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Une guerre peut en cacher une autre, par Jean Goychman

Ukrainian servicemen ride on a fighting vehicle outside Kyiv, Ukraine, Saturday, April 2, 2022. As Russian forces pull back from Ukraine’s capital region, retreating troops are creating a “catastrophic” situation for civilians by leaving mines around homes, abandoned equipment and “even the bodies of those killed,” President Volodymyr Zelenskyy warned Saturday. (AP Photo/Vadim Ghirda)

L’argumentation principale est que le plan de Poutine a lamentablement échoué puisqu’il a renoncé à prendre Kiev et a dû reculer. Depuis, ce recul de l’armée russe n’a jamais cessé et donc, conséquence logique, c’est l’Ukraine qui va envahir la Russie avant de la terrasser. 

De Gaulle, qui était très réaliste, a dit : « Il n’est pire déformation de l’esprit que de voir les choses non pas telles qu’elles sont, mais telles qu’on voudrait qu’elles soient ». 

Au delà de l’événement et de son intérêt « médiatique », le quidam qui, comme moi, essaie de s’intéresser à la marche du monde, ne peut s’empêcher de s’interroger sur cette focalisation de l’actualité. Et, pour aller au fond des choses, cette monopolisation sur un sujet particulier, aussi important puisse-t-il être par ailleurs, n’est-elle pas justement l’arbre qui cache la forêt ?

Un événement fortuit mais prévu de longue date

Or, sans être inscrit dans un calendrier précis, cet affrontement résultait d’une logique. Probablement animée par le CFR, la diplomatie américaine, malgré les assurances données aux dirigeants russes après la disparition de l’URSS, n’avait pas renoncé à, sinon la destruction pure et simple, du moins un affaiblissement majeur de la Russie dans ce que Zbignew Brzezinski appelait la « stratégie du containment ».

Les événements de la place Maidan survenus en 2014 s’inscrivaient dans cette politique. A vrai dire, le conflit aurait même dû éclater avant 2022 mais c’est vraisemblablement l’élection de Donald Trump, opposant déterminé à l’état profond américain, qui l’a décalé dans le temps.

Pourquoi l’Etat profond voulait-il ce conflit ?

La géopolitique mondiale a beaucoup changé depuis 50 ans. L’Occident qui représentait en 1970 25% de la population mondiale et dont le PIB s’élevait à 90% des richesses créées dans le monde a vu son influence diminuer constamment. Aujourd’hui, les chiffres respectifs ne sont plus que 12% pour la population et 40% pour le PIB. Et tout indique que cette tendance lourde va se poursuivre, sinon se renforcer. Dans l’ensemble occidental, les États-Unis ne représentent que 4% de cette population mondiale. On ne voit pas comment leur leadership, incontestable à la fin de la seconde guerre mondiale, pourrait se maintenir très longtemps face à des pays qui émergent et qui estiment, après l’avoir subi durant des décennies, que cette hégémonie n’avait plus lieu d’être.

Un des instruments essentiel de cette domination américaine est le dollar. Cette monnaie, qui n’a aucune valeur intrinsèque depuis 1971, s’est imposée au monde entier car elle avait le monopole des  échanges internationaux depuis les accords de Bretton Woods en juillet 1944. Mais son statut initial, qu’elle a conservé, fait également d’elle la monnaie domestique américaine. C’est évidemment très commode pour les États-Unis et ceux qui les dirigent car ils peuvent ainsi exercer un pouvoir de contrôle sur l’économie mondiale, tout en faisant payer la dette publique américaine par le reste du monde. De Gaulle avait résumé cela par une phrase dès 1965 : « Ces dollars, qu’il ne tient qu’à eux d’émettre ». 

Un nombre de plus en plus grand de pays, et non des moindres sur le plan économique, contestent aujourd’hui ce monopole du dollar. Or, la fin de ce monopole entraîne mécaniquement la fin de l’hégémonie américaine, et la perte du pouvoir exorbitant exercé par ce qui est appelé le « deep state » et qui est à la fois un lobby financier et industriel très puissant, dont les intérêts sont défendus par un « gouvernement de l ‘ombre » qui s’est progressivement installé depuis ces dernières décennies. Les acteurs de ce deep state sont parfaitement conscients du danger et n’entendent visiblement pas se résigner à une telle issue.

Plusieurs lignes d’actions simultanées

Tout d’abord, ralentir la croissance mondiale. Devenue faible dans les pays occidentaux en raison de leur désindustrialisation progressive, cette décroissance devrait toucher prioritairement les pays les plus producteurs. L’activité industrielle étant, pour une grande partie, dépendante à la fois des sources d’énergie et de matières premières, c’est sur ces sujets que l’attaque devait porter. Une des sources d’énergie les plus abondantes étant le charbon, il fallait commencer par lui. Il s’en suivit, sous couvert d’une lutte contre le réchauffement climatique dû à l’activité humaine, une véritable diabolisation de tout ce qui était combustible fossile. Cependant, le développement de l’énergie d’origine nucléaire pouvait représenter un danger aussi, car de mieux en mieux maîtrisée et de plus en plus rentable. Cette source d’énergie devait, sinon disparaître, du moins ne plus se développer avant de s’éteindre graduellement. 

Concernant les matières premières, l’exemple japonais de la fin des années 1930 était dans tous les esprits et chacun était conscient de l’absolue nécessité de sécuriser ses sources d’approvisionnement tant qu’ils pouvaient le faire.

Ensuite, empêcher l’émergence d’une monnaie internationale qui pouvait progressivement supplanter le dollar en lui faisant perdre son monopole et tous les avantages qui en résultaient.

Le coup d’envoi fut donné lors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole (Wyoming) en août 2019. Ce fut le gouverneur de la Banque d’Angleterre Marc Carney, qui tira la première salve. Il proposa de mettre en œuvre rapidement une monnaie électronique basée sur la pollution produite et qui serait entièrement contrôlée par le système des banques centrales.

Hasard ou plan concerté, l’épidémie du Sars-Cov-2 apparue deux mois plus tard, mettant un sérieux coup de frein à l’activité mondiale. 

Cela contribua également à dégrader un climat mondial dans lequel les suspicions réciproques commençaient à poindre. Nombre de peuples réalisèrent alors combien la politique réputée « libérale » et basée sur un libre-échange asymétrique les avaient rendus dépendants pour des domaines aussi importants que la santé et également l’importance financière démesurée des grands laboratoires internationaux dont la position était devenue dominante.

Enfin, empêcher l’émergence d’un nouvel ordre mondial qui ferait passer d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis à un monde qui se « régionaliserait » autour des continents. Ce monde « multipolaire » réhabiliterait la puissance du pouvoir politique, progressivement remplacée au fil du temps et des concentrations par la puissance des sociétés multinationales. Celles-ci avaient vocation à se substituer au pouvoir politique pour former l’ossature du futur gouvernement mondial, but ultime d’un projet qui s’était poursuivi depuis plus d’un siècle, générant au travers des guerres du 20ème siècle plusieurs dizaines de millions de morts.

Qui se bat et contre qui ?

À en croire nos médias « d’information » (qui sont plus devenus des médias « d’opinion ») la guerre en Ukraine n’est que l’affrontement d’un pays « conquérant » (la Russie) face à un pays luttant pour son indépendance et sa souveraineté (l’Ukraine). Belle image cependant un peu réductrice.

Cela permettait de commenter à longueur de journée sans pour autant élargir le champ de vision de ce qui se produisait réellement.

A en croire certaines voix américaines, notamment celle de Noam Schomski, ou celle du colonel Mac Gregor, tout a été fait pour provoquer cet affrontement, depuis le non-respect des paroles données, des traités signés jamais respectés et d’un bombardement  régulier des populations du Dombass faisant des milliers de victimes.

Apparemment, les choses avaient été anticipées des deux côtés car les sanctions occidentales qui frappèrent la Russie furent établies en un temps record. Elles allaient se révéler beaucoup plus critiques pour l’Europe que pour la Russie, mais personne ne s’en souciait réellement. La riposte russe ne se fit guère attendre et pouvait paraître relativement modeste dans un premier temps. Il s’agissait d’exiger le paiement en roubles des produits énergétiques livrés par la Russie. Cette décision n’avait rien de spontanée et révélait une réflexion de long terme, dans le droit fil de ce combat de titans livré en apparence par la Russie, mais en réalité par un ensemble de pays, parmi lesquels des mastodontes comme la Chine, l’Inde ou le Brésil, entre autres, contre une hégémonie qui se voudrait encore occidentale, mais purement anglo-américaine en réalité. Les pays de l’Union Européenne ne sont intervenus qu’au titre de l’OTAN, et les raisons qui ont fait que de Gaulle avait décidé de retirer la France du haut-commandement de l’OTAN sont toujours présentes. L’OTAN n’est que l’apparence d’une force internationale qui, dans sa réalité, est entièrement aux ordres de l’état profond américain.

La réalité de cette guerre en Ukraine est bien un affrontement entre des pays émergents en train de s’organiser pour combattre, à priori sur un plan économique, cette position hégémonique américaine mais les combats en Ukraine sont là pour rappeler que souvent la guerre économique n’est que le prélude à une guerre militaire. Ces pays représentent près de 80% de la population mondiale et ne peuvent être ignorés. La démocratie ne pourrait-elle s’étendre jusqu’à eux ?

Pourquoi cet assourdissant silence de la classe politique française ?

Que les médias « mainstream » ne parlent pas de la réalité de ce conflit mondial est déjà très étonnant, mais que pratiquement aucune personnalité politique française ne l’évoque non plus devient très inquiétant. Comment Emmanuel Macron justifie-t-il l’appui que nous apportons à l’Ukraine ? Après tout, aucune traité ne nous lie à ce pays, qui n’est membre ni de l’OTAN, ni de l’Union Européenne. On peut imaginer qu’il le fait en raison de valeurs telles que la liberté, la démocratie, le droit des peuples ou toute autre valeur dont l’Occident s’est fait le chantre, mais personne ne semble lui poser la question. Pourquoi ?

Personne ne peut douter que ces valeurs sont éminemment respectables, mais les évoquer pour, in fine, mettre en place une autorité mondiale qui, elle, n’entend pas s’en préoccuper, voilà qui est singulier, pour ne pas dire trompeur. Le remplacement du pouvoir politique par le pouvoir économique au niveau mondial s’accompagnera-t-il du respect de ces valeurs ?

On voit mal comment. Le pouvoir dans une entreprise est-il vraiment démocratique ? Avouez qu’on peut en douter ! A fortiori lorsqu’il s’agit de sociétés multinationales qui, souvent, optimisent leurs bénéfices en s’implantant là où les droits sociaux sont réduits, voire inexistants.

Combien de temps encore pourrons-nous faire l’économie de ce débat ?

Car, au-delà de ces questions, il y en a une qui les surplombe toutes et nous concerne au premier chef : quel avenir pour l’Union Européenne et surtout quel avenir pour la France ?

Nous risquons, dans ce suivisme suicidaire qui nous pousse à nous écarter, voire à combattre la Russie, de tout perdre. Notre industrie se réduit comme une peau de chagrin et nous manquons d’énergie et de matière première. Le nucléaire, dans lequel nous avions une maîtrise et une avance significatives semble dorénavant hors de notre portée. Des lois suicidaires comme celle dite « de la transition énergétique » nous conduisent vers la disparition du peu d’industrie qui nous reste. 

L’automobile, si florissante pour notre pays durant des décennies, est directement menacée par des décisions politiques aberrantes, telle que l’arrêt des moteurs thermiques.

Tout ceci fait peser sur notre pays une menace qui, sans exagération, peut être qualifiée d’existentielle.

https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/11/28/une-guerre-peut-en-cacher-une-autre-par-jean-goychman/

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