, ni à l’Europe. Elle avait reçu la promesse que les anciens membres du Pacte de Varsovie n’adhéreraient pas à l’OTAN. Or le pas a été franchi et au-delà puisque les Pays Baltes en font maintenant partie comme la Pologne. L’Ukraine le demande, alors que la chute de l’URSS rend l’organisation atlantique inutile. Cette évolution est consternante tant elle apparaît absurde : l’Europe a besoin de la Russie, de son énergie, de ses matières premières. Or, à force de provocations et d’ingérence dans les anciennes républiques soviétiques, on a jeté la Russie dans les bras de la Chine. La solution raisonnable était pourtant possible : la Russie n’a pas contrecarré les alternances politiques en Ukraine. Elle souhaitait une Ukraine fédérale qui tienne compte de la diversité du pays, et une neutralité de celui-ci, à défaut de retrouver l’allié logique, formant ce glacis qui avait tant souffert durant l’offensive nazie. Aujourd’hui, la menace d’une attaque de l’armée ukrainienne contre les républiques séparatistes du Donbass est réelle. Les Turcs ont vendu des drones Bayraktar TB-2 à Kiev. La Turquie est membre de l’OTAN et a déjà montré l’efficacité de son aide contre l’Arménie. Cette fois, l’armée russe ne devrait pas se contenter de s’interposer, et l’on ne pourrait alors éviter le conflit puisque les Etats-Unis et leurs alliés seront obligés eux-aussi d’intervenir. Déjà, une grande agitation règne : des Danois aux Espagnols, on envoie des avions et des navires à proximité. Les Anglais fournissent des armes à l’Ukraine. La France se dit disposée à positionner des troupes en Roumanie. Comme c’est devenu l’habitude, l’Union Européenne s’aligne sur Washington et propose des sanctions, notamment sur le fonctionnement de Nord Stream 2 et sur les transactions financières par Swift.
Ces propositions de la Commission de Bruxelles ont peu de chance d’être suivies d’effets. Le poids lourd de l’Europe, l’Allemagne serait bien plus touchée que la Russie, et Berlin freine des quatre fers devant ce risque suicidaire. Un membre éminent de la marine de guerre allemande a même dû démissionner après avoir dit tout le bien qu’il pensait de Poutine. Cette crise est révélatrice : le brexit a clairement séparé l’Empire anglo-saxon de l’Europe. L’affaire des sous-marins français dont l’Australie a abandonné l’achat au profit des Américains a été un signal fort de cette scission. Les Allemands préfèrent logiquement, au nom de l’économie comme au nom de l’écologie, le gaz russe au gaz de schiste américain. Pourquoi l’Europe demeurerait-elle le caniche de Washington ? Les intérêts ne sont plus les mêmes. Il est temps que la France, au lieu d’aboyer avec son maître, se libère de celui-ci, et se place en médiatrice auprès des pays qui ont une peur historique de la Russie comme la Pologne, et en tête de ceux qui ont grand avantage à entretenir de bons rapports avec Moscou. Les ennuis politiques internes de Mr Johnson ou de Mr Biden n’ont pas à encombrer l’avenir des nations européennes. Ce serait l’honneur de la France que le le dire !
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