L’irresponsabilité illimitée est ce qui caractérise l’Etat, prétendument protecteur. Gagné lui-même par l’infantilisation de sa politique, sa perte du sens commun semble sans limite. Les inconséquences qu’il donne à voir contribuent à consolider une société de défiance, abandonnée d’un système qui ne fonctionne plus et a renoncé à se réformer. Deux exemples : laisser des fous furieux en liberté ou renoncer à faire appliquer des Obligations de quitter le territoire (OQTF) sont des démissions rendues possibles par la frivolité de dirigeants carriéristes.
Ces légèretés criminelles ont causé mardi, au CHU de Reims, la mort d’une infirmière, Carène Mezino, poignardée à plusieurs reprises par un dément laissé en liberté. La petite Lola, assassinée le 14 octobre 2022 à Paris, serait en vie si sa meurtrière, soumise à une OQTF non appliquée, avait été renvoyée en Algérie. Quand Emmanuel Macron tweete fièrement, mardi : « Engagement tenu », en se félicitant que les lignes aériennes soient désormais interdites « en cas d’alternative de moins de 2h30 en train », il illustre son indifférence face aux urgences. La promesse à tenir devrait être celle qu’il avait faite en 2019 d’appliquer « cent pour cent des OQTF ». Au lieu de quoi son ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, interrogé dimanche soir dans un documentaire de France 5 sur l’affaire Lola qui restera dans les annales de la malhonnêteté intellectuelle, a déclaré, satisfait de sa réponse : « Il y a des OQTF que personne ne peut exécuter, je suis désolé ». Comment respecter d’aussi piètres « responsables » ?
L’assassinat de cette infirmière (une secrétaire médicale a également été grièvement blessée) est d’autant plus révoltant que son meurtrier, Franck F., suivi médicalement, était déjà passé à l’acte d’une manière semblable en 2017, en attaquant au couteau et en blessant quatre personnes dans une enceinte médicale. Jugé pénalement irresponsable, il avait bénéficié d’une ordonnance de non lieu en 2022. Depuis, aucune contrainte judiciaire ne pesait sur cet homme, laissé en liberté comme une bombe ambulante. Ce n’est pas la première fois que sont posés l’état de délabrement de la psychiatrie en France et la réticence idéologique à recourir à l’enfermement. Lundi, quelques heures après le meurtre de l’infirmière, le ministre de la Santé, François Braun, s’était arrêté sur le renforcement des mesures de sécurité, en annonçant réunir avant la fin de la semaine un comité pour «voir ce que l’on peut faire pour garantir encore plus de sécurité pour les soignants». Mais la question préalable est celle-ci : comment mettre la société à l’abri de ces individus laissés à eux-mêmes ? Dans Libération de ce mercredi, le psychiatre et expert judiciaire Daniel Zagury estime que l’attaque de Reims soulève plusieurs interrogations : « Celles de l’état de la psychiatrie, de l’irresponsabilité pénale. Mais aussi de la lenteur de la justice.» A propos du suspect, il poursuit : «Est-ce qu’il avait été pris en charge ? Pourquoi n’a-t-il pas été hospitalisé plus durablement après son premier passage à l’acte ? Pourquoi est-ce qu’on était dans un sas intermédiaire entre le passage devant la chambre de l’instruction ? ». Reste cette autre question : pourquoi l’Etat n’aurait-il pas, lui, à répondre pénalement de son irresponsabilité illimitée?
Ivan Rioufol
Texte daté du 24 mai 2023 et repris du blog d’Ivan Rioufol
https://fr.novopress.info/231153/letat-gagne-par-lirresponsabilite-illimitee-par-ivan-rioufol/