Leurs voix résonnent sous un ciel de plomb glacial. Ils hurlent, interpellent la délégation et racontent leur histoire. Un jeune d’une trentaine d’années sort de prison. Il demande pourquoi il attend si longtemps dans ce centre de rétention administrative (CRA) alors qu’il n’a qu’une envie : retourner dans son pays, l’Algérie. Un autre, plus âgé, explique que ses enfants sont français et qu’il veut rester en France : la Justice en a décidé autrement. Un autre, encore, raconte qu’il a perdu ses papiers, alors on l’a enfermé ici. De l’autre côté d’un grillage de plusieurs mètres de haut, un autre centre de rétention : d’autres hommes interpellent et crient. Eux aussi voudraient raconter leur histoire. Ils s’ennuient, ils attendent sans fin. Ils disent que c’est « la merde ici ».
Ce 18 janvier, Bénédicte Auzanot, députée RN de la deuxième circonscription de Vaucluse et conseillère régionale, effectue une visite parlementaire des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot, à 43 kilomètres au nord de Paris, près de l’aéroport de Roissy. Membre du groupe de travail immigration à l’Assemblée, membre de la commission des affaires sociales, de la commission enquête prisons, elle travaille notamment sur le dysfonctionnement du système carcéral suite à l’assassinat, en prison, du Corse Yvan Colonna. Avec d'autres élus, Bénédicte Auzanot a aussi récemment visité la prison de Fresnes. Au Mesnil-Amelot, elle est accompagnée de quelques journalistes. Plongée exceptionnelle dans un univers méconnu du grand public où la France solde les conséquences d'une politique d'immigration folle. La délégation, guidée par le gendarme qui dirige le centre, évolue entre les barraques basses au confort sommaire et les cours goudronnées entourées de grillages. Pas de cellules ni de verrous : ces CRA ne sont pas des prisons.
La France place ici en rétention une partie des hommes tout juste sortis de prison – c’est le cas, ici, pour trois hommes sur quatre -, des OQTF (obligations de quitter le territoire français), des étrangers que la Justice éloigne de gré ou de force du territoire national, mais aussi des femmes et des familles. Tous attendent, aux frais du contribuable, que ce départ soit possible.
Ces endroits sont peu connus des Français mais ils tiennent une place cruciale dans la lutte contre l’immigration illégale en France. La France gère et entretient 26 de ces CRA éparpillés sur le territoire national à Lyon, Oissel, Marseille, Metz-Queuleu, Cornebarrieu, Nîmes, Saint-Jacques-de-la-Lande, Perpignan ou Hendaye. Un effort considérable qui alourdit encore le poids financier de l’immigration. Chaque « retenu » coûte précisément à la France la somme de 649 euros par jour, soit quelque 20.000 euros par mois… À titre de comparaison, l’allocation mensuelle du minimum vieillesse atteint actuellement 961 euros. Selon l'association La Cimade, 14 704 personnes ont été retenues en France métropolitaine en 2021...
Les deux CRA du Mesnil-Amelot, disposés côte à côte, gèrent chacun 120 étrangers en attente d’éloignement. Un troisième centre géré dans le même ensemble accueille, lui, 40 immigrés à Palaiseau. Pour faire fonctionner ces structures rendues indispensables par la loi française et internationale, l’ampleur de l’immigration et la dangerosité de certains étrangers, pas moins de 140 policiers sont mobilisés. Autant d’effectifs qui ne protégeront pas les Français de la rue.
La tâche de ces forces de l'ordre est ardue. Régulièrement, des tensions éclatent entre communautés, entre Marocains et Algériens notamment, explique le patron du CRA. Les fonctionnaires interviennent alors pour les séparer. Mais les policiers travaillent… sans arme. Car la crainte est grande que les « retenus » (à différencier des « détenus » qui sont, eux, en prison) ne se saisissent des armes pour s'échapper ou faire un massacre. Ce qui fait tiquer la députée RN. « Ces gardiens sans armes, ce n’est pas rassurant pour les riverains, estime-t-elle. Les conditions de travail des gardiens ne sont pas faciles, ils risquent en permanence une agression. » Les habitants des CRA ne sont pas des tendres. Douce France…
On retrouve peu ou prou, parmi les pensionnaires du Mesnil-Amelot, la répartition des nationalités qui emplissent nos prisons. À eux seuls, les trois pays d’Afrique du Nord fournissent six retenus sur dix. En tête, l’Algérie se distingue, avec 33 % des retenus, devant le Maroc (14 %) et la Tunisie (9 %). La Roumanie et l’Afrique noire complètent le tableau de ces étrangers en attente d’expulsion.
Ils vivent dans des bâtiments bien chauffés, au confort sommaire mais où rien ne manque. On note quelques particularités comme ces bancs boulonnés dans la salle de télévision. Une disposition prise pour éviter qu’ils ne soient arrachés et cassés… L’an dernier, les charmants ressortissants de nos pays « amis » retenus au Mesnil-Amelot ont tout de même cassé plus de... 40 téléviseurs ! Régulièrement, la tension monte : bagarres communautaires, révoltes. Les retenus montent alors sur les toits. Les fonctionnaires ont l’ordre de ne pas les y suivre pour les faire descendre : trop dangereux.
Autre difficulté, l'identification du pays d'origine. Parmi ces charmants visiteurs, certains se sont parfois présentés sous une vingtaine d’identités. Il faut démêler le vrai du faux, faire des tests de langue. D'autres s’échappent ou se mutilent. On ne compte plus les dégradations et les policiers violentés. Les plus pénibles des retenus font l'objet de poursuites judiciaires.
Les gardiens doivent aussi compter avec les associations. La Cimade et l’OFII, notamment, s’ingénient à empêcher toute expulsion. Généreusement subventionnée par l’État, la Cimade dispose même de permanents stipendiés et de petits bureaux au sein de chaque CRA, dans un couloir passant. Le but de ces jeunes femmes, pour la plupart salariées, présentes sur place ? Faire libérer ces retenus ou empêcher leur expulsion vers leur pays d’origine par tous les moyens légaux. Sur la vitre de leur bureau, une affiche indique clairement : « Venez nous voir dès votre arrivée, c’est urgent. »
Elles font feu de tout bois : droit, santé ou… délais. Car la durée de rétention ne peut dépasser les 90 jours maximum, sauf cas de terrorisme. Après ce délai, les retenus sont relâchés : ils seront simplement assignés à résidence en France. Bénédicte Auzanot va réfléchir à ce dispositif. « La Cimade est là pour permettre la remise en liberté de gens qui sont présents de manière illégale sur le sol français. Je trouve cela choquant. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’il faut opposer les droits de l’homme à l’intérêt de la nation. C’est aberrant. »
Lobbying de ces associations, évolution de la loi : de dix jours de retenue en moyenne, la France est passée à trente jours. Résultat, les « retenus » ont le temps d’observer les habitudes de leurs gardiens, de se confectionner des armes artisanales, de s’adonner au racket ou aux vols. « Ces lieux de rétention sont conçus à l’origine pour des séjours de courte durée, regrette Bénédicte Auzanot. L’allongement des délais favorise l’obstruction et complique la tâche. Il faut améliorer ce système. »
Après ce parcours du combattant, la France parvient à éloigner 30 % des effectifs retenus dans ses CRA. On est bien loin des chiffres de l’Espagne et du Portugal qui peuvent effectuer des retours groupés et emplir des avions en direction des pays d’origine. Interdit en France. Ce point aussi inquiète la députée : « Ces individus sont beaucoup trop souvent relâchés dans la nature, dit-elle. C’est préoccupant. Il faut contraindre les pays d’origine à les reprendre et réduire drastiquement le nombre des jours de détention. »
C'est tout un système, abandonné par la droite et abîmé par la gauche, qui marche désormais cul par-dessus tête. Les Français honnêtes payent ces dysfonctionnements de leurs revenus et parfois de leur vie.
Marc Baudriller