La Présidence de la République française réclame l’incarnation. La monarchie exigeait de son roi cette incarnation. Malheur à celui dont l’absence de caractère, les difficultés personnelles ou intimes ont permis, déjà, aux libelles de l’époque de réduire le corps mystique du monarque au corps physique d’un homme qu’on osera décapiter puisqu’il n’apparaissait pas à la hauteur de sa mission. Depuis les Français ont cherché à retrouver l’homme habité par cette mission. De Gaulle est l’un des rares à avoir répondu à cette attente.
Encore y répond-il davantage dans un hommage posthume quasi unanime alors que de son vivant, et au pouvoir, lui aussi devait affronter une presse très majoritairement hostile, condamnée cependant à l’attaquer sur sa politique et non sur sa vie personnelle. Après le fondateur de la Ve République, la situation s’est renversée. Le personnage du monarque républicain s’est moins imposé qu’il n’a été construit par une faune médiatique de plus en plus unanime et penchant à gauche. Mitterrand dont le bilan est catastrophique pour le pays bénéficie d’un silence complice sur le mensonge qu’il entretiendra durant deux septennats sur le cancer qui limitait de plus en plus ses capacités, et ne verra ses turpitudes passées, ses relations douteuses révélées qu’à la fin de sa vie.
Les incarnations pour le moins limitées de Chirac ou de Sarkozy ont précédé le cas remarquable d’une totale absence d’incarnation chez Hollande. Son successeur a perçu la faille et s’y est engouffré : on a eu Jupiter, qui n’a cessé d’osciller d’un excès d’arrogance à des manques de dignité, de l’insulte publique à un général à des mamours déplacés à un éphèbe antillais. Globalement, l’incarnation était manquée et d’une fuite éperdue au Puy-en-Velay à la gifle de Tain-L’Hermitage, la popularité n’était pas au rendez-vous. Personne n’attend le roi à la sortie de l’Elysée pour guérir des écrouelles. Mais, lorsque le charisme quasi religieux fait défaut, la guerre et la menace de l’ennemi contribuent à restaurer le souverain dans son rôle de chef : face au virus, cet ennemi qui passe les frontières et face à Poutine ce dictateur sanguinaire, Macron a réinvesti une fonction avec l’appui d’une large et complaisante majorité des médias. Personne ou presque ne semble s’apercevoir que les doses répétées des vaccins n’ont pas empêché le dernier variant de se répandre. Mais il faut néanmoins faire cesser les mesures coercitives établies pour lutter contre lui : les élections approchent et ce climat de liberté retrouvée est excellent pour le président-candidat. Personne ne semble davantage se souvenir que pendant cinq ans l’un des deux garants avec l’Allemagne des accords de Minsk n’a strictement rien fait pour qu’ils soient appliqués et la guerre évitée.
Il est pourtant difficile aux concurrents de prétendre à une meilleure incarnation. Les uns porteront les stigmates de la gauche irresponsable, les autres de la droite extrémiste, l’un fera peur par son nom, l’autre par son absence d’expérience, le troisième sera systématiquement pris au piège des ses “gaffes” ou de ses maladresses par une presse cette fois intransigeante. L’hypothèse d’une incarnation par défaut ne doit pas être écartée : certes, il incarne peu, mais les autres encore moins.
Pour se délivrer de cette impression funeste, de nombreuses lectures permettent aux Français d’ouvrir les yeux . C’est d’abord, ” Le traître et le néant” de Davet et Lhomme, qui en deux mots, mais en 600 pages définissent le président sortant : un homme qui n’aime que lui-même, chez qui l’ambition illimitée remplit le vide intérieur, mi-séducteur, mi-tueur en même temps. Le chapitre qui reprend la ténébreuse affaire Alstom devrait suffire à l’envoyer devant les tribunaux plutôt que de le voir rester à l’Elysée. Restent dans cet ouvrage deux erreurs magistrales : habitués à leur microcosme, les deux journalistes du “Monde” ne voient pas qu’il révèlent la triste réalité de notre pays. Tout s’y décide sur quelques arrondissements parisiens, entre quelques coteries acoquinées : la réussite de Macron s’est faite entre quelques influences, d’un palais de la République à une banque, d’une commission théodule à un rachat d’entreprise. L’image d’un Macron coincé par les représentants des journalistes du Monde qu’il prétendait conseiller dans l’escalier conduisant au bureau de Minc, son “adversaire” dans cette affaire donne une vision peu reluisante du personnage. Mais, là où nos deux journalistes du grand journal de gauche du soir se trompent radicalement et illusionnent des Français qui se pensent de droite et pourraient voter Macron, c’est lorsque, page après page, ils susurrent que Macron ne serait pas de gauche. Pour eux, la droite, c’est le fric, ce sont les patrons, et Macron est de ce côté. Ils ne voient pas que la droite est conservatrice, qu’elle est attachée à la nation, à la famille, ne veut ni du travail du dimanche, ni de la PMA pour lesbiennes, ni de l’avortement comme “droit” de plus en plus illimité, ni bien sûr d’une immigration de remplacement. Effectivement Macron est le candidat du fric, et celui-ci est passé à gauche avec le mondialisme, le consumérisme et l’hédonisme, ce trio qui dynamise notre décadence, et transforme nos sociétés en foules solitaires de jouisseurs sans entrave ou en communautés de tous genres à l’identité revendicative.
Qui a assuré la carrière de M. Macron ? Jacques Attali, qui conseilla Mitterrand, Alain Minc qui vota Mitterrand et Jean-Pierre Jouyet qui fit carrière d’un cabinet de gauche à l’autre, et fut ministre de Sarkozy lors de la magistrale bévue de l’ouverture à gauche. Macon fut membre du PS, fit carrière à l’ombre des oligarques socialistes et demeure entouré de membres éminents de cette gauche qui allie le discours généreux à la soif de l’Or. (à suivre)