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Annie Laurent : « Il est urgent d’en finir avec les concessions que nous multiplions à l’islamisme en nous cachant derrière nos valeurs »

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Annie Laurent, vous êtes journaliste, écrivain, politologue. Vous avez écrit plusieurs livres sur l'islam. Le dernier, paru en 2017 aux Éditions Artège, s'intitule L'islam pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore). Vous avez également fondé, en 2009, l'association Clarifier visant à « éclairer sur les réalités de l’islam, selon une approche pédagogique et respectueuse des personnes qui s’y réfèrent », et à « promouvoir les conditions et les moyens d’une vie commune pacifique ».

L'arrivée du burkini dans le débat public vous a-t-elle surprise ? 

Non ! Plus rien ne me surprend dans le traitement appliqué dans notre pays aux questions relatives à l’islam, à ses principes et à ses revendications. Malgré la répétition par l’État d’assurances de fermeté envers l’islamisme et son refus affiché de tout séparatisme, c’est l’inverse qui se produit, à savoir la progression de la culture musulmane sous différentes formes. L’autorisation du burkini est la dernière manifestation de cette avancée qui ne semble plus trouver de limites et d’obstacles. Je veux parler de la lâcheté des pouvoirs publics qui cèdent ainsi à des calculs clientélistes ou électoralistes ; mais aussi de la complaisance d’une partie de nos élites dont le militantisme est imprégné d’idéologie progressiste.

Dès son déclenchement, cette affaire m’en a rappelé une autre, elle aussi survenue à Grenoble (!), précisément à l’Institut d’études politiques de cette ville, en 2021, après l’annonce d’une « Semaine de l’égalité » ayant pour thème « Racisme, islamophobie, antisémitisme ». L’un des professeurs, Klaus Kinzler, avait alors fait valoir que la présence de l’islamophobie au programme de cette manifestation n’était pas acceptable car on ne pouvait pas admettre une équivalence entre les trois notions. Il justifiait sa position en expliquant que le concept d’islamophobie ne correspond pas à un racisme antimusulman, qu’il ne vise pas des personnes mais le contenu d’une religion et/ou d’une idéologie et, comme tel, devait pouvoir faire l’objet d’une recherche indépendante. Pendant des mois, cet enseignant a été harcelé et menacé, y compris au sein de son institut. L’affaire, médiatisée à outrance, avait d’ailleurs pris une ampleur nationale. Il vient de raconter cette mésaventure dans un essai, L’islamo-gauchisme ne m’a pas tué (Éd. du Rocher, 2022), dont je recommande la lecture.

Et que dire du port du niqab (voile intégral) dans certaines de nos villes et quartiers qui se développe malgré son illégalité puisqu’il est interdit de dissimuler le visage dans l’espace public ?

On a coutume d’entendre que le burkini n’est pas une prescription islamique et que la mesure d’autorisation dans les piscines grenobloises ne concernera que très peu de femmes. Pourtant, un sondage IFOP récent montre que 72 % des musulmans y sont favorables (à rebours du reste de la population). Comment expliquez-vous cette contradiction ?

Il est exact que le Coran ne prescrit pas le port du burkini, qui est d’ailleurs une invention récente, tout comme il ne prescrit pas la dissimulation des cheveux et du visage des femmes. Il se contente de leur recommander de cacher leurs atours, sans préciser de quelle partie du corps il s’agit. Malgré tout, ce type de vêtement féminin s’est imposé comme inséparable de la religion. Lors de mes premiers voyages au Proche-Orient, au début des années 1980, je ne voyais aucune femme voilée, et peu à peu le voilement s’est répandu partout. Il est le signe de la réislamisation des sociétés musulmanes et, à cet égard, il revêt une dimension politique et même géopolitique. Il s’inscrit donc dans une stratégie de conquête.

Il en va de même pour le burkini. Il est exact que la mixité entre adultes de sexes différents, et n’ayant pas de liens familiaux entre eux, est interdite en islam, mais jusqu’à présent, les musulmanes en France se contentaient d’horaires séparés dans les piscines lorsque cela leur était concédé. Avec l’autorisation du burkini, on franchit un seuil supplémentaire dans l’islamisation des mœurs et, donc, dans la conquête. Je note d’ailleurs que ce vêtement couvrant est légal dans plusieurs autres pays d’Europe. Cela permet de comprendre qu’une majorité de musulmans interrogés par le sondage que vous citez se prononcent en sa faveur. Ils y voient une nouvelle étape dans l’affirmation identitaire.

Personnellement, je suis très choquée par une autre disposition contenue dans l’arrêté de la municipalité de Grenoble, à savoir l’autorisation accordée aux femmes de se baigner les seins nus dans les piscines publiques ! Avec une telle mesure, comment veut-on persuader les musulmans, hommes et femmes, de la supériorité de la civilisation européenne et leur donner envie d’y adhérer ?

Comment qualifieriez-vous cette autorisation ? Anecdotique, préoccupante, dramatique… ?

Certainement pas anecdotique puisqu’elle s’inscrit dans un long processus comme je viens de le montrer, mais préoccupante, oui, absolument.

Il y a longtemps que je le dis : la France est en état d’auto-dhimmitude. La complaisance envers le burkini en est une nouvelle marque après tant d’autres. Qu’est-ce que la dhimmitude ? Il s’agit d’un statut juridico-politique applicable aux ressortissants non musulmans dans un État gouverné par l’islam selon une prescription du Coran (9, 29). Ceux-ci ne bénéficient pas de l’égalité citoyenne avec les « vrais croyants » que sont les musulmans. Les dhimmis peuvent conserver leur identité religieuse mais ils doivent se soumettre à une série de mesures discriminatoires qui peuvent affecter tous les aspects de la vie, publique, sociale et privée. Aujourd’hui l’ensemble des Etats musulmans n’appliquent pas l’intégralité de ces dispositions mais elles sont en vigueur dans certains pays. Quoi qu’il en soit, le principe demeure puisqu’il repose sur un ordre « divin ».

Les musulmans traduisent « dhimmitude » par protection, ce qui tend à nous rassurer, mais la traduction la plus appropriée est « protection-assujettissement » : en contrepartie des libertés de culte ou autres qui leur sont plus ou moins consenties, ils peuvent être soumis à dispositions spéciales, voire à la charia, l’objectif étant de leur faire prendre conscience de leur infériorité.

Si je parle d’auto-dhimmitude, c’est pour exprimer l’idée que la France, par complexe et culpabilité coloniale, anticipe une situation juridique et politique qui ne lui est pas (encore) imposée mais qui pourrait l’être le jour où l’islam sera majoritaire et donc en mesure de gouverner notre pays. Il convient, d’ailleurs, d’observer que l’islam prospère sur la faiblesse des sociétés dans lesquelles il s’installe. L’Histoire illustre amplement cette réalité. La journaliste Zineb El-Rhazoui a donc raison de voir dans la décision de Grenoble « une avancée majeure de l’idéologie islamiste » (Le Figaro, 19 mai 2022).

Jusqu’où irons-nous ? Je l’ignore, bien sûr, mais la situation est vraiment préoccupante. Avant qu’elle ne devienne dramatique, il est urgent d’en finir avec les concessions que nous multiplions à l’islamisme en nous cachant derrière nos valeurs. Car ce faisant, nous effaçons du même coup notre propre civilisation.

Gabrielle Cluzel

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