Le même jour, EDF, propriété de l’État français, envoyait aux entreprises qui ne bénéficient pas du tarif réglementé[1], une lettre leur annonçant des augmentations substantielles : de +261% (heures creuses en été) à + 423% (heures pleines en hiver) !
J’ai reçu cette lettre. Notre exploitation viticole a besoin de frigories pour refroidir le jus de raisin avant les fermentations alcooliques, et de calories, après, pour le démarrage des fermentations malolactiques. Selon nos calculs, l’année prochaine, notre note d’électricité devrait passer de 12.000 à 42.000 euros. À cela s’ajoutera l’augmentation du prix du verre, des bouchons, des cartons, qui tous sont liés au prix de l’électricité : à ce jour nous tablons sur une augmentation de nos coûts de 20 centimes d’euro par bouteille. Une augmentation que la grande distribution, notre plus gros client, n’acceptera pas.
Des justifications « langue de bois »
Voici comment EDF justifie ces augmentations.
« Les niveaux de prix sur le marché de l’électricité ont connu ces derniers mois une hausse très importante sur tous les marchés européens. À titre d’information, les prix de l’électricité ont été multipliés jusqu’à 10 fois entre l’été 2021 et début septembre 2022. »
Et moi qui pensait que l’intérêt de confier la production d’électricité à une entreprise d’État, était justement de s’affranchir des « prix de marché » et de vendre, plutôt, au prix de revient ?
« Une crise du gaz : le gaz est l’un des facteurs déterminants du prix de marché de l’électricité car nécessaire à la production d’électricité. Or, à la suite de la reprise économique post-covid puis à des difficultés d’approvisionnement liées notamment à la guerre en Ukraine, le prix du gaz a fortement augmenté. »
Pourtant, la part du gaz et du pétrole dans la production électrique française est de l’ordre de 7% (contre 20% en Europe). Comment cette « crise du gaz » peut-elle justifier de telles augmentations du prix de l’électricité ?
« Une moindre disponibilité en 2022 des moyens de production d’électricité en France en raison de deux principaux facteurs : la sécheresse qui impacte la capacité de production des centrales hydrauliques », les opérations de maintenance sur les réacteurs nucléaires « qui cumulent celles reportées à la suite des contraintes liées à la crise sanitaire COVID et les nouvelles opérations nécessaires apparues entre temps ».
Va pour la sécheresse… Gageons que les précipitations actuelles, l’hiver tardif et l’automne clément, auront permis à EDF de recharger ses barrages avant l’hiver… L’hydroélectricité représente 12 % de notre production électrique.
Quant à la disponibilité de nos centrales nucléaires, le 14 septembre dernier Réseau de transport d’électricité (RTE), envisageait une remontée significative de la disponibilité des réacteurs nucléaires affirmant que « l’incertitude sur le périmètre des contrôles et des réparations a diminué au cours des derniers mois, ce qui constitue une nouvelle très positive pour la gestion du système ».
C’est curieux, dans sa lettre, craignant sans doute les foudres de l’Elysée[2], EDF n’évoque pas la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim... C’est pourtant une des raisons principales de la pénurie actuelle ! en quelques mois, la France a fermé 12 GW électrique de centrales fossiles et nucléaires, qu’elle a compensé par seulement 3 GW électrique de centrales à gaz… et quelques éoliennes en manque de vent.
Emmanuelle Wargon, nouvelle présidente de la Commission de régulation de l’énergie, et ancienne ministre du Logement, admettait sur France Info le lundi 19 septembre 2022 que « Dans la crise dans laquelle on est, on n'aurait pas pris la même décision […] car on s'est rendu compte qu'on allait avoir besoin de plus d'électricité » (sic !). Gouverner, c’est prévoir, Dit-on. Le projet de fermer 14 réacteurs nucléaires [3] d’ici à 2035 est encore inscrit noir sur blanc dans la loi sans que personne n’y revienne !
« Un passage de l’hiver difficile, avec l’anticipation de fortes tensions sur l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité »
Pourtant, le 14 septembre dernier, RTE définissait trois scénarios. Le « scénario dégradé » avec des échanges européens limités en raison de tensions sur le gaz. Le « scénario haut » avec une disponibilité du nucléaire très élevée à 50 GW. Le scénario intermédiaire, retenu comme référence, avec un fonctionnement normal de nos centrales à gaz et une disponibilité « importante » du nucléaire. Dans tous ces cas, RTE excluait tout risque de blackout.
Bref, on ne comprend pas bien la lettre d’EDF que tout vient contredire. On ne comprend pas, non plus, pourquoi la France n’utilise pas tous les leviers dont elle dispose pour sortir de cette situation ubuesque !
À suivre...
[1] Le bouclier tarifaire est réservé aux entreprises dont le compteur a une puissance inférieure à 36 kVA, dont l’effectif est inférieur à 10 salariés et dont le chiffre d’affaires n’excède pas 2 millions d’€.[2] Jean-Bernard Lévy, le dirigeant d’EDF depuis 8 ans a été limogé tout récemment après s’être montré particulièrement critique à l'égard du chef de l'État sur sa gestion du parc nucléaire français.
[3] EDF avait proposé d’étudier le démantèlement du Blayais, Bugey, Chinon, Cruas, Dampierre, Gravelines et Tricastin