Après cela, nous avons eu les premières élections – législatives, en 2013, Fratelli d’Italia obtient moins de 2 % et 9 députés sur 630 – et, pour nous, il était important d’éviter toute forme d’accord avec la gauche. Et tous les autres partis ont accepté, en 2021, de conclure un accord mutuel pour former un gouvernement – dirigé par Mario Draghi –, ce que nous avons refusé en étant les seuls opposés à tout rapprochement avec la gauche. Cela montre la cohérence de notre trajectoire, finalement récompensée par les électeurs. Et nous pouvons dire qu’en faisant cela, nous avons couvert un espace politique que la Ligue occupait à notre place. En effet, après les élections européennes de 2014 aux cours desquelles, avec 3,67 %, nous n’avions pas obtenu d’élu, n’ayant pas atteint le seuil électoral de 4 %, la Ligue avait couvert l’ensemble du champ politique de droite et nous avions raté cette occasion. Donc, il a été très difficile pour nous de reprendre pied dans cet espace politique, car il nous était fermé.
Et en suivant cette voie, nous avons été en mesure d’inclure dans notre projet de nombreuses personnes venant d’expériences politiques différentes, du spectre nationaliste, mais aussi du centre-droit – catholiques, libérales, … – et étant d’accord avec notre vision. Cela a constitué la raison du renforcement de notre parti dans les territoires. Nous n’avons jamais reculé, à aucun moment de ce processus très difficile. Je peux dire que huit de ces dix années ont été très difficiles. Nous avons progressé pourcent par pourcent, de deux à trois, de trois à quatre, de quatre à cinq, de cinq à six, … et nous sommes désormais le principal parti politique d’Italie.
Breizh-info : Avez-vous rencontré des problèmes pour trouver des cadres lors de la rapide croissance de votre parti ?
Carlo Fidanza : Non, car nous avons eu une bonne structure depuis le tout début. Nous ne pouvions pas compter, au départ, sur un large consensus en matière d’opinion de vote car, à cette époque, Silvio Berlusconi était très fort et le narratif, aussi au sein du centre-droit, était qu’un vote pour Fratelli d’Italia était un vote inutile. Nous avons souffert de ce processus au début. Et quand les gens ont réalisé, petit à petit, de scrutin en scrutin, que ce vote n’était plus inutile, ils ont voté de plus en plus pour nous : « Maintenant cela est utile, maintenant nous pouvons voter Meloni ! » et cela nous a permis d’atteindre finalement, au cours des deux à trois dernières années, de tels scores.
Breizh-info : Et maintenant, vous êtes forts dans le nord aussi.
Carlo Fidanza : Oui, car le gouvernement réunissant – en 2018-2019 – la Ligue et le Mouvement cinq étoiles (M5S) a créé une coupure entre le Ligue et le bloc productif historique du nord de l’Italie car le M5S est plus pour l’assistanat et pour les subsides …. Les entrepreneurs et indépendants du nord, qui font historiquement partie des électeurs de la Ligue, ont été déçus par ce choix de Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, approuvant des mesures scandaleuses à leurs yeux. Ils ont alors abandonné la Ligue et nous leur avons adressé le juste message soutenant leurs entreprises, leur travail productif et leurs affaires et ils nous ont, en retour, soutenus politiquement.
Breizh-info : Pensez-vous que Forza Italia survivra à la mort de son dirigeant Silvio Berlusconi ?
Carlo Fidanza : Oui, je le pense. Pour le moment, ils survivent bien. Ils sont tous unis autour de Monsieur Tajani, qui est, comme vous le savez, un des deux vice-Premiers ministres. Pour nous, il est important que Forza Italia puisse rester fort en vue des prochaines élections européennes car nous construisons un pont vers le Parti Populaire Européen (PPE) dont Forza Italia est membre. Antonio Tajani est un membre important du PPE. Il est crucial pour nous qu’il reste fort au sein du PPE et que ce parti soit, à l’issue des élections européennes, au-dessus du seuil électoral. Cela représente aussi un facteur de stabilité pour le gouvernement à Rome. Nous ne désirons pas profiter de cette situation car des membres de Forza Italia peuvent être tentés de vouloir poursuivre leur carrière chez nous, mais nous sommes en train de fermer maintenant les portes à ce type de passagers car pour nous la stabilité du gouvernement est, en ce moment, la chose la plus importante et la présence d’Italiens au sein du PPE à Bruxelles, au cours des prochaines années, est cruciale pour nous.
Breizh-info : Pensez-vous que Frères d’Italie sera dans le PPE ?
Carlo Fidanza : Non, non, non, pas du tout. Giorgia est la dirigeante de l’ECR (Parti des conservateurs et réformistes européens). Elle a été reconfirmée à ce poste, il y a quelques semaines par les votes à l’unanimité des partis membres, donc il n’y a pas de probabilité de faire le moindre pas vers le PPE. Ce que nous sommes en train de faire est de bâtir un pont avec le PPE car nous avons l’expérience victorieuse d’être arrivés à construire et à diriger un gouvernement de centre-droit en Italie et nous voulons reproduire cela au niveau européen en surmontant les difficultés que nous rencontrons au niveau national avec ces partis qui sont en compétition, voire ennemis, dans leur propre pays. Nous savons que cela n’est pas facile, mais nous n’ignorons pas qu’au cours des derniers mois les partis de centre-droit dispersés dans différents groupes au sein du Parlement européen ont voté ensemble, à de très nombreuses occasions, sur des dossiers et directives, surmontant les différents qu’ils ont entre eux au niveau national. Donc, nous ne devons pas confondre les différents niveaux politiques : les politiques suivies par les partis au sein des différents pays, celles des groupes au Parlement européen et ensuite les intérêts internationaux. Donc, les différents équilibres à ces niveaux supranationaux ne sont pas les mêmes que dans la perspective nationale.
Breizh-info : La Ligue restera-t-elle dans le groupe Identité et Démocratie (ID) ?
Carlo Fidanza : La Ligue est pour nous un partenaire gouvernemental. Nous sommes très proches. Nous entretenons de très bonnes relations avec elle. Notre position est de laisser la population voter le 9 juin 2024 et de voir ensuite. Car il résulte de ma désormais longue expérience au sein des institutions que personne ne peut déclarer à l’avance des alliances car des partis sont concurrents au niveau national. Par exemple, le groupe libéral Renew Europe – qui comprend le parti français Renaissance dont le président d’honneur est Emmanuel Macron – ne peut pas dire qu’il votera avec le Rassemblement National contre une directive verte. Personne ne peut, à l’avance, avouer cela. Mais cela peut avoir lieu. Et cela arrive. Et dans de nombreux pays. Donc, mon expérience me fait dire que, à l’issue des élections, nous verrons quel est le poids des votes au sein de différents groupes et à ce moment nous chercherons de nouveaux équilibres. Notre but est d’avoir un blog majeur composé de l’ECR et du PPE et, si nous n’avons pas de majorité, de regarder autour afin de trouver les forces d’appoint en vue d’obtenir une majorité. Si cela n’est pas possible, nous sommes prêts à revoir nos positions. D’une perspective italienne, notre pays sera ainsi plus fort à la table de négociation afin de soutenir le travail que Giorgia Meloni accomplit en tant que Premier ministre et qui est reconnu par l’ensemble des dirigeants européens. Elle a constitué une surprise pour beaucoup d’entre eux. Elle entretient de bonnes relations avec tout le monde. Si nous arrivons à augmenter de manière significative le nombre de membres de notre groupe au Parlement européen, nous serons l’élément de stabilité qui pourra agir afin de renforcer la présence de Giorgia Meloni en tant que dirigeant des conservateurs et en Italie.
Breizh-info : Des personnes disent que Giorgia Meloni n’a pas, en tant que Premier ministre, arrêté l’immigration. Elle essaye, mais les bateaux arrivent encore et toujours !
Carlo Fidanza : Nous pouvons dire que ce que Giorgia réalise est extraordinaire, car, jamais dans le passé, l’Union Européenne ne s’était penchée sur la dimension externe de l’immigration et tout le débat au sein de l’Union Européenne se déroulait autour de la question de la relocalisation à l’intérieur de l’Union Européenne des migrants. Donc, les migrants peuvent entrer, puis des discussions se déroulent afin de savoir au sein de quels pays ils vont se retrouver.
Maintenant, le problème est posé tout autrement. Il porte sur l’arrêt de l’immigration depuis les points de départ, depuis les premiers pays de la migration. C’est une approche nouvelle, un nouveau mode de coopération.
Bien sûr, cela est plus difficile, car il s’agit d’une approche stratégique que l’Union Européenne n’a jamais eue dans le passé. Cela prend plus de temps, mais à la fin, si cela fonctionne, ce sera la solution définitive à cette question. Nous aurons seulement les flux migratoires légaux décidés ensemble par les États-nations. Nous acceptons, par exemple, de nouveaux migrants légaux afin de répondre à la demande de nos entreprises car nous manquons, dans certains domaines, de travailleurs qualifiés et nous avons besoin de travailleurs étrangers dans ces domaines pour combler le vide. Et d’un autre côté, si grâce à des accords internationaux, nous pouvons obtenir des pays situés de l’autre côté de la mer Méditerranée qu’ils stoppent les départs, ce sera la solution à l’immigration illégale.
C’est notre but. Giorgia Meloni a convaincu à Rome, lors d’une conférence internationale, les dirigeants de gouvernement d’une série de pays, pas seulement la Tunisie, la Libye, l’Égypte, … mais également, au sens large du terme, la Méditerranée, incluant la Somalie, l’Érythrée, l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe, … car le gouvernement italien a pour but d’avoir une forte position en Méditerranée, étant un point de référence pour tous ces pays qui désormais peuvent parler avec l’Union Européenne et avec l’OTAN à travers lui.
Cela constitue un nouveau point de référence pour eux, qui ne se trouve plus dans une approche prédatrice comme autrefois de l’Occident envers l’Asie et l’Afrique, mais dans le cadre d’une coopération. C’est notre vision. C’est ce que Giorgia Meloni est en train de réaliser. Ce qui arrive, par exemple, en Tunisie, lorsqu’elle a décidé de promouvoir cette coopération avec le mémorandum entre l’Union Européenne et la Tunisie, est quelque chose d’extraordinaire et le fait que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et aussi le Premier ministre [sortant libéral de droite (PVV)] des Pays-Bas Mark Rutte, ont décidé de la suivre et ont signé cet accord, et qu’il sera soumis à l’accord final du Conseil européen, est quelque chose qui n’est jamais arrivé dans le passé… Donc maintenant, nous attendons qu’après la signature finale de cet accord, le gouvernement tunisien fasse le nécessaire en stoppant les départs de migrants vers l’Europe.
Breizh-info : Et le blocus naval ?
Carlo Fiança : Nous avons trouvé la solution avec les Tunisiens : nous leurs octroyons 15 à 17 nouveaux vaisseaux, afin de les ajouter à leurs propres navires, afin de gérer eux-mêmes leurs contrôles au sein de leurs propres eaux territoriales, avec le soutien de Frontex, avec des drones et, ensemble, nous stopperons les départs illégaux. Ainsi, nous n’aurons pas besoin d’engager des navires italiens ou européens pour arrêter l’immigration. Nous obtenons le même résultat en les laissant effectuer le travail au sein de leurs eaux territoriales.
Breizh-info : Quelle est la position de votre parti politique à propos des parties francophone et germanophone situées dans le nord de l’Italie ?
Carlo Fidanza : Nous avons un très bon exemple d’autonomie et de protection des droits des minorités dans ces régions dont vous parlez, pour les francophones du Val d’Aoste et les germanophones du Tyrol du Sud/Haut-Adige. Un bon équilibre y existe entre les communautés. Dans le cas du Tyrol du Sud/Haut-Adige, les germanophones y sont majoritaires maintenant et nous avons le problème inverse, celui de protéger les dénominations originales en italien des noms de lieux. Mais, en tout cas, l’équilibre est bon et les tensions sont quasi-inexistantes.
Breizh-info : Vous n’êtes pas contre les autonomies ?
Carlo Fidanza : Non, non. Cela se trouve inscrit dans la Constitution. Nous sommes en faveur de cela. Nous voulons garantir cet équilibre entre les communautés. Nous n’avons pas de problème avec la situation au Val d’Aoste et au Tyrol du Sud/Haut-Adige. Nous avons, au sein de la minorité germanophone, une petite partie des individus qui sont contre l’Italie. Mais je pense qu’ils sont isolés au sein de cette communauté. Donc, il n’y a pas de tension. Les germanophones sont représentés, comme d’habitude, au Parlement.
Breizh-info : Et à propos de la fiscalité, êtes-vous d’accord avec des différences entre le nord et le sud de l’Italie, car la Ligue désire plus d’autonomie dans ce domaine ?
Carlo Fidanza : C’est prévu dans la Constitution : si une région est en mesure d’assumer plus de responsabilités dans le but de gérer différentes fonctions publiques, elle peut demander au gouvernement central de lui permettre d’assumer cette fonction. Cela constitue la voie constitutionnelle et nous avons à la réaliser et à trouver une majorité en faveur de cette demande. Des textes de base sont en ce moment en discussion à ce propos au sein du Parlement, proposés principalement par la Ligue et la majorité, et nous sommes en train d’en discuter, mais cela constitue un point de notre programme électoral.
Donc le débat ne porte par sur le « si », mais sur le « comment », afin de réaliser ce point de notre programme, parce que, au niveau national, nous devons trouver le bon équilibre afin d’éviter que le fossé soit plus large après cette réforme, par exemple dans le domaine hospitalier. Nous pouvons dire que nous devons garder ensemble ces deux Italies et donner aux régions du nord les possibilités qu’elles demandent, sans perdre les régions du sud. Et nous devons investir de plus en plus dans les régions du sud afin de combler le fossé, de maintenir les gens dans le sud. Cela constitue un non-sens que chaque année des dizaines de milliers de personnes quittent le sud afin de se faire hospitaliser dans le nord. Cela n’est pas, ni économique, ni correct, ni juste en termes de droits des gens. Donc nous devons intégrer ces deux éléments.
Breizh-info : Le mouvement cinq étoiles (M5S) est-il un concurrent pour vous dans le sud, avez-vous des électeurs communs ?
Carlo Fidanza : La différence est très claire. Nous avons eu le courage, peut-être l’inconscience, lors de la campagne électorale de déclarer notre claire opposition à ce revenu de citoyenneté. Cela constituait la proposition la plus importante du M5S, qu’il a réalisée lorsqu’il était au pouvoir avec la Ligue. Pour cette raison, nous avons perdu certains votes dans le sud. Mais nous avons deux philosophies différentes. Ils sont pour plus de subsides et pour le maintien des gens dans la pauvreté avec des subventions venant de l’État. Nous désirons créer les conditions économiques pour un développement du sud. Nous voulons y faire naître une nouvelle classe de jeunes entrepreneurs, qui y investissent et créent des emplois permettant ainsi aux habitants de rester dans le sud, plutôt que de partir chercher fortune dans le nord, ou au Royaume-Uni. Donc, ce sont des perspectives différentes. Et maintenant, la différence est claire. Les gens du sud qui désirent avoir un gouvernement qui leur donne des subsides et autres allocations du genre peuvent choisir le M5S. S’ils veulent la croissance économique et la liberté, ils doivent voter pour nous. C’est clair. Il n’y a pas d’ambiguïté.
Propos recueillis par Lionel Baland
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