Un livre, Mea Culpa (Plon) et des chroniques désopilantes. Gaspard Proust est en train d’imposer sa patte dans la galaxie Bolloré.
L’an dernier, les proustiens célébraient les cent ans de la mort du grand Marcel. Cette année, c’est un autre Proust, Gaspard de son prénom, qui est à l’honneur. Le Figaro Magazine l’a récemment placardé en une, le JDD lui offre chaque dimanche ses colonnes et Europe 1 son antenne trois fois par semaine pour contrebalancer le lugubre appel à la prière du rire lancé tous les matins par le muezzin de France Inter.
Rendons grâce à Vincent Bolloré de l’avoir débauché. Bolloré, c’est l’accélérateur de particules qui manquait au combat culturel. Il a déjà donné le coup de pied de l’âne à l’« esprit Canal ». Reste à détrôner les z’humoristes de la Maison de la Radio. Son arme de dérision massive, c’est Gaspard Proust, qui est en train de ringardiser Charline Vanhoenacker, le Manneken-Pis bruxellois en phase de transition de genre sur les bords de Seine.
S’il y a quelque chose de pourri dans le royaume du rire, Charline Vanhoenacker en administre la preuve : le rire ne fait plus rire. Elle qui est aussi drôle que Sardine Ruisseau. Charline et Sardine, les deux vessies du féminisme qui se prennent pour les lanternes du progressisme. Ainsi la subvention est-elle venue à bout de la subversion. Tel est le fonds de commerce de France Inter, la radio publique ayant le monopole légal de l’humour légitime. Rien d’étonnant si, dans ce paysage dominé par le conformisme, Gaspard Proust détonne et cartonne.
Chiots d’agrément et chiens de garde
Jusque-là, le Slovène le plus célèbre était… une Slovène : la magnifique Melania Trump. Il faudra, désormais, compter avec Gaspard, qui a francisé son nom dans un louable souci zemmourien d’intégration républicaine : Gašper Pust selon l’état civil slovène, un patronyme exotique qui semble tout droit sorti d’un album de Tintin, la Syldavie champêtre du Sceptre d’Ottokar ou la Bordurie sinistre de L’Affaire Tournesol, le pays du maréchal Plekszy-Gladz. Gaspard Proust a vu le jour dans celui du maréchal Tito, alors satrape à vie d’une Yougoslavie qui ignorait qu’elle allait bientôt mourir, au sein de la micro-république socialiste de Slovénie, autant dire nulle part sur une carte des Balkans, dans l’un de ces pays qui n’a jamais été sûr d’exister, dixit Milan Kundera, le plus français des écrivains tchèques.
Si Gaspard Proust est aussi allergique au gauchisme, c’est peut-être parce qu’il a été embrigadé, jeune, dans les Pionniers communistes, le mouvement scout du bolchevisme, avec le foulard rouge - pas celui que Carla Bruni a offert à Christophe Barbier, mais celui de feu la révolution d’Octobre. Moralité biblique : les pionniers seront les derniers – variante évangélique que les marxistes-léninistes n’avaient pas envisagée, eux qui ont trouvé asile sur les ondes de France Inter, donnant naissance à un rameau tardif de l’Internationale communiste : le bobolchevisme, contraction du bobo bien-pensant et du bolchevisme de salon, dont les z’humoristes de la Maison de la Radio sont les porte-étendard attitrés.
Avez-vous remarqué combien, de nos jours, les humoristes ont une fonction canine d’approbation tapageuse et de désapprobation pavlovienne ? Il y a les chiots d’agrément et les chiens de garde. Les chiots d’agrément constituent le bruit de fond de la société du spectacle, stade festif et fluorescent du nihilisme. Avec eux, le message est devenu massage. Marshall McLuhan, l’auteur de La Galaxie Gutenberg, n’y retrouverait pas ses petits. Les chiots d’agrément participent au bien-être et à la relaxation zygomatique d’une population anesthésiée, pendant que les chiens de garde, cerbères vigilants, veillent à ce qu’elle ne se réveille pas.
Un misanthrope en blazer-jeans
Tout le contraire de Gaspard Proust. Il a beau récuser les étiquettes, difficile de ne pas lui coller celle d’anar de droite. Avec Sylvain Tesson et Jean Dujardin, il incarne un certain dandysme chic et réac, affectant un détachement cynique et un dilettantisme esthète de bon aloi. C’est sa manière d’être élégant, moralement parlant. « Je n’ai pas d’autre ambition, confie-t-il, que de critiquer le pouvoir et l’autorité morale qui lui est attachée : or, l’autorité morale, en France, c’est la gauche. »
Il plaît d’autant plus qu’il ne cherche pas à plaire, balançant des vannes meurtrières d’un ton détaché et sarcastique, comme des missiles de croisière russes, sourire en coin, sur le mode dédaigneux du type qui se contrefiche du risque d’emballement nucléaire. Les salves d’un Slave qui s’est parfaitement acclimaté à nos latitudes. Alceste désinvolte en blazer-jeans, avec les cheveux en pétard et le pétard qui tire sur tout ce qui bouge encore à gauche. « Je suis un punk en habits bourgeois », dit-il de lui. À rebours de sa cible favorite : les bourgeois-bohèmes qui ne sont jamais que des néo-bourgeois habillés en punks. Or, le Slovène n’est géographiquement pas bohème. Libre à lui d’égrener des horreurs sur le ton neutre d’un médecin légiste enregistrant au dictaphone les lésions sur le corps polytraumatisé d’un grand accidenté de la route – la gauche.
Après Canal, l’esprit France Inter se meurt
On a quelque scrupule à le classer dans la catégorie des humoristes. De toute évidence, il relève plus du monde des funambules à la Alphonse Allais. Pince-sans-rire, c’est le plus littéraire de la bande. Il a, d’ailleurs, tiré un livre de ses chroniques, Mea culpa, paru chez Plon. Elles passent haut la main l’épreuve de l’écrit. À côté de lui, la plupart des amuseurs ressemblent à des lourdauds qui font des bruits de casserole avec un sifflet péteur.
Les z’humoristes de France Inter se prennent pour des moralistes. Ainsi va la gauche. Elle n’imagine pas qu’on puisse avoir de l’esprit en dehors d’elle, elle qui ne conçoit la droite qu’à titre de repoussoir, comme un lieu de bannissement de l’intelligence peuplé d’analphabètes un peu frustes et de rustres un peu brutes. Le dogme de l’infaillibilité, c’est elle, désormais.
La radio d’État a pris la suite de l’« esprit Canal ». La condescendance en plus. C’est le rire des enfants gâtés de la société de consommation dont Canal+ aura été le laboratoire et la matrice. En est sorti Bobo sapiens, produit de la Sainte-Alliance libérale-libertaire, Woodstock dans les bras de Wall Street, les soixante-huitards reconvertis en soixante-pubards. Ou comment passer de la paléobourgeoisie à la néobourgeoisie, des pères aux fils, de la droite à la gauche, des boursiers aux héritiers, des producteurs aux consommateurs. Si ce monde finit par mourir, Bolloré et Proust, le philanthrope et le misanthrope, n’y auront pas été pour rien.
François Bousquet