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Les grands lions de la chrétienté (4/5)

Lucien Rebatet
 

Les écrivains catholiques ne furent pas tous des agneaux. Sous la toison de laine, se cachaient parfois de grands fauves, généreux et puissants, aux canines acérées, prêts à mettre en pièces le coquin et le Malin. Sans pitié, mais pas sans piété.

Dieu vomit les tièdes. Les grandes plumes catholiques ont pris au mot la parole évangélique. Qu’est-ce que la colère d’Achille à côté de la colère des Pères l’Église ? Demandez donc à Joseph de Maistre, le grand champion du pape.

Si la fureur n’est pas sacrée, elle devient tout de suite führer révolutionnaire, disait-il en substance (anachronisme mis à part). C’est Maistre qui, au XIXe siècle, donnera le ton à l’ultramontanisme. Le premier Félicité de La Mennais, Louis Veuillot, Charles Baudelaire, Jules Barbey d’Aurevilly, Léon Bloy suivront. La vérité siège à Rome. A Paris, règne l’Antéchrist – et les régicides.

La Mennais a commencé à la droite du roi et finit à gauche, au large et dans les nuées. Au fil des ans, le fils spirituel de Maistre s’est ainsi transformé en curé rouge avant la lettre, retranscrivant sous le coup d’une inspiration quasi-somnambulique les « paroles d’un croyant ». Son dernier papier, « Les saturnales de la réaction », écrit contre la répression de Cavaignac en 1848, est un chef-d’œuvre d’indignation qui renvoie le « J’accuse » de Zola au rayon des bafouilles républicaines. « Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or pour jouir du droit de parler : nous ne sommes pas assez riches : silence aux pauvres ! »

Léon Bloy, le Gengis Khan du pamphlet

Autre disciple de Joseph de Maistre, Louis Veuillot. Enfant du peuple, converti en 1838, plus radical encore dans sa défense du pape que son maître, Veuillot fut, non pas le chevalier de l’Église, mais son écuyer. Véhément, bagarreur, il défendait d’un même élan la veuve, l’orphelin et le prélat, attaquant sans relâche les bien-pensants, les libre-penseurs et les libéraux. L’Église a trouvé en lui l’un de ses plus redoutables lutteurs. Dans son interminable polémique avec Hugo qui le traitait de « simple jésuite et triple gueux », il est parvenu à placer quelques beaux uppercuts. C’est à lui que l’on doit le « bête comme l’Himalaya » à  propos du père Hugo. Ce qui a gâché malgré tout son talent, c’est qu’il était un peu trop calotin, au dire de Léon Daudet.

Calotin, Léon Bloy le fut aussi peu que possible. Son œuvre est un immense charnier où reposent ses victimes. Il empale, mutile, éviscère. C’est le Gengis Khan du pamphlet qui a tenu les « annales du dépotoir contemporain », du « vieux faisan de Victor Hugo » à « l’entripaillé sacristain Renan ». Un serial killer de plume que l’odeur du sang rendait impitoyable. Il a recyclé tout l’attirail symboliste pour le mettre au service d’un Dieu carnassier qui n’a que très peu à voir avec celui des Évangiles. Cela donne à sa polémique des accents byzantins et génocidaires, d’aucuns diront lucifériens. Les titres de ses livres valent mieux qu’un long discours : Propos d’un entrepreneur de démolitions ou Léon Bloy devant les cochons. Et que dire du journal qu’il dirigea et rédigea seul, Le Pal !

Mauriac, l’« Anus Dei »

Charles Péguy, lui, fut un soldat-paysan. Il donnait des coups de massue sourds, enfonçant la cognée au plus profond du crâne de ses adversaires. Sa polémique est aussi litanique et puissante que sa prose. Il attendait de la vérité qu’elle lui ouvre les portes du royaume – de Dieu et de France. C’était un poète épique, l’un de nos plus grands. Il ne faisait pas de mot d’esprit, il cherchait l’Esprit, venant d’un monde aujourd’hui inconcevable, homérique et cornélien. Le Georges Bernanos de La Grande peur des bien-pensants en procédait directement. Un temps où les hommes étaient des géants. Bernanos qui disait dans l’un de ses moments de lassitude que le métier de polémiste, passée quarante ans, est une obscénité, n’a pourtant jamais cessé d’être, jusqu’à sa dernière heure, un inflexible combattant, perpétuel exilé.

Dans ce panorama, Paul Claudel fait figure d’astre isolé. C’était un son et lumière baroque dans une cathédrale gothique, explorant une sorte de panchristianisme cosmique. « Quand Claudel vous parle, il est si brusque qu’on a l’impression qu’il vous gifle », disait Paul Morand. En dépit de sa conversion au catholicisme, il est resté pareil à la sauvagerie de son Tête d’or.

Tout l’inverse de François Mauriac. C’est à travers la disparition d’hommes tel que lui que l’on mesure tout ce que l’on a perdu. Certes, Mauriac incarnait un catholicisme souvent faisandé et mondain, mais suprêmement civilisé – méchant comme une vieille fille et charitable comme une vieille dame. Le malheureux n’a guère été épargné. Son goût pour les jeunes garçons anima les dîners en ville pendant un demi-siècle. Le mot, féroce, de Paul Léautaud, qui a beaucoup circulé dans l’entre-deux-guerres, s’applique aussi à lui : « Anus Dei ».

Des ruines et des décombres

Lucien Rebatet, auteur des mémorables Décombres, chef-d’œuvre polémique et best-seller de l’Occupation, nous a laissé ce stupéfiant portrait de Mauriac : « l’homme à l’habit vert, le bourgeois riche, avec sa torve gueule de faux Gréco, ses décoctions de Paul Bourget macérées dans le foutre rance et l’eau bénite, ces oscillations entre l’eucharistie et le bordel à pédérastes qui forment l’unique drame de sa prose aussi bien que de sa conscience est l’un des plus obscènes coquins qui aient poussé dans les fumées chrétiens de notre époque ». Pauvre Mauriac qui disait de sa voix ensorcelante : « Dans L’Enfer de Dante, je serais crucifié dans un fauteuil ».

Reste un peu de place pour évoquer Maurice Clavel, aussi tempétueux que généreux, qui a cru trouvé le Christ dans la révolte étudiante de 1968. Sous les pavés, la grâce ! Son « Messieurs les censeurs, bonsoir » résonne encore à nos oreilles et nous fait regretter tous ces grands combattants de la foi que furent les écrivains chrétiens qui ont appris une chose dans la fosse aux lions – rugir de déplaisir.

Photo : Lucien Rebatet

Épisode précédent :
L’âge d’or de la polémique (1/5)

Royauté de la droite, misère de la gauche (2/5)
Génie des gros, férocité des secs (3/5)

Prochain épisode : Recherche polémistes désespérément (5/5)

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