Alors, ça, c’est bizarre, comme aurait dit Jouvet ! Le groupe ukrainien Kalush Orchestra était le grand favori de l'Eurovision 2022 et termine en tête du classement final, ce samedi, à Turin. Les petits Français d’Alvan & Ahez, dans leurs faux sabots crottés du Finistère, finissent avant-derniers...
Les bookmakers ont le nez politique, qui avaient prédit une victoire de l’Ukraine. Avec « Stefania », mélange de chant traditionnel et de rap, le groupe Kalush Orchestra « a séduit », dit le journal belge Le Soir. Séduction par nécessité ou séduction-contrainte ? À l’origine, une chanson écrite par le rappeur Oleh Psiuk bien avant le conflit, en hommage à sa mère, et qui prend aujourd’hui un autre sens, si l’on veut réinterpréter ses paroles qui nous disent, lorsque traduites : « Je retrouverai toujours mon chemin vers la maison, même si toutes les routes sont détruites. »
En attendant, malgré cette apologie éhontée des sentiments filiaux – patriotes – désuets qui nous feraient presque accroire que l’Ukrainien exilé n’est pas un migrant africain comme les autres, la chanson « Stefania » est arrivée deuxième des jurys professionnels, avec 283 points, et première du public, avec 439 points ; récoltant 631 suffrages au total : un record dans l’histoire de l’Eurovision. Un choix presque aussi bien téléguidé qu’un drone de l’OTAN : « On oublie souvent que l'Eurovision est politique, même si on n'en fait pas au sens premier du terme », nous explique Mika, chanteur « engagé » pour les fiertés humaines et animateur de la soirée qui justifie ce choix cousu de fil blanc : « C'est un symbole fort qui permet de faire rayonner des valeurs comme la paix, l'universalité. Au-delà même de cet aspect politique, c'est le meilleur exemple de la capacité qu'a la musique à rassembler les gens. » À l’exception des Russes, exclus de la compétition. Par souci d’universalisme, sans doute.
Beautés de l’universalisme, noble aspiration maçonnique à voir naître un monde fondé sur le consentement universel et sur l'affirmation d'un droit égal au bonheur de tous les peuples et de toutes les races. Et qu’en pensent nos petits Bretons bretonnants d’Ille-et-Vilaine, si vilainement écartés, avec, au compteur mélodique, 17 petits points misérables ? Ils avaient tout pour réussir, pourtant : mixité gothique, rythme rock-electro, et puis ce chant « Fulenn » – l’étincelle, en breton –, hymne à briser les interdits patriarcaux ! Une étincelle en dialecte qui n’a pas provoqué la déflagration espérée. La Bretagne ne ferait plus recette ?
Ils avaient pourtant le soutien du vieux barde Alan Stivell en personne, venu danser sur le cromlech pour leur insuffler la victoire et appelant tous « les peuples minorisés » à voter pour ses protégés. Ses incantations n’ont pas suffi. Les Irlandais ont trahi la cause et le harpiste est en colère, qui le dit dans un tweet ravageur, et crie à la magouille : « Je ne peux dire s'il y a magouille, mais j'ai un gros doute. Sans oublier que les votants et votantes irlandais - ce sont des TRAÎTRES à leur propre pays, à leur propre identité. » Ajoutant en anglais : « IT IS A SCANDAL... SHAME and BLAME. »
Dans la Turin européiste, l’universalisme de la « celtitude » en a pris un coup. En déclarant que leur musique était « la preuve que la diversité des régions fait la force de la France », les jeunes du Fest-noz rénové d’Alvan & Ahez avaient pris un sacré risque. Perdu ! Dommage pour eux. Ils ont du talent et de l’énergie. Après leur débandade en live, ils ont déclaré, pleins d’humour à leur avant-dernière place : « On prend un peu de recul. » Sage décision...
Moralité : cette histoire nous apprendra que devant le canon qui tonne, on n’a pas toujours assez de recul. Nos petits jeunes ont quand même battu l’Allemagne, bonne dernière, comme en 18 et 45. Prions le ciel qu’Andorre nous attaque vite. On gagnera l’Eurovision !