Archives de SYNERGIES EUROPÉENNES / TROISIÈME VOIE (Paris) / Mai 1985
Robert STEUCKERS : Discours prononcé à la Mutualité à Paris en mai 1985
Les années 80 sont marquées par l'agitation pacifiste en Allemagne Fédérale, aux Pays-Bas, en Angleterre, en Scandinavie et en Belgique. Lors de leur congrès de la Pentecôte, il y a 3 jours, les Verts ont réclamé une nouvelle fois le départ des troupes américaines et le retrait de la RFA de l'OTAN.
Parallèlement à cette version de “gauche”, à cette version contestatrice et iréniste de l'hostilité à l'OTAN et aux États-Unis, s'est développée, en Allemagne Fédérale, une véritable renaissance de l'historiographie nationale. La “nation” est réellement redevenue une valeur politique Outre-Rhin et un objet de discussions politiques incessantes.
De l'extrême-gauche à l'extrême-droite de l'échiquier politique parlementaire ou extra-parlementaire, des voix se sont élevées pour réclamer le non-alignement de l'Allemagne et la réunification. En France, de ce glissement de terrain idéologique, on n'enregistre pratiquement pas d'écho dans les médias. Et pour cause, ce phénomène souterrain, cette maturation sourde ne correspond à aucun des schémas dans lesquels les idéologies dominantes veulent enfermer l'Allemagne.
Aux Pays-Bas, mêmes défilés de masse, mêmes pétitions, même hostilité aux fusées étrangères. En Angleterre, l'américanolâtrie pathologique de Madame Thatcher — et en prononçant son nom, on a envie de cracher la même hargne que le chanteur anar Renaud — provoque le bradage de l'industrie militaire britannique au profit des États-Unis. En Belgique, le scénario est identique : le gouvernement conservateur rejette un projet national de blindé transporteur de troupes au profit de surplus obsolètes de l'US Army ! Alors que le chômage concerne 15% de la population active et qu'aucune amélioration de cette situation n'est prévue… De part et d'autre de la Mer du Nord, atlantiste rime de plus en plus avec “anti-national” et “anti-social”…
Jouer la carte américaine, c'est clair désormais, c'est faire un mauvais pari. C'est renoncer à l'indépendance comme en Allemagne ou aux Pays-Bas ; c'est renoncer à l'autonomie militaire comme en Grande-Bretagne ou en Belgique. Les Allemands sont ceux qui, en Europe, ont le plus réfléchi à la question. Quatre modèles d'organisation militaire alternatifs existent dans la réalité et non dans les rêves fumeux des pacifistes, pour qui la chose militaire doit être purement et simplement abrogée. Quatre modèles peuvent servir à amorcer une réflexion, une réflexion qui doit nous conduire à élaborer un système de défense européen efficace et indépendant.
Il y a le modèle suisse, le modèle yougoslave, le modèle suédois et le modèle autrichien. La Suisse — on s'en moque parfois — est pourtant le seul pays qui s'est donné un système militaire réellement démocratique, c'est-à-dire organique et populaire. Quand je parle de démocratie, je ne parle pas de partitocratie ni de truquages électoraux. La Yougoslavie a calqué son système militaire sur le mode de mobilisation des partisans enracinés dans leurs villages. La Suède a su créer sa propre industrie militaire et sa propre industrie informatique : SAAB pour les avions, Volvo et Scania pour le charroi, Chars “S”, missiles “Carl Gustav” et missiles air-sol, etc. L'Autriche nous a légué un théoricien hors ligne : le Général Spannocchi.
En Suisse, les citoyens disposent chez eux de leurs uniformes de combat et de leurs armes et munitions. Le reste, armes anti-chars, munitions supplémentaires, charroi, etc., est entreposé aux maisons municipales ou aux commissariats. Ce système permet une mobilisation immédiate de 600.000 hommes. La Suède s'est dotée d'une industrie militaire et aéronautique autonome, qui ne demande, au fond, qu'à devenir l'arsenal du non-alignement européen. Les officiers d'État-Major yougoslaves ont procédé à une étude systèmatique des guerres et guerillas de partisans pour construire une armée populaire nombreuse, immédiatement mobilisable comme en Suisse et prête à affronter n'importe quel envahisseur, d'où qu'il vienne.
L'Autriche, “protégée” par un “Traîté d'État” cosigné par les 4 puissances occupantes en 1955, ne s'est pas dotée d'une armée et d'une industrie militaire aussi puissantes que dans les autres pays neutres. Néanmoins, l'Autriche construit en autarcie ses armes légères, ses munitions et son charroi et privilégie ses achats militaires en Suisse, en Suède et en France, 3 pays qui n'appartiennent ni à l'OTAN ni au Pacte de Varsovie. Mais l'Autriche, rappelons-le, a donné à l'Europe un doctrinaire militaire remarquable, le Général Emil Spannocchi.
Entre les blocs existe donc un “cordon sanitaire” de pays qui adoptent, sur le plan militaire, des principes de “troisième voie”, c'est-à-dire une logique de la non-inféodation diplomatique. Bien sûr, la Suède, l'Autriche et la Suisse appartiennent toutes 3 à la sphère “capitaliste”, à la sphère dominée par la logique libérale. Mais les sociales-démocraties autrichiennes et suédoises assurent une large redistribution et, en Suède surtout, les gouvernements sociaux-démocrates, contrairement à bon nombre de leurs camarades bavards d'Europe Occidentale, ont pratiqué une politique d'investissements nationaux dans les domaines les plus divers : création d'une usine nationale de chaussures pour enrayer la concurrence venue du Tiers-Monde, création d'industries de pointe en informatique et en bio-technologie, maintien d'une relative autarcie alimentaire (en Autriche également), etc. La sociale-démocratie suédoise est bien souvent dénigrée par les néo-libéraux qui mettent en exergue sa lourde fiscalité mais prennent bien soin d'occulter le résultat : une indépendance nationale accrue.
Qu'il n'y ait pas d'équivoque : notre défense partielle et limitée de la sociale-démocratie suédoise n'implique nullement une valorisation quelconque des “sociales-démocraties” corrompues, inefficaces, oligarchiques, népotistes, partisanes, prébandières et, pire reproche, atlantistes de Grande-Bretagne, de Belgique, de France, d'Espagne et d'Italie.
Il y a donc un “cordon sanitaire” non-aligné au centre le l'Europe, du Cercle polaire à la frontière grecque, avec un énorme trou au milieu : le territoire de la RFA. Bons géographes, les observateurs politiques ouest-allemands revendiquent le remblaiement de cette trouée, c'est-à-dire l'élargissement du statut de l'Autriche à leur pays. Ainsi, le cordon serait soudé et les blocs ne seraient plus face à face. Le danger d'une conflagration, d'une apocalypse guerrière au centre du continent diminuerait. Pour ceux qui ont le souci de l'avenir de l'Europe, cette perspective est à envisager avec le maximum de sérieux.
Mais, halte aux utopistes, aux pacifistes peureux qui voudraient un neutralisme à la hippy, un neutralisme de la rose contre les baïonnettes, copié des manifestations de Washington contre la guerre du Vietnam. Halte à ceux qui voudrait, par niaiserie, faire de ce cordon un ventre mou, un espace démilitarisé. Cet espace doit obéir à la logique militaire helvétique, celle du “hérisson” aux piquants acérés, celle de l'oursin aux piquants vénéneux. Cet espace doit obéir aux principes de la logique de l'économie nationale et non aux chimères idéologiques du libéralisme, à une logique économique impliquant des investissements industriels innovateurs et rentables.
Une doctrine de dialogue inter-européen avait été élaborée au ministère belge des Affaires étrangères dans les années 60. C'était la “Doctrine Harmel”, brillant projet aujourd'hui abandonné au profit du suivisme atlantiste le plus servile, le plus lâche, le plus abject. La Doctrine Harmel, qu'est-ce que c'est que ça ? C'est une doctrine qui préconisait le dialogue entre partenaires subalternes de l'OTAN et partenaires subalternes du Pacte de Varsovie, de façon à diminuer sciemment le poids des super-gros au sein des 2 pactes et à créer, petit à petit, une “EUROPE TOTALE”.
À ce propos, on a parlé de “gaullisme élargi”. Cette doctrine européiste, courageuse, qui a fait enrager les Américains, le Général ouest-allemand Kiessling en est un chaleureux partisan. Vous vous souvenez, amis et camarades, du Général Günther Kiessling ? Non, sans doute. Eh bien, c'était ce Général allemand en poste au QG du SHAPE à Mons-Casteau, qui a volé dehors en 1984, sous prétexte d'homosexualité. Le scandale orchestré par les médias, focalisé sur le sensationnel de la “pénétration” du sous-off chauffeur par le Général 4 étoiles, a tout simplement occulté la raison politique de ce limogeage. La raison politique, c'était que le Big Brother américain ne voulait plus entendre parler de rapprochement inter-européen, de diplomatie indépendante, de “voie européenne”.
Notre projet est donc clair et précis : renouer avec la vision d'Harmel d'une EUROPE TOTALE, collaborer avec les neutres, retrouver l'indépendantisme gaulliste, rejeter l'éparpillement tous azimuts des capitaux que postule le libéralisme mondialiste, construire une défense autonome, bâtir une industrie de pointe sans capitaux américains.
Comment y parvenir ? Par étapes. La France est, depuis l'application des principes de Richelieu, une nation homogène, capable de vivre en semi-autarcie. Il n'en est pas de même pour le reste de l'Europe. Et la CEE, avec son cirque parlementaire strasbourgeois, ses interminables palabres qui visent l'harmonisation du pas-harmonisable, ne résoudra pas la question européenne et freinera au contraire l'avènement de l'EUROPE TOTALE. D'autres regroupements devront s'opérer : un ensemble scandinave, un ensemble britannique, un ensemble hispanique, un ensemble français, un ensemble balkanique et un ensemble centre-européen, couplant les zones industrielles de la Wallonie et de la Ruhr aux greniers à blé polonais. Dans chacun de ces ensembles, l'organisation des armées devra obéir aux principes militaires élaborés par Brossolet, Afheldt et Löser, c'est-à-dire la défense par maillages des territoires.
Postulat incontournable de cette réorganisation de l'Europe : la réunification allemande. En effet, nous ne voulons pas d'une Europe qui juxtapose faiblesses et forces. Une Europe avec une France et une Russie fortes et une Allemagne faible est impensable. Une Europe avec une Russie et une Allemagne fortes et une France faible est également impensable. N'est pensable qu'une Europe avec une France, une Allemagne et une Russie fortes. Pourquoi ? Parce que la stratégie des thalassocraties a toujours été de s'allier avec la puissance la plus faible contre la puissance la plus forte, de façon à éliminer cette dernière.
L'Angleterre a pratiqué cette stratégie contre Napoléon et contre Guillaume II. Roosevelt l'a pratiqué contre Hitler, en attendant que Staline soit suffisamment aux abois. Il ne faut donc pas laisser subsister de nations faibles en Europe, pour que celles-ci ne tombent pas sous la tutelle de la thalassocratie d'Outre-Atlantique. Et pour rassurer mon camarade Michael Walker ici présent, j'ajouterai qu'il faut, dans ce Concert de demain, une Grande-Bretagne forte, qui n'aura pas bradé ses industries militaires, grâce au zèle atlantiste de Madame Thatcher et de Lord Brittan.
Pilier central du continent, l'Allemagne réunifiée et incluse dans un “marché commun” semi-autarcique et auto-centré, cessera d'être un foyer de discorde entre Européens et perdra le rôle abominable qu'on veut lui faire jouer, celui de champ de bataille nucléaire potentiel. Une bataille entre les blocs qui se déroulerait au centre de notre continent aura pour résultat d'irradier à jamais le cœur de l'Europe et de stériliser irrémédiablement notre civilisation.
Devant ces projets de rendre l'Europe autonome, de dépasser l'occidentalisme de la CEE et d'envisager un dialogue avec les Est-européens, vous autres Français, vous vous posez certainement la grande question de Lénine : QUE FAIRE ? Eh oui, que faire ? Que faire, en effet, quand on se sent un peu étranger, un peu en dehors de ses spéculations suèdoises ou allemandes, autrichiennes ou polonaises, hongroises ou belges ? Quand, de cet immense débat, les médias ne transmettent que quelques bribes informelles, détachées de leur contexte, tronquées ou détournées de leur sens réel, avec une stupéfiante malhonnêteté ?
En entendant ce plaidoyer neutraliste centre-européen, balkanique ou scandinave, les Français demeureront sans doute sceptiques et estimeront être hors du coup. Pourtant, entre le désengagement de 1966, voulu par De Gaulle, et ce neutralisme des sociales-démocraties et des cercles conservateurs-nationaux, il y a une analogie évidente. Entre la vieille politique suédoise d'indépendance et d'autarcie et l'esprit de Richelieu et de Colbert, il y a une filiation historique certaine. L'Académie Royale suédoise est calquée sur l'Académie Française, héritage de l'alliance entre Richelieu et Gustav Adolf au XVIIe siècle. La tradition nationale française et la tradition nationale suédoise (qui a pris en ce siècle une coloration sociale-démocrate sans en altérer l'esprit colbertiste et la philosophie inspirée de Bodin), ces 2 traditions nationales dérivent de la clarté conceptuelle du XVIIe, le siècle que Maurras admirait car il n'était pas infecté des miasmes du moralisme.
Cet esprit national a permis aux 2 pays de se forger chacun un complexe militaro-industriel et celui de la France, à l'Ouest, est le deuxième en importance après celui des États-Unis. Et avec ces 2 complexes, le français et le suédois, notre Europe tient les instruments pour construire et affirmer sa “troisième voie”. Les avions Dassault et Saab, conjointement aux productions de Fokker aux Pays-Bas et de MBB en RFA, sont à même d'équiper les aviations européennes et les Airbus pourraient parfaitement remplacer les flottes de Boeings des compagnies aériennes européennes.
La force de frappe française est un élément d'indépendance que vous connaissez tous et sur lequel je ne reviendrai pas. La France, la RFA et la Suède ont conçu des blindés sur roues ou chenillés remarquables. Bref, aucune arme n'est négligé dans les forges européennes et toutes pourraient très aisément se passer du matériel américain, finalement moins fiable. On se souvient en RFA des fameux F-104 de Lockheed qui s'écrasaient allègrement à une cadence inégalée ; Merci Oncle Sam pour les pilotes “alliés” qui ont péri à cause de la piètre qualité technique de tes avions…
Mais pour qu'une collaboration européenne d'une telle ampleur s'effectue et se réalise, il faut sauter au-dessus du mirage occidentaliste. Car il s'avère INDISPENSABLE d'extirper de notre vocabulaire et de notre mental cette notion d'Occident. Hurlons-le une fois pour toutes : il n'y a pas d'Occident. Il y a une Europe et 2 Amériques. Dans le dernier numéro de la revue française de géopolitique, Hérodote, dirigée par Yves Lacoste, le philosophe Robert Fossaert écrit : « L'Occident ? On cherchait un continent ou deux et l'on ne trouve, au premier abord, qu'une manifestation banale d'incontinence idéologique, une évidence du discours social commun ». Hélas, devant les rudes réalités du devenir, des changements, des mutations, des nécessités, les “incontinences idéologiques” ne valent généralement pas tripette.
L'Occident n'est plus l'Europe et l'Europe n'a pas intérêt à rester l'Occident. La France doit de ce fait cesser de se percevoir comme “occidentale” et doit s'affirmer “européenne”. Le “front” n'est plus à l'Est ni au Nord ; il est à l'Ouest, il est sur le tracé de feu le Mur de l'Atlantique. Se défendre, pour la France européenne de demain, c'est donc se donner une Marine super-puissante, se donner l'instrument nécessaire pour se mesurer à la thalassocratie qui nous fait face. Se défendre contre la triple menace culturelle, économique et militaire qui nous vient de Disneyland, de la Silicon Valley et de la Force d'Intervention Rapide (RDF), c'est truffer l'océan de nos sous-marins nucléaires. Et dans ce déploiement, c'est la France qui a plus d'une longueur d'avance sur les autres Européens. Autant exploiter cet atout. L'Amiral de “gauche” Antoine Sanguinetti ne nous contredira pas.
Outre la flotte et les sous-marins, la France doit reprendre ses projets de construction d'aéroglisseurs militaires et de navires à effet de surface (NES). Les côtes aquitaines, charentaises, vendéennes, bretonnes et normandes de la forteresse Europe doivent être protégées par une “cavalerie marine” d'aéroglisseurs et de NES, bardés de missiles. Français et Britanniques avaient abandonné ces projets fascinants, la construction de ces armes du XXIe siècle. Et voilà que, depuis janvier dernier, les ingénieurs américains font un petit tour d'Europe pour vendre leurs productions…
La figure du combattant français de demain sera sans doute ce missiliste d'un NES, avatar moderne du fusilier-marin et de l'artilleur de la Royale. Autre vocation de la France : entretenir ses liens avec les peuples de son ancien Empire colonial. Il faut d'ailleurs que la France continue à monter la garde à Dakar et maintienne une présence dans l'Océan Indien, en symbiose avec la volonté de non-alignement qui se manifeste dans cette zone géographique. Non-alignement entretenu, impulsé par la Fédération Indienne.
Et Moscou, dans ce scénario ? L'URSS acceptera-t-elle la réunification allemande ? Veut-elle d'une Europe forte ? Est-elle complice avec les États-Unis, poursuit-elle le rêve duopolistique de Yalta ? La soviétologie occidentale reste indécise, fumeuse et incohérente, elle ne perce pas les mystères du Kremlin. Alain de Benoist et l'équipe rédactionnelle d'éléments soulignent à juste titre que les kremlinologues occidentaux sont parfaitement incapables de déduire la moindre conclusion valable de leurs observations. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas Washington qui doit nous dicter l'attitude à prendre à l'égard de Moscou. Si Washington nous enjoint d'être sage avec Papa Gorbat, nous aurions tendance à jouer les sales mômes et à clamer que Papa Gorbat, il nous pompe l'air. Si Washington tonitrue que Papa Gorbat est le Grand Méchant Loup, nous aurions tendance à dire qu'il n'est pas si méchant que cela, qu'il est sur la voie du gâtisme, qu'il a des problèmes de sous, que son économie bat de l'aile, etc.
Mais il y a 2 choses que nous voulons signifier à Papa Gorbat : qu'il rentabilise sa Sibérie et qu'il s'occupe de ses voisins chinois. Et surtout, qu'il n'a rien perdu chez nous et que nous n'avons nulle envie de rééditer les tentatives de Charles XII de Suède, de Napoléon et de Hitler. Il y a aussi une promesse d'un illustrissime prédécesseur de Gorbatchev, le camarade Staline, que nous aimerions remémorer à Moscou. La promesse de réunifier l'Allemagne dans la neutralité. Des milliers de camarades allemands s'en souviennent de cette promesse, qui aurait fait de Staline un vainqueur magnanime, un Européen à part entière. Tant qu'il ne sera pas répondu clairement à cette question, nous ne pourrons pas agir en anti-américains conséquents, nous ne pourrons pas construire notre économie auto-centrée, nous ne pourrons pas monter notre défense autonome et protéger la façade occidentale de la Russie, dernier Empire.
Nous serons toujours condamnés à armer nos divisions contre une éventuelle velléité belliqueuse de Moscou. La clef de l'Europe future, de la seule Europe future viable, de la seule Europe future qui perpétuera notre destin, se trouve, qu'on le veuille ou non, à Moscou. À Moscou et à Bonn, ajoute Harald Rüd-Denklau. À Moscou car c'est aux Soviétiques qu'il appartient de réitérer leur offre de 1952 et de 1955 et de rompre avec les momies para-post-staliniennes qui inondent encore quelques médias de leurs pitreries, au détriment de Moscou. À la poubelle de l'histoire donc, les mauvais propagandistes de la Russie, les pires amis du Kremlin. C'est aussi à Bonn que se trouve la clef de l'Europe du XXIe siècle, à Bonn que siègent ceux qui devront décider de poursuivre ou non l'alignement pro-occidental, pro-américain d'Adenauer. C'est à Bonn qu'il faudra décider si l'axe germano-américain, dénoncé ici à Paris par Charles Saint-Prot (comme il y a quelques années par le CERES de Chevènement), vaut la peine d'être maintenu.
Voici donc, chers amis et camarades, chers partisans de la “Troisième Voie”, quelques refléxions grandes-européennes. Utopie tout cela, rétorqueront les esprits chagrinés de libéralisme, les adorateurs de paragraphes, les branchés de l'américanolâtrie… C'était aussi utopie et belles paroles quand Fichte prononçait ses discours dans les caves de Berlin… Quoi qu'il en soit, demain, ce sera la nécessité, la nécessité la plus cruelle, la nécessité de la misère et du chomâge, la nécessité de la faim, qui nous imposera cette Europe que j'ai esquissée ici. Muß es sein ? Es muß sein. Cela doit-il advenir ? Cela adviendra.
Nous aurons alors l'honneur d'avoir toujours récusé les chimères, les abstractions, les irréalismes. Nous aurons l'honneur d'avoir été les pionniers. Nous aurons l'honneur d'avoir transgressé toutes les séductions. Nous aurons l'honneur d'avoir été d'inlassables combattants.