Marine Le Pen, de retour de Reims, a accueilli Boulevard Voltaire à son QG de campagne. L'occasion, pour elle, de revenir sur ses propos polémiques, publiés dans Le Figaro et Causeur, et les accusations portées sur l'entourage d'Éric Zemmour qui ont fait couler beaucoup d'encre. Marine Le Pen regrette-t-elle sa phrase ? Elle regrette que son propos n'ait pas été compris.
Un entretien exclusif à regarder ici.
Bonjour, Marine Le Pen, merci de nous accueillir. L’entretien que vous avez accordé au Figaro et à Causeur a fait couler beaucoup d’encre. Vous y avez évoqué le communautarisme qui régnerait dans les troupes d’Éric Zemmour, notamment un communautarisme catholique. Vous évoquez des chapelles sulfureuses et, je cite, des « catholiques, païens et quelques nazis ». On vous reproche d’avoir utilisé la reductio ad Hitlerum qui a été utilisée contre vous pendant des années et contre le mouvement de votre père, ayant contribué à neutraliser votre parole. Beaucoup de catholiques se sont sentis très blessés, y compris dans vos rangs. Regrettez-vous vos propos ou jugez-vous que vous avez été mal comprise ?
Ce que je regrette, c’est qu’à l’évidence, le propos que j’ai tenu n’a pas été compris. C’est un article et, par définition, dans un article, on colle des idées les unes à côté des autres. La relation qui est faite entre les deux a donné une image erronée.
J’ai dit que je pensais que la vision d’Éric Zemmour est une vision communautariste, c’est-à-dire qu'on se reconcentre sur nous. Personnellement, ce n’est pas la vision que j’ai. Je ne compare pas Éric Zemmour avec des islamistes, mais je dis que pour répondre à un communautarisme ravageur, il ne faut pas se recroqueviller sur soi-même en disant que l’on défend une communauté. Selon moi, la seule communauté qui existe est la communauté nationale. J’ai exprimé une différence de vision. Puis, dans une autre phrase, en réalité, je vois qu’Éric Zemmour ne maîtrise pas ce qui se passe. Des gens viennent pour peser sur sa ligne. D’ailleurs, ces chapelles sont contradictoires les unes avec les autres. C’était cela, le sens de mon propos, lorsque je parlais des catholiques traditionalistes et des païens.
Je pense qu’un mouvement politique doit être aconfessionnel. Le Rassemblement national l’est et tout le monde a, d’ailleurs, voté ces statuts.
Je pense que la religion est affaire personnelle. En revanche, nous avons, bien sûr, des racines chrétiennes. Je l'ai toujours dit. À l’époque où il était question d’une Constitution européenne, j’avais participé à plaider pour que les racines chrétiennes de l’Europe soient dans la Constitution européenne. Évidemment, ceci ne me pose aucune difficulté. Je crois que ce n’est pas sain qu'il existe à l’intérieur des mouvements politiques, en gros, des chapelles constituées telles que celles-là.
Dans la forme de mon propos, nous parlons des éléments sulfureux. Je dis qu’il y a effectivement, chez Éric Zemmour, quelques nazis. C’est vrai, et je trouve cela impardonnable. J’ai beaucoup œuvré, et on peut tous me l’accorder précisément, pour écarter de mon mouvement politique les gens qui étaient des gens sulfureux et qui avaient des pensées qui m’apparaissaient profondément antinationales. Ils étaient des radicaux, extrémistes et avaient une vision ethnique, raciale du combat politique. Je les ai écartés avec, encore une fois, beaucoup d’énergie et de fermeté parce que je pense que ces gens-là doivent être mis au ban de la vie politique.
Or, je m’aperçois qu’après avoir été marginalisés, ils retrouvent une vitrine politique dans le mouvement d’Éric Zemmour qui, en réalité, ne sait pas qui est dans son mouvement. Même quand une députée européenne le rejoint, il ne connaît même pas son nom et ne sait même pas d’où elle est. Il ne sait donc pas qu’il est un peu victime d’une forme de ralliements opportunistes et extrêmement contradictoires les uns avec les autres, dont des mouvements radicaux comme le Parti de la France. Je ne parle pas de Carl Lang, qui n'est pas dans cet état d'esprit, mais Thomas Joly l'est, et le secrétaire général qui pose avec une bouteille de ZyKlon B l'est. Ces gens-là n’ont rien à faire en politique.
Je dis aux équipes d’Éric Zemmour de faire le ménage parce qu’elles défendent des idées nationales. Si elles ne font pas le ménage, c’est l’ensemble des idées nationales qu’elles vont abîmer et dont elles vont donner une image déplorable. Je me suis battue pendant vingt ans pour, justement, défendre ces idées nationales et pour arrêter qu’elles soient assimilées à des radicaux et des extrémistes. Ce n’est pas pour que ces idées nationales, sous prétexte, qu’elles sont portées par quelqu’un d’autre, soient à nouveau assimilées à cela.
Je déplore qu’il ne souhaite pas faire le ménage. J’ai entendu M. Peltier dire : « S’il y en a, on les virera. » J’entends ce discours et je ne fais pas, encore une fois, un procès en nazisme à Éric Zemmour, je dis juste « attention, vous êtes en train d’accueillir chez vous des gens qui ne doivent pas avoir la moindre vitrine politique ».
Vous dites qu’Éric Zemmour est victime de ceux qui l’ont rejoint.
Lorsqu’on lui a posé la question, il a dit « non, il n’y a personne ». En l’occurrence, ce n’est pas moi qui ai fait la liste. Lorsque les journalistes m’ont demandé de qui je parlais, je leur ai dit que je n’étais pas la présidente de SOS Racisme ni de la LICRA, et je ne suis pas, non plus, DRH chez Zemmour. Par conséquent, ce n’est pas à moi de faire la liste des gens qu’il doit écarter. En l’occurrence, les LR ont fait cette liste. Lorsqu’on voit les profils d’un certain nombre de personnes, oui, je crois qu’il ferait mieux de dire qu’il faut écarter ces gens-là, comme j’ai pu le faire, lorsque ces gens ont cru pouvoir tenir des propos qui ne sont pas admissibles.
Que répondez-vous lorsque Robert Ménard, qui est pourtant proche de vous, porte les mêmes accusations sur vous ?
Robert Ménard ne peut pas porter les mêmes accusations, car j’ai moi-même été vivement contestée et c’est un des sujets pour lesquels je me suis, par le passé, beaucoup frictionnée avec mon père. À chaque fois que quelqu’un a eu un comportement tel que celui-là, il a été immédiatement mis à la porte du Rassemblement national, au point que l’on nous accusait de faire des purges.
On a effectivement purgé les éléments radicaux du mouvement et je ne peux évidemment que m’en réjouir. Maintenant, lorsque je les vois revenir par une fenêtre, je le déplore parce que je pense que toutes les idées nationales vont en souffrir, quel que soit le candidat qui les porte.
Revenons aux catholiques. J’ai compris que vous ne les aviez pas mis sur le même plan et que vous avez considéré que c’était des chapelles contradictoires. Certains regrettent que vous ayez des réticences à porter le corpus conservateur et à l’endosser comme l’endosse par exemple votre ami Viktor Orbán, qui est très à la pointe du combat sur les sujets sociétaux, sur les lobbys LGBT et face au candidat progressiste s’il en est, Emmanuel Macron. Est-ce antinomique de se réjouir du soutien de Viktor Orbán et d’être réticente avec ce corpus-là ?
Je pense que ceux qui me reprochent cela défendent leurs idées religieuses avant les idées politiques. C’est en cela que je suis en désaccord avec eux. Les gens qui ne sont pas capables de voir qu’il existe une différence entre la Hongrie et la France, la Pologne et la France, l’Italie et la France, les États-Unis et la France, c’est qu’en réalité, l’idée nationale passe, pour eux, derrière. Je considère que l’idée nationale passe devant. La France est un pays laïc. Ce sujet a été un sujet de débat au sein du Rassemblement national. Cela fait presque vingt ans que je défends la laïcité et je me suis retrouvée confrontée à des gens qui étaient opposés au fait de défendre la laïcité parce qu’ils mettaient leurs convictions religieuses avant les convictions politiques. C’est une divergence que nous avons.
Au Rassemblement national, il y a beaucoup de catholiques. Je l’ai dit en premier et je n’ai pas de problème avec cela. Il y a même beaucoup de catholiques de tradition. J’ai, moi-même, fait baptiser mes enfants à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, je n’ai donc rien contre les catholiques traditionalistes, mais je ne souhaite pas qu’ils défendent, en chapelle constituée, des convictions religieuses avant des convictions politiques. Je pense que ce n’est pas le rôle d’un mouvement politique. Il y a la religion d’un côté et le mouvement politique qui défend les idées politiques.
Néanmoins, en France - et, d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si vous êtes allée à Reims faire votre grand meeting -, il y a une espèce de consubstantialité entre le catholicisme et la France. Éric Zemmour disait, ce matin : « Il y a un droit d’aînesse du catholicisme culturel en France, de ce fait, en l’affirmant, c’est ainsi que l’on évitera que la France se couvre d’un blanc manteau de mosquées. » Partagez-vous cette idée ou avez-vous une autre position sur la question ?
La France est un pays de racines chrétiennes, personne de censé ne le conteste. Toute notre vie est fondée là-dessus. Ce n’est pas seulement notre vie, ce n’est pas seulement le nom de nos villages, ce n’est pas seulement notre calendrier, ce n’est pas seulement les vacances de nos enfants, ce n’est pas seulement nos paysages avec ses églises et ses calvaires, ce n’est pas seulement ça, c’est la vision que l’on a de l’Homme qui est déterminée par nos racines chrétiennes. C’est la vision de la liberté individuelle qui est formatée par ces racines chrétiennes. Nous sommes incontestablement formatés, notre droit l’est, notre vision du monde l’est. C’est enfoncer une porte ouverte que de dire cela. Précisément parce que ce sont nos racines, parce que nous vivons cela extrêmement bien, ne transformons pas la défense de ce que nous sommes avec nos racines chrétiennes et notre religion avec une sorte de lutte religieuse contre une autre religion.
Mon but n’est pas de lutter contre une autre religion mais de lutter contre une idéologie. Il existe une idéologie islamiste. C’est cette idéologie totalitaire contre laquelle il faut lutter. Je me refuse et je conteste, dans les propos d’Éric Zemmour, cette volonté de se servir de nos racines chrétiennes pour relancer une forme de guerre de religion sous couvert de conflits de civilisation dont on voit bien, lorsqu’on gratte un peu, que sa vision est une vision de guerres de religion. Je ne veux pas faire de guerre de religion. On ne veut pas, on est Français et on sait ce qu’est une guerre de religion. On en a vécu ! Dans notre inconscient collectif, la guerre de religion nous fait une peur folle et c’est normal. Notre pays est incroyable parce qu’on a réussi à naître de ces racines chrétiennes et, en même temps, on a créé la laïcité qui, elle-même, puise ses racines dans les paroles du Christ. Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. C’est là le cœur de la laïcité. Arrêtons les combats absurdes et soyons conscients que lorsqu’on défend les idées politiques telles que nous les défendons, c’est-à-dire les idées nationales, on défend, bien sûr, ce qu’est la France, avec ses racines chrétiennes et cette culture chrétienne qui imprègne notre vision et notre vie quotidienne.
Gabrielle Cluzel