La chaîne Arte diffuse une série de documentaires réalisés par des cinéastes issus de seize pays d’Afrique, sur le thème de la migration. La bande-annonce de Génération Africa – Récits pluriels sur la jeunesse d’un continent présente La migration africaine vue par les Africains.
L’un de ces récits - Sénégal : retour au bled - traite du départ volontaire de jeunes Français d’origine sénégalaise pour s’installer dans « leur pays d’origine ». Parmi « vingt-cinq visions différentes pour changer le récit sur la migration », cet épisode entretient une confusion courante entre des réalités différentes. Il soulève des questions pressantes sur le rôle et l’intérêt de la France dans ces mouvements migratoires.
La confusion des mots entraînant celle du sens, les termes « diaspora », « retour », « migration », « remigration » et « repatriation » sont utilisés sans être clairement définis. Au risque d’amalgamer des situations de natures totalement distinctes, de brouiller la compréhension des flux migratoires et d’en gêner la maîtrise.
L’expression exotique « retour au bled » prête à sourire, tant on imagine mal les jeunes adultes concernés, visiblement issus de la classe moyenne urbaine française, « tenter leur chance au bled » ailleurs que dans les quartiers confortables de la capitale, Dakar, pour réaliser leur rêve entrepreneurial. Cette catégorie représente une infime minorité numérique de la diaspora africaine. Privilégiée et engagée, elle s’exprime bruyamment dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les colloques pour se plaindre et revendiquer des faveurs au nom d’une prétendue dette coloniale. Dans l’esprit du « Sommet Afrique France » du 8 octobre 2021, spectacle affligeant d’incantations politiques et de contre-vérités historiques, de jérémiades idéologiques et de logorrhées rhétoriques pour promouvoir « un nouveau narratif ».
La série d’Arte évoque « une myriade de récits à la portée universelle sur le thème de la migration, traversés par les aspirations et les rêves de la jeunesse du continent ». Or, les Africains nés en France depuis les indépendances des années 1960, qui y ont étudié et grandi et sont venus s’installer ces dix dernières années dans les pays de leurs ancêtres pour profiter de conditions plus favorables, prennent vite la mesure des difficultés qui les attendent. L’un reconnaît que « quand je suis arrivé, je ne connaissais pas les codes ». En réalité, ces jeunes bénéficiaires d’un environnement socio-éducatif et sanitaire de qualité, et de solides formations en France, se heurtent vite aux profondes différences culturelles et sont discriminés comme « Blancs » pour leur façon de penser et de se comporter. « L’installation comporte son lot de galères, confrontés aux difficultés des locaux […] c’est vrai qu’on a quitté un confort qui est la France, mais c’est pas pour rien », dit une femme entrepreneur. C’est ainsi qu’on voit aussi retourner en France une partie des repatriés, déçus et découragés.
Dans ces conditions, pourquoi proclamer « revenir au pays » qu’ils n’ont jamais connu, prétendre « développer son propre pays » où ils n’ont jamais vécu, critiquer et renier ainsi la France, qui leur a tant apporté ? Dans leur projet de repatriation, quelle est leur patrie qu’ils sont appelés à défendre au besoin ? L’aspiration légitime à s’installer dans un pays étranger, comme pour tout expatrié français, n’implique pas de renier son identité ni sa culture, dont nous sommes tous les ambassadeurs redevables. Leur appel « Osez aller beaucoup plus loin que les limites qu’on veut nous fixer en Europe » se heurte au principe de réalité. De nos jours, la vie sociale et professionnelle en France n’est facile pour personne, Français de souche ou d’adoption ; ce n’est pas une raison pour la trahir. Le solde pour la France de cette migration de diplômés est d’ailleurs négatif.
Ainsi, le conte de fées de la « migration heureuse » ne repose pas sur des faits. Si l’intention d’Arte était de faire croire au début d’une inversion salutaire des flux immigratoires en France, c’est raté. Par ailleurs, on apprécierait aussi que, par exception, une chaîne française réalise une série sur « La migration africaine vue par les Français non africains. » On peut toujours rêver...