Analyse de Marie d’Armagnac sur Boulevard Voltaire :
Né en février 2021 en réponse à la crise sanitaire et pour organiser le Plan de relance européen, ce gouvernement regroupait tous les partis politiques à l’exception notable du parti Frères d’Italie de Giorgia Meloni. Le parti 5 étoiles est en pleines turbulences depuis la scission opérée par Luigi Di Maio, ancien chef du parti, fondateur du tout nouveau parti IPF, (Insieme per il futuro, Ensemble pour le futur) et actuel ministre des Affaires étrangères. Le parti, dont Giuseppe Conte a pris la direction a refusé d’accorder sa confiance à Mario Draghi jeudi lors d’un vote au Sénat : le Mouvement 5 étoiles a en effet quitté l’hémicycle en signe de protestation. Même Stefano Patuanelli, pourtant ministre de l’Agriculture de Mario Draghi, s’est absenté lors du vote.
Après avoir convoqué un conseil des ministres extraordinaire, Draghi a donc présenté sa démission le 14 juillet. Celle-ci a été refusée par le président de la République, Sergio Mattarella, qui lui a enjoint de se présenter mercredi prochain devant le Parlement pour vérifier, in situ, de quelle majorité il disposerait encore. Il est clair pour tous les observateurs politiques en Italie que Sergio Mattarella usera de tous les moyens constitutionnels possibles pour ne pas avancer les élections législatives prévues au printemps 2023. Y compris la constitution d’un énième gouvernement technique, pour passer l’automne et le redouté vote du budget ? Draghi avait affirmé il y a quelques jours qu’il ne voulait pas gouverner sans les 5 étoiles, mais qu’il ne désirait pas non plus un gouvernement Draghi-bis. On évaluera dans quelques jours si ce n’était qu’un voeu pieux et si Matteralla a pu user de toute sa force de persuasion pour le convaincre de poursuivre l’aventure.
Réactions politiques et tractations
On imagine sans peine l’ambiance électrique et surchauffée des coursives du parlement : tractations entre les partis, plans, stratégies devenues obsolètes en l’espace d’une demi-journée, tout est aujourd’hui imaginable pour sortir de la crise, mais la perspective des élections renforce l’individualisme partisan.
Les réactions des différents leaders politiques ne se sont pas fait attendre.
Matteo Salvini est dans une situation inconfortable. La Ligue votera-t-elle mercredi sa confiance renouvelée à Mario Draghi ? Giancarlo Giorgetti (Ligue) est, selon le Corriere della Sera, d’avis de jouer les prolongations si c’est encore possible. Il a derrière lui l’aile « gouvernementale » du parti, ministres en exercice et présidents de région. Mais la base – députés, conseillers régionaux et territoriaux – qui perçoit le mécontentement des militants et de l’électorat, et auquel Salvini est sensible, souhaiterait retourner aux urnes avant la fin de la législature. Plus souvent qu’à son tour, Draghi a traité la Ligue comme la cinquième roue du carrosse, et le Carroccio (surnom de la Ligue) a dû bien souvent avaler des couleuvres, comme l’explique le quotidien La Verità.
Ainsi Salvini sent bien que la Ligue paie l’usure du pouvoir et son alliance de gouvernement, même de circonstance, avec une partie de la gauche, quand Giorgia Meloni et son parti Frères d’Italie, unique parti d’opposition, caracole en tête des sondages. Une partie de son électorat – mais aussi de l’électorat Cinq étoiles – est passée chez Giorgia Meloni. Cette dernière a bien sûr réclamé tout de suite le retour aux urnes.
Si Salvini a commenté ainsi la sortie de route de Giuseppe Conte : « Jusqu’à aujourd’hui, j’ai accusé Conte et les 5 étoiles d’être irresponsables. Et moi je me mettrais à jouer l’irresponsable ? » en contribuant à la chute de ce gouvernement, il a également demandé que « la parole soit restituée aux Italiens », par le vote.
Le troisième parti de la coalition, minoritaire mais indispensable est le parti Forza Italia de Silvio Berlusconi : travaillé par des tensions contraires, le parti voit s’affronter une aile centriste qui entend continuer l’expérience Draghi, invoquant crise économique et guerre en Ukraine, et une aile plus droitière.
On voit que dans cette crise Matteo Salvini est à la croisée des chemins : soit il penche vers son alliée Giorgia Meloni, soit il consolide l’alliance de centre-droit avec Forza Italia, au détriment d’une coalition qui serait alors fragilisée lors des élections prochaines. Quelques mois supplémentaires qui profiteraient indubitablement à Giorgia Meloni.
On peut également se demander si le mécontentement des Italiens face au gouvernement Draghi et à sa gestion de la crise ukrainienne, notamment la mise en place de sanctions lourdes contre la Russie, n’est pas une des vraies raisons de cette crise politique. Clairement, l’économie italienne, la troisième de la zone euro, en subit de plein fouet l’effet boomerang. Depuis le début de la guerre, l’électricité, déjà chère en Italie par faute d’énergie nucléaire, a augmenté de 91 %, le prix du gaz de 70 %. Lors d’une conférence de presse mardi dernier à Paris, Carlo Bonomi, chef des organisations patronales italiennes Cofindustria et Geoffroy Roux de Bézieux patron du Medef, ont appelé leur gouvernements respectifs à « opérer des choix difficiles », et à « faire le choix du producteur avant de faire celui du consommateur ». Autrement dit à augmenter significativement le prix de l’énergie en raison de la pénurie – organisée – de gaz russe (Le Figaro).
À se demander si la crise politique italienne, qui a des racines profondes et multiples, n’a pas été alimentée par cette crise énergétique, qui a joué ici le rôle de détonateur.
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