Jean-Gilles Malliarakis L'Insolent cliquez ici
Pour les mêmes raisons qu'Erdogan, Macron prend le relais de sa proposition de médiation dans la crise ukrainienne. Candidat à sa réélection dès ce printemps, alors que son homologue turc le sera en 2023, désireux, comme lui, de faire passer au second plan le désastre monétaire résultant de sa formule de mars 2020 "quoi qu'il en coûte", le chef de l'État français imagine camoufler ses échecs derrière un succès diplomatique. Tout porte à croire pourtant qu'il sera traité par Moscou à peine plus poliment que le despote d'Ankara. (1)
Nous devons donc mesurer la nocivité de cette conception, actuellement répandue à Paris, d'une puissance d'intermédiation. Son vrai nom ne la réduit pas seulement à l'impuissance, mais aussi à l'ignorance. Depuis la réforme Haby de 1975, on a rapidement liquidé en France l'enseignement de l'histoire et de la géographie, dont un minimum de connaissance pourrait éclairer nos élites dirigeantes.
C'est ainsi qu'aux fonctions qu'il exerce, un Macron devrait savoir mais ne sait sans doute pas, que depuis 1945 et les conférences de Yalta et Potsdam, Américains et Russes n'ont pas besoin de médiation européenne pour évoquer le sort du monde. Au moins nos alliés et amis manifestent-ils la politesse de nous consulter et de nous prévenir. Leurs interlocuteurs de l'est, formés à l'école de la brutalité sans limite, ignorent ces élémentaires prévenances.
Macron et ses conseillers vivent dès lors, avec un demi-siècle de retard, dans l'illusion postgaullienne d'une "autonomie stratégique de l'Europe", marquée par la sortie de l'OTAN. Or, cette idée anachronique, bien ancrée dans l'esprit de nombre de nos compatriotes, se révèle une lourde erreur dans la situation d'aujourd'hui. Elle va elle-même à l'encontre de son objectif affiché, tout en ne renforçant que le nouveau bloc de l'Est.
Se disant lui-même militant gaulliste depuis l'âge de 14 ans, Michel Barnier tenta de l'expliquer à certains de ses interlocuteurs en novembre dernier. Il sollicitait alors, au total sans grand succès, le soutien de son parti pour l'investiture de la campagne présidentielle. Il rappelait que si l'on souhaite une défense européenne, elle ne saurait se concevoir en rupture avec une alliance à laquelle adhèrent 21 États-Membres de l'Union européenne sur 27. Depuis lors, la Suède et la Finlande, traditionnellement neutres pourtant, ont clairement manifesté leur rapprochement avec le camp atlantique. Et cette évolution elle-même doit autant au travail du secrétaire général norvégien Jens Stoltenberg, qu'aux provocations, menaces et agressions multipliées par le maître du Kremlin depuis son discours de rupture prononcé à Munich en 2007.
Macron vient à vrai dire de concocter une réforme majeure, discrète et profondément dommageable (2). Il envisage désormais une politique étrangère conçue exclusivement par des technocrates. Se voulant gestionnaires, ils ne rêvant qu'au "doux commerce" auquel croyait, certes, au XVIIIe siècle, un Montesquieu quoiqu'ils tournent le dos, par ailleurs, à la séparation des pouvoirs, son idée centrale. Si ce prétentieux pense-petit avait seulement pris connaissance des travaux de Levi-Strauss, il saurait pourtant que, depuis des temps immémoriaux, "les échanges commerciaux représentent des guerres potentielles pacifiquement résolues, et les guerres sont issues de transactions malheureuses."
En novembre 2019, dans un entretien publié par The Economist Macron croyait pouvoir diagnostiquer un "état de mort cérébrale" de l'OTAN. Il caricaturait et dénaturait la critique du président américain Donald Trump lequel avait simplement déploré, dès 2017, son "obsolescence". Nuance essentielle. Les événements d'Afghanistan en août 2021, aussi bien les conditions du retrait des Occidentaux, que la restauration du régime des talibans, ont permis une prise de conscience, en dépit des désaccords interalliés reconnus publiquement par le président américain Joe Biden lui-même (3).
En effet, en 2022 du fait de la crise ukrainienne l'OTAN semble gagner à nouveau du terrain. De nombreux alliés, notamment en Europe orientale, dans les États baltes, en Pologne, ou en Roumanie, mais aussi au premier rang la Grande Bretagne, s'apprêtent à dresser des barrières ; l'Espagne a envoyé une frégate en mer Noire, les Pays-Bas ont promis deux chasseurs F35 en Bulgarie tout en mettant d'autres unités en état d'alerte et les États-Unis ont déclaré qu'ils déployaient 3 000 soldats pour renforcer la défense de l'Europe. Quant à la France, elle s'est, quand même, déclarée prête à envoyer des troupes en Roumanie.
La décision de Vladimir Poutine d'aligner face à ses frères ennemis plus de 106 000 soldats ainsi que les pressions qu'il exerce contre l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie ont redonné des couleurs à l'alliance des Occidentaux.
Au-delà même des développements de la crise en Ukraine, l'année qui vient verra ainsi la définition nécessaire d'une nouvelle stratégie pour la prochaine décennie, mais également le choix d'un successeur l'homme qui réussira. Jens Stoltenberg au poste de secrétaire général.
Avec la consolidation d'un sentiment national ukrainien, face à la Russie poutinienne et à sa réhabilitation historique du stalinisme ce sera peut-être une des conséquences des menaces que fulminent ce régime et son lugubre ministre des Affaires étrangères Serguei Lavrov. Puisse-t-elle dissiper aussi les illusions macroniennes.
Notes
(1) cf. L'Insolent du 2 février "Faut-il féliciter Erdogan ?"
(2) On lira à ce sujet la tribune de protestation publiée par 150 jeunes diplomates "Que sera une diplomatie sans diplomates, dans un monde de plus en plus imprévisible et complexe ?" publiée dans Le Monde en date du 8 novembre 2021.
(3) cf. l'article d'Olivier Bault publié dans Présent daté de ce 3 février "Dans la crise ukrainienne, l’OTAN ne parle pas d’une seule voix"