27 oct. 2023
Pour développer l’industrie des batteries électriques ou des éoliennes, l’Union européenne finance des entreprises minières au travers du programme Horizon.
Une partie de ces fonds profite à des sociétés impliquées dans des catastrophes environnementales, voire, pour l’une d’entre elles, domiciliée dans un paradis fiscal.
C’est une immense tâche blanche, un entrelacs de tuyaux et de cuves, au milieu d’un écrin vert-bleu, à l’embouchure du fleuve Amazone, au Brésil. Ici, l’usine de la société minière française Imerys a laissé un souvenir amer aux communautés autochtones. En 2007, plusieurs dizaines de familles ont été contraintes à l’exil lorsque le leader mondial de la production de minéraux industriels a déversé 200 000 m3 de déchets toxiques dans les rivières alentour. Cadmium, baryum et autres métaux lourds cancérigènes se sont déposés au fond des cours d’eau dans lesquels puisent les populations, aux confins de la plus grande forêt pluviale du monde.
De l’autre côté du globe, dans le désert de Gobi, en Mongolie, Orano, (ex-Areva), exploite des gisements d’uranium. Cette fois, le géant français du combustible nucléaire est suspecté d’avoir injecté dans le sol « d’énormes quantités d’acide sulfurique », contaminant les eaux souterraines au strontium — mortel à très haute dose — et à l’arsenic, selon une enquête judiciaire mongole. « Moutons, chèvres, chevaux qui naissent handicapés, eau souterraine polluée, femmes qui font des fausses couches… » : l’association locale Eviin huch eh nutgiin toloo, interrogée récemment par Reporterre, énumère les conséquences sanitaires potentiellement désastreuses de l’exploitation d’Orano.
Plus loin au sud, près de l’équateur, l’île d’Halmahera, en Indonésie, fait face aux effets dévastateurs de l’exploitation récente de nickel, à Weda Bay, en partie détenue par le groupe métallurgique et minier français, Eramet. Là aussi, les terres sont détruites, et les populations autochtones déplacées. Sa filiale calédonienne, la société Le Nickel, est à l’origine d’une importante pollution au fuel constatée en avril 2023. Environ 6 000 litres de combustible se seraient échappés d’une conduite percée.
La mine de nickel de Weda Bay, en Indonésie- DR
Ces trois sociétés françaises n’ont pas pour seul point commun d’être impliquées dans des scandales environnementaux : elles bénéficient des largesses du programme européen Horizon. D’après notre enquête, la société française Eramet a touché 1,9 million d’euros, entre 2019 et 2022. Quant à Orano et Imerys, elles ont reçu respectivement 2,3 millions d’euros et 312 637 euros du programme européen. Parmi les prérequis indispensables à l’obtention de ces subventions, figurait celui de « ne pas nuire à l’un des six objectifs environnementaux » présent au cœur du “green deal” européen, le pacte vert, en français. À commencer par la prévention contre les risques de pollution ou la protection des écosystèmes. Sollicitée, la Commission européenne se contente de déclarer qu’elle accorde « une attention approfondie » aux enjeux environnementaux.
Quinze sociétés impliquées dans des crimes environnementaux
Un exemple : l’entreprise minière suédoise Boliden. Elle a perçu près de 2,7 millions d’euros dans le cadre de huit appels à projets Horizon. La dernière fois, c’était en novembre 2019. Or, cette société spécialisée dans la production de zinc et de cuivre a un lourd passif en matière de dégradation des écosystèmes. En 1998, près de Séville, en Espagne, le barrage d’un bassin de décantation d’une mine de pyrite lui appartenant s’est rompu, déversant des eaux polluées sur plus de 40 km de terres agricoles. Dans les années 1980, Boliden a également été épinglé pour avoir exporté des milliers de tonnes de déchets miniers depuis la Suède vers Arica, au nord du Chili. Les boues toxiques d’arsenic liées au stockage sont pointées par des locaux pour être vraisemblablement à l’origine de cancers et maladies chez des milliers de résidents, lui valant d’être un cas d’étude dans un document du Parlement européen.
Défaillances en chaîneLes données analysées réservent d’autres surprises. Alors que l’Union européenne ne cesse de défendre la nécessité de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine et de la Russie, surtout depuis la pandémie et le conflit russo-ukrainien, le programme Horizon semble souffrir de quelques défaillances. Et pour cause, selon l’examen détaillé des entreprises bénéficiaires, il est arrivé à au moins trois reprises que les fonds versés par l’UE terminent soit sur le compte en banque d’un acteur étatique chinois, soit sur celui d’oligarques russes.
Dans le premier cas, il s’agit du dossier déposé par la Soil Machine Dynamics, une entreprise britannique leader dans le domaine de la robotique sous-marine. Celle-ci a reçu 3,53 millions d’euros du budget d’Horizon pour un projet baptisé Vamos. Il visait à développer une technique permettant d’extraire des minéraux à des profondeurs jusque-là inaccessibles. Le projet a démarré le 1er février 2015. Mais, cinq jours plus tard, le fonds d’investissement privé Inflexion a cédé l’entreprise à Zhuzhou CSR Times Electric, dont l’actionnaire majoritaire est l’État chinois. Le projet Vamos, passé sous pavillon chinois, est resté actif jusqu’au 31 janvier 2019.
Le site irlandais de la société Aughinish Alumina, aujourd’hui propriété du groupe russe Rusal. Photo : Fergal Clohessy/ Flickr
Le second cas fait référence à la société Aughinish Alumina. L’entreprise basée en Irlande raffine la bauxite, la roche dont est extraite l’alumine utilisée pour produire l’aluminium. En 2018, elle a reçu 563 500 euros en provenance de l’Union européenne pour sa participation à un projet visant à étudier la réutilisation des résidus de bauxite. Or, cette entreprise minière appartient depuis 2007 à Rusal, un groupe russe qui domine le secteur et dont l’un des principaux actionnaires n’est autre qu’Oleg Deripaska. Réputé proche de Vladimir Poutine, ce dernier figure sur la liste des oligarques russes sanctionnés par le Royaume-Uni et les États-Unis… et l’Europe.
Des fonds publics européens atterrissent dans un paradis fiscalUn autre cas intrigue, celui de la société Lancaster Exploration Limited, spécialisée dans l’exploration de terres rares. L’entreprise a participé à un projet Horizon qui promettait de développer de nouveaux « modèles d’exploration pour les provinces alcalines et de carbonatite » destinés à l’industrie européenne de haute technologie. Pour ce projet, elle a perçu plus de 168 000 euros de la part de l’Europe, alors que son siège social est situé dans les îles Vierges britanniques, paradis fiscal notoirement connu. Interrogé sur ce cas précis, un porte-parole de la Commission européenne explique que l’institution peut mettre fin à un contrat la liant avec une société qui se serait rendue coupable d’infractions avec ses « obligations fiscales » ou qui aurait été « créé sous une juridiction différente, avec l’intention de contourner les obligations fiscales, sociales ou autres obligations légales dans le pays d’origine. »
Reste à savoir si l’Union européenne prendra des mesures contre des sociétés ne respectant manifestement pas leurs obligations. D’autant plus que l’acquisition d’une souveraineté dans le secteur des matières premières critiques et des terres rares est l’une des priorités affichées par l’exécutif européen. La Commission a d’ailleurs présenté, en mars dernier, le Critical Raw Materials Act, consistant à relancer l’activité minière sur le continent. Grâce, notamment, aux centaines de millions d’euros que le programme Horizon destine aux professionnels du secteur.
Cette enquête a été réalisée par Investigate Europe, un collectif de journalistes indépendant·es qui collabore avec des médias européens.
Enquête : Lorenzo Buzzoni, Manuel Rico et Pascal Hansens
Édition : Mathias Destal et Pierre Leibovici
https://by-jipp.blogspot.com/2023/11/ecocides-et-paradis-fiscaux-revelations.html