Différents partis politiques, allant des nationalistes aux communistes, avaient appelé à manifester sous le slogan « La République tchèque d’abord ». La présidente du mouvement Tricolore, Zuzana Majerová Zahradníková, dénonçait un gouvernement « peut être ukrainien, peut-être bruxellois, mais certainement pas tchèque » et exigeait l'arrêt des livraisons d'armes à l'Ukraine en affirmant : « Ce n'est pas notre guerre. »
Le Premier ministre tchèque, mis en cause par les manifestants, répliquait en déclarant à la presse que des forces prorusses étaient à la manœuvre. La même petite thèse conspirationniste que celle utilisée en Italie pour expliquer la chute de Mario Draghi, en juillet dernier. Derrière ces accusations se cache, en réalité, l’angoisse montante des élites progressistes européennes qui sentent de plus en plus la terre trembler sous leurs pieds.
Le Guardian rapportait les propos bien plus lucides du ministre de la Justice tchèque, Pavel Blažek : « Si la crise énergétique n'est pas résolue, le système politique de ce pays est en danger. » Un constat qui doit faire réfléchir nombre de dirigeants européens actuellement.
En Allemagne, on s’inquiète de la perspective d’un Wutwinter, un « hiver de colère », qui serait, bien entendu, provoqué par les manipulations d’extrémistes sans scrupules. « Ceux qui ont affiché leur mépris de la démocratie et défilé avec l’extrême droite pendant la crise du Covid-19 pourraient être aujourd’hui tentés d’utiliser la hausse des prix comme thème de mobilisation », déclarait, en juillet dernier, Nancy Faeser, le ministre fédéral de l’Intérieur allemand. Il est en effet plus facile de développer des théories complotistes que d’assumer les conséquences désastreuses de ses choix politiques.
La crise économique et sociale déclenchée par les sanctions contre la Russie ne fait, en réalité, que renforcer et cristalliser un « moment populiste » dans lequel de nombreux pays européens sont déjà entrés depuis longtemps.
En France, en avril 2020, l’institut de sondage Ipsos constatait une fracture très nette « entre le peuple et les élites ». Plus de huit Français sur dix (85 %) estimaient que les élites politiques, économiques ou encore médiatiques avaient « des intérêts fondamentalement différents de ceux de la grande majorité de la population ». Après la crise des gilets jaunes, les résultats des dernières élections ont constitué un véritable coup de semonce, comme l’a souligné la dernière étude de la Fondapol, think tank qui se définit lui-même comme « libéral, progressiste et européen ». Les auteurs s’alarment de la « poussée constante du vote protestataire » qui, devenu majoritaire, « sape notre système démocratique ». On se permettra l’analyse opposée. Les votes en faveur d’un parti dit « protestataire », l’abstention ou le vote blanc traduisent une secessio plebis provoquée par la dérive oligarchique de notre régime politique. C’est cette dérive qui a sabordé la démocratie et non ceux qui en appellent à un retour au peuple.
Il en va de même concernant la révolte qui gronde face aux conséquences des sanctions prises contre la Russie. Les Français se sont retrouvés entraînés dans une aventure militaire des plus dangereuses, sans consultation ni débats. Ils devraient désormais, d’après leur Président, « résister aux incertitudes » et accepter de « payer le prix ». C’est-à-dire assister passivement à la destruction programmée de leur système économique et consentir à leur propre ruine. Tout cela, bien entendu, au nom du Bien. Car les élites européennes éclairées savent ce qui est bon pour ceux qu’elles gouvernent. Pourquoi, donc, les consulter ?
Alors, si ce moment populiste conduit l’extrême gauche à rêver aux apocalypses du « Grand soir », souhaitons, pour notre part, que l'« hiver de la colère » soit porteur pour l’Europe d’un nouveau printemps des peuples.