Mathieu Bock-Côté
En invitant Médine à leur université d’été, fin août, le parti Europe Écologie- Les Verts a envoyé le signal qu’il s’inscrivait pleinement dans la mouvance qu’on assimile généralement à l’« islamo- gauchisme ». On notera, même si on en parle moins dans les médias, que LFI a fait de même. Le rappeur est connu pour son hostilité à la laïcité, mais plus encore, pour son communautarisme militant, qui se veut la voix des cités et des banlieues issues de l’immigration. Nul besoin de refaire ici la liste de ses déclarations les plus choquantes, comme si on ne les connaissait pas déjà, même s’il vaut la peine de rappeler que Médine s’est rallié au geste de la quenelle, bien après que le brouillard supposé autour de sa signification se soit dissipé.
Médine est un symbole de l’hostilité à tout ce qu’on assimile à l’identité française ainsi qu’à la civilisation occidentale, et c’est justement pour cela qu’il est invité chez les Verts. Bien au- delà de son pseudo-écologisme, EELV a fait de l’idéologie diversitaire son noyau doctrinal. EELV impose son agenda à coups de provocations calculées qui permettent de façonner l’agenda public, au-delà de la première réaction scandalisée qui les accompagne. Car, une fois le scandale médiatique passé, un thème s’est installé dans la vie publique, et tous sont condamnés à en débattre. Les marges prennent en otage la vie démocratique. Sandrine Rousseau est la grande spécialiste de cette forme d’agit-prop adaptée à la société médiatique.
Plus encore, les Verts veulent faire passer Médine pour un martyr et la victime d’une campagne diffamatoire portée par « la droite et l’extrême droite », pour reprendre l’expression rituelle de la démonologie progressiste. La critique envers Médine serait le symptôme d’une poussée xénophobe et islamophobe, à la fois dans les profondeurs du pays et chez ceux qui ne se veulent pas de gauche. On pourrait même croire qu’il est invité dans l’espoir de provoquer des « dérapages » sur les réseaux sociaux, qui permettront ensuite de regonfler médiatiquement le fantasme d’une France au fond d’elle- même pourrie, au fond d’elle-même moisie. Le commun des mortels n’en aurait pas contre les propos de Médine, mais contre son origine.
Et pourtant il arrive que la polémique échappe à son créateur. EELV a dû justifier des propos et déclarations accumulées au fil des ans par son prestigieux invité. Obligée de justifier son invitation, Marine Tondelier a ainsi revendiqué le droit pour un homme d’évoluer, de s’amender, de ne pas être enfermé dans son passé. On voudrait bien la croire, mais dans quelle mesure est-elle prête alors à faire preuve de la même compréhension lorsqu’il est question d’autres acteurs politiques, qui réclament aussi le droit de ne pas être éternellement définis par une déclaration venant de leur jeune vingtaine ?
Marine Tondelier n’a toutefois pas bronché lorsque Médine s’en est pris à Rachel Khan dans un tweet faisant explicitement référence à la Shoah, en se moquant de la mémoire des rescapés, en la qualifiant de « resKHANpée ». Médine a beau s’être excusé ensuite, il n’aura convaincu que ses fidèles. Les grands médias ont pourtant fait semblant de prendre ses excuses au sérieux : c’est l’avantage d’être jugé par un tribunal de gauche quand on est de gauche. On l’a vu avec le traitement réservé par France info à l’histoire, qui a d’abord entouré de guillemets le terme « antisémite » pour qualifier les propos de Médine. Les rédactions font rarement preuve d’indulgence lorsque vient le temps d’assigner les étiquettes les plus dures à l’endroit des partis et mouvements associés à la « droite », dans des situations bien moins claires. La prudence n’était peut-être ici que le masque d’une complaisance connue.
Cette tolérance à la dernière provocation de Médine rappelle à ceux qui en douteraient que la gauche ne se mobilise contre l’antisémitisme que lorsqu’il s’inscrit dans une croisade plus large contre l’« extrême droite ». Lorsqu’il émane de ses rangs, ou de ses compagnons de route, elle regarde ailleurs, d’autant que l’antisémitisme est loin d’être absent dans les quartiers qui représentent son nouveau socle électoral. Il en est de même lorsque la gauche détourne le regard de la vision particulièrement rétrograde de l’homosexualité qu’on y trouve. Le parcours de Médine n’empêchera pas non plus ses défenseurs à gauche de se dire féministes, même s’il n’a jamais hésité à fricoter avec les islamistes qui veulent voiler et bâcher les femmes. L’intersectionnalité a ses raisons que la raison ne connaît pas.
On l’aura compris, la gauche nupesienne ne voit aucune raison de s’éloigner de Médine, car il représente selon elle l’avenir de la France. Il se présente comme un conquérant, et les conquis qui composent ses rangs veulent se soumettre. On peut croire avec elle qu’il représente l’avenir du pays, mais, contrairement à ses militants, nous n’y verrons aucune raison de nous en réjouir.
Source : Le Figaro 10/8/2023