Un vent d’inconfort souffle sur la Macronie depuis le lendemain du premier tour, si le scénario de ce dernier a très nettement tourné à l’avantage d’Emmanuel Macron le 9 avril dernier, force est de constater que le scénario du second tour n’est pas celui qu’avaient envisagé les stratèges de Jupiter.
En cause ? La réalité du terrain. Si sur le papier, l’idée d’aller dès lundi matin sur les terres de prédilection du RN à Denain dans le Nord était une bonne idée, dans les faits l’Elysée s’est aperçu qu’on ne pouvait pas prévoir les réactions spontanées des passants. Beaucoup plus complexe de paraître digne lorsque les débats ne sont pas organisés en amont dans des salles lambrissés avec des élus et « militants » triés sur le volet ! Las. Emmanuel Macron a paru fébrile, « fatigué, les yeux rouges et je dirais boosté » a témoigné sur BFM TV l’un de ceux qui l’avaient interpellé. Il faut dire qu’Emmanuel Macron a passé cinq ans dans un Elysée bunkerisé à enchaîner les affaires et les crises sociales.
Du côté de ses soutiens, on peine aussi à se faire entendre. L’agressivité de Gérald Darmanin face à Jordan Bardella en fut une preuve supplémentaire. Peu à l’aise sur ses dossiers, le locataire de la Place Beauvau a été incapable de détailler les contours de la réforme des retraites, pourtant pierre angulaire de l’hypothétique futur quinquennat Macron et seul point du programme du président candidat à peu près certain. Darmanin paye aussi son débat face à Marine Le Pen qu’il avait accusée d’être trop molle. Difficile après cette séquence d’en refaire une candidate d’extrême-droite et de jouer sur les peurs. La candidate du RN peut, sur ce thème, remercier Eric Zemmour qui fut un paratonnerre plus que bienvenu. En bref, Emmanuel Macron patine. Il faut dire que l’autre point de la stratégie, à savoir le front républicain et la diabolisation ne fonctionnent plus. Le front républicain a des allures de linceuls. Tel le petit garçon criant trop souvent au loup pour rire et regardant impuissant son troupeau se faire dévorer lorsque le loup arrive vraiment, Emmanuel Macron voit le confortable rempart contre le fascisme s’éroder et s’effondrer sur lui-même. La farce ne dure qu’un temps et les Français commencent à se lasser d’un comique de répétition trop étiré pour continuer à les divertir. Au fond, le point faible d’Emmanuel Macron c’est son bilan. L’argument Le Pen provoquant le chaos s’est totalement retourné contre lui. Casse sociale, insécurité, appauvrissement, fractures… Tout ce qu’on craignait d’un mandat Le Pen est advenu lors du mandat d’Emmanuel Macron. En fait, ce dernier a perdu l’initiative, il ne lui reste qu’à parier sur le nombre de colonies de castors restant dans le corps électoral. Seront-ils suffisamment nombreux pour établir un barrage assez haut pour contenir la vague bleu marine ? C’est se condamner à la passivité face à une candidate qui pour l’instant réalise un sans-faute et qui, pour une fois n’est pas le monstre à abattre pour la gauche mais plutôt l’un des deux monstres. Reste à savoir pour l’opinion qui est Charybde et qui est Sylla.
Etienne Defay
Article paru dans Présent daté du 15 avril 2022