Ce 2 janvier, on apprenait que la grève des médecins libéraux était reconduite, au moins jusqu'au 8 complétée par une manifestation prévue pour le 5. Prévue pour ne durer qu'une semaine, entre Noël et le Jour de l'An, période où de nombreux cabinets ne marchent qu'au ralenti, elle n'avait au départ qu'un caractère d'avertissement symbolique. Depuis le 1er décembre, en effet, le ministre n'avait donné aucune réponse aux signaux d'alerte que lui avaient donnés les syndicats et le collectif Médecins pour demain.
Après 25 ans de plan Juppé, les technocrates de Bercy qui pilotent, désormais complètement, ce qu'on appelle encore sécurité sociale ont obtenu ce qu'ils voulaient. Cela se passe un peu comme dans Tacite "ils ont fait un désert et ils appellent cela la Paix" : ils ont décimé les professions de santé, ce qui a bel et bien produit les déserts médicaux. Ceux-ci ne sont pas "seulement" situés dans des provinces reculées ou des départements dépeuplés. Les territoires délaissés de l'Hexagone semblent certes voués, aux yeux du centralisme jacobin, de toute manière à l'abandon, qu'il s'agisse de la desserte ferroviaire, de la couverture numérique ou de la plupart des services publics. Mais leur paupérisation frappe aussi maintenant cette région parisienne qui se croyait jusqu'ici privilégiée, et qui se découvre tiers-mondisée à son tour.
La revendication des médecins libéraux peut sembler simpliste : ils réclament une augmentation de 25 euros à 50 euros du tarif de la consultation chez un généraliste qui se trouve bloqué depuis plusieurs années. Signalons qu'à ce prix fixé par l'État, – • qui reste uniforme qu'elle dure 20 ou 45 minutes, – • qui demeure invariant qu'elle se borne à la lecture des résultats de coûteuses analyses ou qu'elle comporte un examen approfondi du patient, – une consultation, restera d'un prix très inférieur à celui des pays voisins. La facturation moyenne est en effet estimée dans l'Union européenne au-dessus de 47 €, 75 euros en Allemagne et plus de 90 euros en Angleterre.
Le Royaume-Uni a d'ailleurs pour caractéristique d'être affublé d'un système de soins, le NHS, particulièrement étatisé depuis la seconde guerre mondiale. Son "National Health Service" se révèle à la fois • ruineux pour les finances publiques, • désastreux pour les patients impécunieux qui y ont recours [les Britanniques aisés peuvent recourir à un secteur privé qu'ils paient très cher], • et pratiquement irréformable. L'un des arguments mensongers de la campagne de 2016 en faveur du Brexit consistait à promettre aux électeurs qu'en sortant de l'UE le pays pourrait investir dans le NHS. Il n'en a jusqu'ici rien été.
Pendant les 20 premières années de son fonctionnement, jusqu’à sa première réforme de 1967, l'assurance maladie monopoliste française assurait l'équivalent du financement public à un système mixte largement privé et finalement performant. Depuis, une réforme, constitutionnelle celle-là, a été votée en 1996, sous la présidence de Chirac. Elle a été soutenue par une quasi-unanimité de la classe politique, à laquelle ne se sont guère soustraits que les amis d'Alain Madelin, lequel était depuis l'été précédent démissionnaire du ministère des Finances, le programme énoncé en novembre 1995 par Juppé a conduit à une étatisation aggravée par le biais des lois de financement de la sécurité sociale, un budget plus lourd encore que celui de l'État central parisien.
La conséquence inévitable de cette équation tend à une pénurie sanitaire, les technocrates de Bercy ne voyant d'autre économie possible que dans l'organisation de la pénurie sanitaire : moins de médecins, plus chichement payés, cela engendre, pensent-ils, moins de dépenses de santé. Hélas, entre le vieillissement de la population et la fonctionnarisation hospitalière, les besoins se trouvent de moins en moins satisfaits. Les urgences prennent la place de la médecine de ville, et la saturation les submerge.
Nous sommes entrés dans l'âge de la pénurie sanitaire. Elle frappe tous les secteurs, l'hôpital comme la médecine de ville, la chirurgie comme la pharmacie. Et le gouvernement ne sait répondre à cette situation que par le rationnement – erreur économique bien connue qu'il pratique dans tous les domaines, notamment dans la crise énergétique.
Bref, la France du XXIe siècle se dessine, année après année : sur un modèle apparenté à celui du Venezuela.
Merci M. Juppé aujourd'hui confortablement installé dans ses fonctions de "Sage", puisqu'on appelle ainsi les membres du conseil constitutionnel.
Merci M. Macron, réélu en 2022 président de la République, et tutti quanti.
JG Malliarakis